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  1. 2009/05/22
    Macherey,90) De Canguilhem à C.~ Foucault
    tnffo
  2. 2009/05/22
    [on/off line] Pierre Macherey - Ecrits
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  3. 2009/05/06
    [audio]Pascal(1623~62), Pensées(1670)
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  4. 2009/04/22
    Macherey,2002) Descartes...(1)
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  5. 2009/03/14
    [marx] Macherey,08) Thèses sur Feuerbach
    tnffo

Macherey,90) De Canguilhem à C.~ Foucault

죠져 깡귈렘(G. Canguilhem, 1904~1995)은, 직전의 마셔레(Pierre Macherey) 글목록 코너에서 봤듯이, 마셔레가 스피노자 다음으로 가장 많이 다룬 작가이다. 주지하다시피, 들뢰즈(1925-95),푸코(1926-84)를 비롯하여 마셔레(1938-), 발리바르(1942-), 르꾸르(D. Lecourt,1944~; qsj-GC 저자)등 대부분의 대가들이 깡귈렘에게서 배웠다고 한다. 깡귈렘이 1971년(1955~)까지 소르본느에 머물렀다고 하니, 60년대의 청년 마셔레-발리바르 등은 에꼴노르말의 알튀세르(1918-90)에게서 정치철학-스피노자를 배우고, 동시에 소르본느의 깡귈렘에게서는 과학-인식론을 접하는 행운을 얻었던 것. 고로 '깡귈렘 공부하기'는 후발주자들을 이해하는 바탕이 되겠다는 취지에서, 마셔레의 1990년 논문 한 편을 맛뵈기로 읽어본다. 총 9쪽의 짧은 논문의 제목은 "깡귈렘에서 푸코를 관통한 깡귈렘까지"(De Canguilhem à Canguilhem en passant par Foucault) 이고, 여기서 마셔레는...... [마셔레의 창고는 너무 넓고 빡빡해서 글을 읽기가 불편한고로 퍼다가 읽는다; 밑에는 깡귈렘 자신의 58년 논문인 "심리학이란 무엇인가"를 링크만 걸어 둔다.]

 

 

De Canguilhem à Canguilhem en passant par Foucault

PIERRE MACHEREY

 

 

 

[in : Georges Canguilhem, philosophes et historien des sciences, colloque 1990,

Bibliothèque du Collège international de philosophie, éd. Albin-Michel, p. 286-294]

 

 

 

Indépendamment des considérations personnelles et particulières qui conduisent à rapprocher les démarches théoriques de G. Canguilhem et de M. Foucault, une telle comparaison se justifie surtout par une raison de fond : ces deux pensées se sont développées autour d’une réflexion consacrée au problème des normes ; réflexion, au sens fort de l’expression, philosophique, même si elle a été directement associée chez ces deux auteurs à l’exploitation de matériaux empruntés à l’histoire des sciences biologiques et humaines et à l’histoire politique et sociale. D’où cette interrogation commune qui, en termes très généraux, pourrait être ainsi formulée : pourquoi l’existence humaine est-elle confrontée à des normes ? D’où celles-ci tirent-elles leur pouvoir ? Et dans quelle direction orientent-elles ce pouvoir ?

 

Chez G. Canguilhem, ces questions se nouent autour du concept de « valeurs négatives », retravaillé à partir de Bachelard. Ce point est exemplairement éclairé par la conclusion de l’article « Vie » de l’Encyclopœdia Universalis, qui, à partir d’une référence à la pul­sion de mort, énonce cette thèse : la vie ne se fait connaître, et reconnaître, qu’à travers les erreurs de la vie qui, en tout vivant, révèlent son constitutif inachèvement. Et c’est pourquoi le pouvoir des normes s’affirme au moment où il bute, et éventuellement trébuche, sur ces limites qu’il ne peut franchir et vers lesquelles il est ainsi ramené indéfiniment. Dans ce sens, avant de citer longuement Bor­gès, G. Canguilhem pose la question : « La valeur de la vie, la vie comme valeur, ne s’enracinent-elles pas dans la connaissance de son essentielle précarité ? »

Les problèmes qui sont ainsi en jeu seront ici ramenés dans un cadre étroitement délimité, à partir d’une lecture parallèle des deux ouvrages de G. Canguilhem et de M. Foucault qui abordent précisément cette question : le rapport intrinsèque de la vie à la mort, ou du vivant au mortel, tel qu’il s’éprouve à partir de l’expérience clinique de la maladie. Rappelons brièvement pour commencer dans quel espace chronologique se déploie cette confrontation : en 1943, G. Canguilhem publie sa thèse de médecine Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique ; en 1963, « vingt ans après », il fait paraître dans la collection « Galien », consacrée à l’histoire et à la philosophie de la biologie et de la médecine, qu’il dirige aux Presses Universitaires de France, le second grand ouvrage de M. Foucault après l’Histoire de la folie : Naissance de la clinique ; la même année, il donne à la Sorbonne un cours sur les nor­mes, préparant la réédition, en 1966, de l’Essai de 1943, assorti de Nouvelles réflexions concernant le normal et le pathologique. Reprenons les étapes successives de ce parcours.

 

 

L’Essai de 1943 oppose la perspective objectivante d’une biolo­gie positiviste, alors exemplairement représentée à travers les travaux de Claude Bernard, à la réalité effective de la maladie : celle-ci ayant essentiellement valeur d’un problème posé à l’individu et par l’individu, à l’occasion des ratés de sa propre existence, problème pris en charge par une médecine qui n’est pas d’abord une science, mais un art de la vie, éclairé par la conscience concrète de ce problème considéré en tant que tel, indépendamment des tentatives de solutions qui entreprennent de l’annuler.

Toute cette analyse tourne autour d’un concept central : celui du « vivant », sujet d’une « expérience » – cette notion se retrouve tout au long de l’Essai – à travers laquelle il est exposé, de manière intermittente et permanente, à la possibilité de la souffrance et plus généralement du mal vivre. Dans cette perspective, le vivant repré­sente simultanément deux choses : il est d’abord l’individu ou l’être vivant, appréhendé dans sa singularité existentielle, telle que la révèle de manière privilégiée le vécu conscient de la maladie ; mais il est aussi ce qu’on pourrait appeler le vivant du vivant : ce mouvement polarisé de la vie qui, dans tout vivant, le pousse à développer au maximum ce qu’il est en lui d’être ou d’exister. Dans ce dernier aspect, on peut sans doute retrouver une inspiration bergsonienne ; mais on pourrait également y voir, bien que G. Can­guilhem n’évoque pas lui-même l’éventualité d’un tel rapprochement, l’ombre portée par le concept spinoziste de « conatus ».

 

Ce vivant se qualifie par le fait qu’il est porteur d’une « expé­rience », qui se présente elle-même simultanément sous deux formes : une forme consciente et une forme inconsciente. La première partie de l’Essai, en opposition aux démarches du biologiste qui tend à en faire un objet de laboratoire, insiste surtout sur le fait que le malade est un sujet conscient, s’employant à exprimer ce que lui fait ressentir son expérience en déclarant son mal à travers la leçon vécue qui le lie au médecin ; dans ce sens, G. Canguilhem écrit, en référence aux conceptions de R. Leriche : « Nous pensons qu’il n’y a rien dans la science qui n’ait d’abord apparu dans la conscience, et... que c’est le point de vue du malade qui est au fond le vrai. » (Le Normal et le Pathologique, p. 53 – Le Normal et le Pathologique de G. Canguilhem est ici cité d’après l’édition de 1966, reproduite en 1988 par les PUF dans la série Quadrige. Naissance de la clinique de M. Foucault est cité d’après l’édition originale de 1963 (coll. Galien, PUF)). Mais la seconde partie de l’Essai reprend la même analyse en l’approfondissant, ce qui conduit à enraciner l’expé­rience du vivant dans une région située en deçà ou aux limites de la conscience, là où s’affirme, à l’épreuve des obstacles qui s’oppo­sent à son complet épanouissement, ce qu’on vient d’appeler le vivant du vivant, et que G. Canguilhem désigne aussi comme étant « l’effort spontané de la vie » (Ibidem, p. 77), effort spontané donc antérieur, et peut-être extérieur, à sa réflexion consciente : « Nous ne voyons pas comment la normativité essentielle à la conscience humaine s’expliquerait si elle n’était pas en quelque façon en germe dans la vie. » (Idem). En germe, c’est-à-dire sous la forme d’une promesse qui s’avère surtout comme telle dans les cas où il apparaît qu’elle ne peut être tenue.

La mise en valeur de cette « expérience », avec ses deux dimen­sions consciente et inconsciente, conduit, à l’opposé de l’objectivisme propre à une biologie positiviste volontairement ignorante des valeurs de la vie, à cette conclusion : « Il nous semble que la physiologie a mieux à faire que de chercher à définir objectivement le normal, c’est de reconnaître l’originale normativité de la vie. » (Le Normal et le Pathologique, p. 116). Ce qui signifie que, les normes n’étant pas des don­nées objectives, et comme telles directement observables, les phénomènes auxquels elles donnent lieu ne sont pas ceux, statiques, d’une « normalité », mais ceux, dynamiques, d’une « normativité ». On voit que le terme «expérience » trouve ici encore un nouveau sens : celui d’une impulsion qui tend vers un résultat sans avoir la garantie de l’atteindre ou de s’y maintenir; c’est l’être erratique du vivant, sujet à une infinité d’expériences, ce qui, dans le cas du vivant humain, est la source positive de toutes ses activités.

 

Ainsi est renversée la perspective traditionnelle concernant le rapport de la vie et des normes : ce n’est pas la vie qui est soumise à des normes, celles-ci agissant sur elle de l’extérieur; mais ce sont les normes qui, de manière complètement immanente, sont produites par le mouvement même de la vie. Telle est la thèse centrale de l’Essai : il y a une essentielle normativité du vivant, créateur de normes qui sont l’expression de sa constitutive polarité. Ces nor­mes rendent compte du fait que le vivant n’est pas réductible à une donnée matérielle mais qu’il est un possible, au sens d’une puis­sance, c’est-à-dire une réalité qui se donne d’emblée comme inachevée parce qu’elle est confrontée par intermittence aux risques de la maladie, et à celui de la mort en permanence.

 

Lire Naissance de la clinique, le livre publié en 1963 par M. Foucault sous l’autorité de G. Canguilhem, après l’Essai de 1943, c’est faire le constat d’une communauté de vues n’excluant pas la différence, voire l’opposition des points de vue. Ces deux ouvrages critiquent la prétention d’objectivité du positivisme biologique sur ses deux bords. On vient de voir que G. Canguilhem avait effectué cette critique en s’engageant du côté de l’expérience concrète du vivant, et avait été ainsi amené à ouvrir une perspective qu’on pourrait dire pénoménologique sur le jeu des normes, saisi au point où il est issu de l’essentielle normativité de la vie.

Or, à la considération de cette origine essentielle, M. Foucault substitue celle d’une « naissance » historique, précisément située dans le développement d’un processus social et politique : il est ainsi amené à procéder à une « archéologie » – le contraire d’une phénoménologie – des normes médicales, vues du côté du médecin, et même, en arrière de celui-ci, du côté des institutions médicales bien plus que de celui du malade, qui paraît ainsi le grand absent de cette Naissance de la clinique. De cette manière est expliqué le déploiement d’un espace médical où la maladie est soumise à un « regard » à la fois normé et normant, qui décide des conditions de la normalité en se soumettant à celles d’une normativité commune

« La médecine ne doit plus seulement être le corpus des techniques de la guérison et du savoir qu’elles requièrent ; elle enveloppera aussi une connaissance de l’homme en santé, c’est-à-dire à la fois une expérience de l’homme non malade et une définition de l’homme modèle. Dans la gestion de l’existence humaine, elle prend une posture normative, qui ne l’autorise pas simplement à distribuer des conseils de vie sage, mais la fonde à régenter les rapports physiques et moraux de l’individu et de la société où il vit. » (Naissance de la clinique, p. 35).

On dirait que le vivant a cessé d’être le sujet de la normativité pour n’en devenir plus que le point d’application, si M. Foucault n’effaçait pratiquement de ses analyses toute référence à cette notion de vivant, aussi rare dans Naissance de la clinique qu’elle est fréquente dans l’Essai de 1943. C’est à ce prix que peut être présentée une genèse de la normalité, au double sens d’un modèle épistémologique, réglant les connaissances, et d’un modèle politi­que, régissant les comportements.

Le concept d’« expérience » revient aussi souvent dans les analyses de M. Foucault que dans celles de G. Canguilhem ; mais, en rap­port avec l’exigence formulée par M. Foucault de « prendre les choses dans leur sévérité structurale » (Ibidem, p. 138), ce concept reçoit une signification tout à fait différente. Il ne s’agit plus d’une expérience du vivant, à tous les sens que peut prendre cette expression, mais d’une expérience historique, à la fois anonyme et collective, d’où se dégage la figure complètement désindividualisée de la clinique. Ainsi, ce que M. Foucault appelle « l’expérience clinique » procède simultanément à plusieurs niveaux : elle est ce qui permet au médecin de perfectionner son expérience, en se mettant par l’intermédiaire de l’observation (le « regard médical ») au contact de l’expérience, et ceci dans le cadre institutionnel qui détermine une expérience socialement reconnue et contrôlée. Dans la phrase qui précède, le terme « expérience » intervient en trois positions et avec des significations différentes : la corrélation de ces positions et de ces significations définit précisément la structure de l’expérience clinique.

C’est le triangle de l’expérience : à un sommet, le malade occupe la place de l’objet regardé ; à un autre sommet, on trouve le médecin, membre d’un « corps », le corps médical, reconnu compétent pour devenir le sujet du regard médical ; et, enfin, la troisième posi­tion est celle de l’institution qui officialise et légitime socialement le rapport de l’objet regardé au sujet regardant. On voit donc que le jeu du « dit » et du « vu » à travers lequel se noue une telle « expérience » passe par-dessus le malade et le médecin lui-même, pour réaliser cette forme historique a priori qui anticipe sur le vécu concret de la maladie en lui imposant ses propres modèles de recon­naissance.

Cette analyse diffère profondément, et même peut-être diverge, par rapport à celle présentée par G. Canguilhem dans son Essai de 1943. Et pourtant, d’une manière qui peut paraître inattendue, elle débouche sur des conclusions assez voisines. Car l’expérience clinique telle qu’elle vient d’être caractérisée, en même temps qu’elle offre au malade une perspective de survie en le rétablissant dans un état normal dont elle définit elle-même les critères, ceux-ci n’étant qu’après coup validés par les constructions du savoir objec­tif, le confronte au risque et à la nécessité d’une mort qui apparaît alors comme le secret ou la vérité de la vie, sinon comme son principe. C’est la leçon de Bichat, exposée dans le chapitre 8 de Nais­sance de la clinique, que G. Canguilhem a souvent citée.

 

 

C’est donc la structuration historique de l’expérience clinique qui établit la grande équation du vivant et du mortel : elle insère les processus morbides dans un espace organique dont la représentation est précisément informée par les conditions qui promeuvent cette expérience ; et ces conditions, en raison de leur historicité même, ne sont pas réductibles à une nature biologique immédiatement donnée en soi, comme un objet offert en permanence à une connais­sance dont les valeurs de vérité seraient de ce fait inconditionnées.

C’est pourquoi « il faut laisser aux phénoménologies le soin de décrire en termes de rencontre, de distance ou de « compréhension » les avatars du couple médecin-malade... Au niveau originaire s’est nouée la figure complexe qu’une psychologie, même en profondeur, n’est guère capable de maîtriser ; depuis l’anatomie patho­logique, le médecin et le malade ne sont plus deux éléments corrélatifs et extérieurs, comme le sujet et l’objet, le regardant et le regardé, l’oeil et la surface; leur contact n’est possible que sur le fond d’une structure où le médical et le pathologique s’appartiennent de l’intérieur dans la plénitude de l’organisme... Le cadavre ouvert et extériorisé, c’est la vérité intérieure de la maladie, c’est la profondeur étalée du rapport médecin-malade » (Idem).

Dans les conditions qui rendent possible l’expérience clinique, la mort, et avec elle aussi la vie, cesse d’être un absolu ontologique ou existentiel, et simultanément elle acquiert une dimension épistémologique : si paradoxal que cela puisse paraître, elle « éclaire » la vie.

« C’est du haut de la mort qu’on peut voir et analyser les dépendances organiques et les séquences pathologiques. Au lieu d’être ce qu’elle avait été si longtemps, cette nuit où la vie s’efface, où la maladie se brouille, elle est douée désormais de ce grand pouvoir d’éclairement qui domine et met à jour à la fois l’espace de l’organisme et le temps de la maladie. » (Naissance de la clinique, p. 145).

Remarquons-le, c’est ici, à propos de Bichat, qu’apparaît, en vue d’en relativiser le contenu, une des très rares références que fait Naissance de la clinique à la notion de « vivant » :

« L’irréductibilité du vivant au mécanique et au chimique n’est que seconde par rapport à ce lien fondamental de la vie et de la mort. Le vitalisme apparaît sur fond de ce mortalisme. » (Ibidem, p. 144).

Pour cette raison, décomposer cette expérience clinique en révé­lant la structure qui la supporte, c’est aussi exposer les règles d’une sorte d’art de vivre, en rapport avec tout ce qui est compris sous les notions de santé et de normalité, celles-ci n’ayant plus rien à voir avec la représentation de ce que G. Canguilhem appellerait lui-même une « innocence biologique ». Et on pourrait voir ici l’esquisse de ce que, dans ses derniers écrits, M. Foucault appel­lera « esthétique de l’existence », en vue de faire comprendre com­ment on se joue des normes en jouant avec elles, c’est-à-dire en les faisant fonctionner, et en ouvrant du même coup la marge d’ini­tiative que libère leur « jeu ». Cet art de vivre suppose, de la part de celui qui l’exerce, qu’il se sache mortel et qu’il apprenne à mou­rir : cette idée, M. Foucault l’a aussi développée, la même année 1963, dans son ouvrage sur Raymond Roussel, où l’expérience du langage a pris en quelque sorte la place de l’expérience clinique.

 

En 1963, en même temps qu’il lit le livre de M. Foucault, G. Canguilhem se relit lui-même, et prépare ses Nouvelles réflexions qui seront publiées trois ans plus tard. Dans ce dernier texte, G. Can­guilhem ne cesse d’insister sur le fait qu’il ne voit aucune raison de revenir sur les thèses qu’il avait soutenues en 1943 pour les infléchir ou les écarter. Mais s’il en est réellement ainsi, comment expli­quer la nécessité de présenter ces réflexions, dans lesquelles il faut bien que se fasse jour aussi quelque chose de « nouveau » ?

Or leur nouveauté tient d’abord au fait que ces réflexions repo­sent la question des normes en la déplaçant sur un autre terrain, qui élargit considérablement le champ de fonctionnement des normes. Pour le dire très sommairement, cet élargissement procède du vital vers le social. D’où cette question qui se trouve en fait au centre des Nouvelles réflexions : l’effort de penser la norme sur fond de normativité plutôt que sur fond de normalité, qui avait caractérisé l’Essai de 1943, peut-il être étendu du vital au social, en particulier lorsque sont pris en compte tous les phénomènes de normalisation concernant le travail humain et les produits de ce travail ?

La réponse à cette question serait globalement négative en raison de l’impossibilité démontrée par G. Canguilhem d’inférer du vital au social, c’est-à-dire d’aligner le fonctionnement d’une société en général, en tant que porteuse d’un projet de normalisation, sur celui d’un organisme. Dans cette argumentation, on peut voir une résurgence du débat traditionnel entre finalité interne et finalité externe. Est-ce à dire qu’il faudrait distinguer radicalement deux types de normes, en renvoyant dos à dos le vital et le social?

Or, à cette dernière question, on répondra aussi par la négative, essentiellement pour deux raisons. D’abord les Nouvelles réflexions soulignent le fait que les normes vitales, dans le monde de l’homme tout au moins – et l’homme n’est-il pas l’être qui tend à faire rentrer toutes choses dans son monde propre ? – ne sont pas l’expres­sion d’une « vitalité » naturelle, de fait abstraite parce que strictement cantonnée dans son ordre, alors que ces normes expriment un effort en vue de dépasser cet ordre, effort qui n’a de sens que parce qu’il est socialement conditionné. D’autre part, les Nouvelles réflexions dégagent aussi l’idée d’une normativité sociale, procédant par « invention d’organes » (Le Normal et le Pathologique, p. 189), au sens technique du terme invention. Ceci suggère la nécessité de retourner le rapport du vital au social : ce n’est pas le vital qui impose son modèle indépassable au social, comme voudraient le faire croire les métaphores de l’organicisme; mais c’est plutôt, dans le monde humain, le social qui tire le vital en avant de lui-même, ne serait-ce que parce que l’un des « organes » qui ressort de son « invention » est la connaissance du vital lui-même, connaissance qui est sociale dans son principe.

 

 

Penser les normes et leur action, c’est donc réfléchir un rapport du vital et du social qui ne soit pas réductible à un déterminisme causal unilatéral. Ceci évoque le statut très particulier du concept de « connaissance de la vie » chez G. Canguilhem, qui s’en est servi, on le sait, pour intituler l’un de ses livres. Ce concept correspond simultanément à la connaissance qu’on peut avoir au sujet de la vie considérée comme un objet, et à la connaissance que produit la vie qui, en tant que sujet, promeut l’acte de la connaissance et lui confère ses valeurs. C’est dire que la vie n’est ni totalement objet ni totalement sujet, pas plus qu’elle n’est tout à fait conscience intentionnelle, ni non plus matière à oeuvrer, inconsciente des impulsions qui la travaillent. Mais la vie est puissance, c’est-à-dire, comme on l’a dit pour commencer, inachèvement : et c’est pourquoi elle ne s’éprouve qu’en se confrontant à des « valeurs négatives ».

A la fin des Nouvelles réflexions, on peut lire ceci : « C’est dans la fureur de la culpabilité comme dans le bruit de la souffrance que l’innocence et la santé surgissent comme les termes d’une régres­sion impossible autant que recherchée. » (Ibidem, p. 180). Cette phrase, peut-être M. Foucault aurait-il pu l’écrire pour illustrer les inévitables mythes de la normalité : ces mythes qui, à travers leur expression idéalisée, ne parlent de rien d’autre que de la souffrance et de la mort, c’est-à-dire de la menace qui rappelle tout vivant à soi, à la fois à son individualité de vivant, et à son vivant de vivant.

 

 

 

Georges Canguilhem, 1958) Qu’est-ce que la psychologie ?

I. La psychologie comme science naturelle
II. La psychologie comme science de la subjectivité
   A – La physique du sens externe –
   B – La science du sens interne –
   C - La science du sens intime -
III. La psychologie comme science des réactions et du comportement

 

* Conférence prononcée le 18 décembre 1958 au Collège philosophique à Paris. Parue dans Revue de Métaphysique et de Morale, n°1, 1958, Paris. http://www.psychanalyse.lu/articles/CanguilhemPsychologie.htm

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[on/off line] Pierre Macherey - Ecrits

PIERRE MACHEREY (1938 - )

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I. SOURCES: PRIMARY

Off-Line:

Anthologies:

  • Histoires de dinosaure: faire de la philosophie, 1965-1997.  Paris: PUF, 1999. 
  • In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998. 

Edited Works:

  • Alain Badiou: Philosophy and its Conditions.  Ed. Macherey and Gabriel Riera.  Albany: SUNY Press, 2005.

Selected Individual Works:

  • "Comte dans la querelle des anciens et des modernes: la critique de la perfectibilité.”  L‘homme perfectible.  Ed. Bertrand Binoche, Seyssel.  Champ Vallon, 2004.  274-292.
  • "Out of Melancholia: Notes on Judith Butler's The Psychic Life of Power: Theories in Subjection."  Rethinking Marxism 16.1 (2004): .
  • "Review of Michael Hardt/ Antonio Negri, Multitude, guerre et démocratie à l’âge de l’Empire."  November 19, 2004.
  • “Y a-t-il une Philosophie littéraire?”  Bulletin de la Société Française de Philosophie 98.3 (2004):
  • "La Philosophie et ses dehors."  Séminaire, ENS, Paris, May 20, 2003.
  • "Descartes, est-ce la France?  L'Esprit 2 (2002): .

  • “Le Mallarmé d’Alain Badiou.”  Alain Badiou: Penser le multiple.  Ed. C. Ramond.  Paris: L'Harmattan, 2002.  397-406.
  • “Faire de la philosophie en France aujourd’hui.”  Singulier / Pluriel 8 (2000): 37-45.
  • “Les Philosophes Français de l’après-guerre face à la politique : Humanisme et terreur de Merleau-Ponty et Tyrannie et sagesse de Kojève.”  Materia actuosaParis: H. Champion, 2000.  717-730.
  • “Science, philosophie, littérature.”  Textuel 37 (2000): 133-142.
  • “Spinoza, lecteur de Descartes.”  Bulletin de l’Association des professeurs de philosophie de l’Académie de Poitiers 16 (1999): 35-47.
  • “Y a-t-il une métaphysique du positivisme comtien?”  Positivismes, philosophie, sociologie, histoire, sciences.  Ed. A. Despy-Meyer et D. Devriese.  Turnhout: Brepols, 1999.  53-62.
  • "Choses, images de choses, signes, idées (Éthique II, 18, sc.)."  Revue des sciences philosophiques et théologiques 82.1 (1998): 17-30.
  • “Normes vitales et normes sociales dans l’Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique de G. Canguilhem.”  Actualité de Georges Canguilhem: Le normal et le pathologique.  Actes du Xe colloque international d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse.  Institut Synthélabo pour le Progrès de la Connaissance, 1998.  71-84.
  • "Spinoza: une Philosophie à plusieurs voix."  Philosophique 1 (1998): 5-22.
  • “The Encounter with Spinoza. Deleuze: a Critical Reader.  Ed. Paul Patton.  Oxford: Blackwell, 1996139-161.
  • “Georges Canguilhem: un style de pensée.”  Cahiers philosophiques 69 (1996): 47-56.
  • "Spinoza et l'origine des jugements de valeur."  Architectures de la raison: Mélanges offerts à Alexandre Matheron.  Ed. P-F. Moreau.  Fontenay-aux-Roses: ENS Editions, 1996.  205-212.
  • "A Production of Subjectivity."  Yale French Studies 88 (1995): 42-52.
  • "Spinoza, lecteur et critique de Boyle."  Revue du Nord 77 (1995): 733-774.
  • Introduction à l’Ethique de Spinoza.  5 Vols.  Paris: PUF, 1994-1998.
    • La Nature des choses.  Vol. 5.  1998.
    • La Réalité mentale.  Vol. 4.  1997.
    • La Condition humaine.  Vol. 3.  1996.
    • La Vie affective.  Vol. 2.  1995.
    • Les Voies de la libération.  Vol. 1.  1994.
  • "Entre la Philosophie et l'histoire: l'histoire de la philosophie."  La Philosophie et son histoire.  Ed. Gilbert Boss.  Zurich: Grand Midi, 1994.  11-45.

  • "Éthique IV: les Propositions 70 et 71."  Revue de métaphysique et de morale 4 (1994): 459-474.
  • "Marx dématérialisé ou l’esprit de Derrida.”  Europe 780 (1994): 164-172.  Rpt. in Histoires de dinosaure: faire de la philosophie, 1965-1997.  Paris: PUF, 1999. 
    • "."  Ghostly Demarcations: a Symposium on Jacques Derrida’s Specters of Marx.  Ed. Michael Sprinker.  London: Verso, 1999.  17-25.
  • “Pour une théorie de la reproduction littéraire.”  Comment la littérature agit-elle?.  Centre de recherches sur la lecture littéraire de Reims.  Paris: Klincksieck, 199417-28.
    • "For a Theory of Literary Reproduction."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  42-51.
  • "Spinoza, est-il moniste?"  Spinoza: Puissance et ontologie.  Ed. Myriam Revault d'Allonnes et Hadi Rizk.  Paris: Kimé, 1994.  39-53.
  • “De Canguilhem à Canguilhem en passant par Foucault.”  Georges Canguilhem philosophe et historien des sciences: Colloque 1990.  Bibliothèque du Collège international de philosophie.  Paris: Albin-Michel, 1993.  286-294.
    • "From Canguilhem to Canguilhem by Way of Foucault."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  108-115.
  • "La Dissociation de la métaphysique et de l'éthique: Russell lecteur de Spinoza."  Spinoza au XXe siècle.  Ed. Olivier Bloch.  Paris: PUF, 1993.  285-305.
  • "Renan philosophe.”  Actes des Journées d’études Ernest Renan (13-15 mars 1992).  Ville de Saint-Brieuc / Lycée Ernest Renan, 1993.  133-140.

  • "A Propos de la différence entre Hobbes et Spinoza."  Hobbes e Spinoza: Scienza e Politica: Atti del Convegno Internazionale - Urbino, 14-17 Ottobre, 1988.  Ed. Daniela Bostrenghi.  Intro. Emilia Giancotti.  Napoli: Bibliopolis, 1992.  689-698.

  • "L'Actualité philosophique de Spinoza."  Nature, Croyance, Raison: Mélanges offerts à Sylvain Zac.  Fontenay-aux-Roses: Cahiers de Fontenay, 1992.  119-133.
  • “Aux Sources des rapports sociaux (Bonald, Saint-Simon, Guizot).”  Genèses 9 (1992): 25-43.
  • Avec Spinoza: études sur la doctrine et l’histoire du spinozisme.  Paris: PUF, 1992.
    • "Deleuze dans Spinoza."  237-244.
      • "Deleuze in Spinoza."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Ed. Warren Montag.  Trans. Ted StolzeLondon: Verso, 1998.  119-124.
    • "L'Actualité philosophique de Spinoza (Heidegger, Adorno, Foucault)."  222-236.
      • "Spinoza’s Philosophical Actuality (Heidegger, Adorno, Foucault)."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Ed. Warren Montag.  Trans. Ted StolzeLondon: Verso, 1998.  125-135.
  • "From Action to Production of Effects: Observations on the Ethical Significance of Ethics I."  God and Nature: Spinoza's Metaphysics.  Ed. Yirmiyahu Yovel.  Leiden: E. J. Brill, 1991.  161-180.
  • “Les Débuts philosophiques de Victor Cousin.”  Corpus 18-19 (1991): 29-49.
  • “Lacan avec Kojève, philosophie et psychanalyse.”  Lacan avec les philosophes.  Bibliothèque du Collège international de philosophie.  Paris: Albin-Michel, 1991.  315-321.
  • “Philosophies laïques.”  Mots 27 (1991): 5-21.
  • “Réflexions d’un dinosaure sur l’anti-anti-humanisme.”  Le Gai renoncement.  Supplément à Futur antérieur.  Paris: L’Harmattan, 1991.  157-172.
  • Soutenance.  May 25, 1991.
    • "Soutenance (25 May 1991)."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  17-27.
  • “Comte.”  Dictionnaire encyclopédique Quillet.  Supplément Vol. I.  1990. 244-245.

  • "Condillac et Spinoza: une lecture biaisée."  By Macherey and Jacqueline Lagrée.  Spinoza au XVIIIe siècle.  Paris: Méridiens-Klincksieck, 1990.  241-253.

  • “Foucault.”  Dictionnaire encyclopédique Quillet.  Supplément Vol. I.  1990. 369-371
  • "Les Paradoxes de la connaissance immédiate dans la Korte Verhandeling."  Dio, l'uomo, la libertà: Studi sul Breve Trattato di Spinoza.  Ed. Filippo Mignini.  L'Aquilà-Roma: Japadre Editore, 1990.  203-225.
  • "La Philosophie à la Française."  Revue des sciences philosophiques et théologiques 74.1 (1990): 7-14.
  • A Quoi pense la littérature? Exercices de philosophie littéraire.  Paris: PUF, 1990
    • The Object of Literature.  Trans. David Macey.  Cambridge: CUP, 1995.
  • "Spinoza, la fin de l'histoire et la ruse de la raison."  Spinoza: Issues and Directions: the Proceedings of the Chicago Spinoza Conference (1986).  Ed. Edwin Curley and Pierre-François Moreau.  Leiden: E. J. Brill, 1990.  327-346.  Rpt. in Avec Spinoza: études sur la doctrine et l’histoire du spinozisme.  Paris: PUF, 1992.  111-140.
    • "Spinoza, the End of History, and the Ruse of Reason."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  136-158.
  • "Déterminisme."  By Macherey and Etienne Balibar.  Vol. 7 of Encyclopaedia Universalis.  Paris: Encyclopaedia Universalis, 1989-90.  283-288.

  • "Dialectique."  By Macherey and Etienne Balibar.  Vol. 7 of Encyclopaedia Universalis.  Paris: Encyclopaedia Universalis, 1989-90.  359-363;
  • "Engels (Friedrich)."  By Macherey and Etienne Balibar.  Vol. 8 of Encyclopaedia Universalis.  Paris: Encyclopaedia Universalis, 1989-90.  372-374;
  • "Formalisme et formalisation."  By Macherey and Etienne Balibar.  Vol. 9 of Encyclopaedia Universalis.  Paris: Encyclopaedia Universalis, 1989-90.  707-710;
  • "Marx et marxisme."  By Macherey and Etienne Balibar.  Vol. 14 of Encyclopaedia Universalis.  Paris: Encyclopaedia Universalis, 1989-90.  646-656
  • Comte: la Philosophie et les sciences.  Paris: PUF, 1989.
  • “Pour une Histoire naturelle des normes.”  Michel Foucault philosophe.  Paris: Seuil, 1989.  203-221.
    • “Toward a Natural History of Norms. Michel Foucault philosopher.  Trans. T. Armstrong.  New-York: Harvester Wheatsheaf, 1992. 
  • “Foucault: éthique et subjectivité.”  Autrement 102 (1988): 92-103.
    • "Foucault: Ethics and Subjectivity."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  96-107.
  • “Bonald et la philosophie.”  Revue de synthèse New Series 1 (1987): 3-30.
  • “Foucault avec Deleuze: le Retour éternel du vrai.”  Revue de synthèse 2 (1987): 277-285.
  • "La Philosophie comme opération."  Digraphe 42 (1987): 69-81. 
    • "Philosophy as Operation."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  28-41.
  • “Aux Sources de l’Histoire de la folie: une rectification et ses limites."  Critique 471-472 (1986): 753-774.
    • "At the Sources of Histoire de la folie: a Rectification and its Limits."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  77-95.
  • "Leroux dans la querelle du panthéisme."  Cahiers de Fontenay 36-38 (Mars 1985): 215-222.
  • “Le Leurre hégélien.”  Le Bloc Note de la Psychanalyse 5 (1985): 27-50.
    • "The Hegelian Lure: Lacan as Reader of Hegel."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  55-75.
  • "Entre Pascal et Spinoza: le Vide."  Spinoza nel 350 anniversario della nascità: atti del congresso internazionale (Urbino 4-8 Ottobre 1982).  Ed. Emilia Giancotti.  Napoli: Bibliopolis, 1985.  71-87.
  • Hegel et la Société.  By Macherey and Jean-Pierre Lefèbvre.  Paris: PUF, 1984.
  • "In a Materialist Way."  Trans. Lorna Scott Fox.   Philosophy in France Today.  Ed. Alan Montefiore.  Cambridge: CUP, 1983.  136-153.
    • "." Histoires de dinosaure.  Paris: PUF, 1999.  87-106.
  • "De la Médiation à la constitution: Description d'un parcours spéculatif."  Cahiers Spinoza 4 (1983): 9-37.
  • “Hegel et le présent.”  in Cahiers philosophiques 13 (1982): 7-19.
  • Hegel ou Spinoza.  Paris: Maspero, 1979.
    • Partial translation in The New Spinoza.  Ed. Warren Montag and Ted Stolze.  Minneapolis: U of Minnesota P, 199864-94.
  • "Histoire et roman dans Les Paysans de Balzac."  Socio-critique (1979): 137-146.
    • "History and Novel in Balzac's The Peasants."  Minnesota Review 26 (1986.): .
  • "The Problem of Reflection."  Sub-stance 15 (1976): 6-20.
  • "Problems of Reflection."  Trans. John Coombes.  Literature, Society and the Sociology of Literature: Proceedings of the Conference Held at the University of Essex, July 1976.  Ed. Frances Barker, John Coombes, Peter Hulme, David Musselwhite, and Richard Osborne.  University of Essex, 1977.  41-54.
  • "Sur la Littérature comme forme idéologique: quelques hypothèses marxistes."  By Macherey and Etienne Balibar.  Littérature 13.4 (1974): 29-48.
    • "Literature as an Ideological Form: Some Marxist Propositions."  Trans. James H. Kavanagh.  Praxis: a Journal of Cultural Criticism 5 (1981): 43-58.
    • "On Literature as an Ideological Form: Some Marxist Propositions."  Trans. Ian McLeod, John Whitehead, and Ann Wordsworth.  Oxford Literary Review 3 (1978): 4-12.  Rpt. in Untying the Text: a Post-Structuralist Reader.  Ed. Robert Young.  London: Routledge & Kegan Paul, 1981.  79-99; rpt. in Contemporary Marxist Literary Criticism.  Ed. Francis Mulhern.  London: Longman, 1992; Rpt. in Marxist Literary Theory: a Reader.  Ed. Terry Eagleton and Drew Milne.  Oxford: Blackwell, 1996.  275-295.
  • "Présentation."  By Macherey and Etienne Balibar.  Les Français fictifs: le rapport des styles littéraires au Français national.  By Renée Balibar, Geneviève Merlin, and Gilles Tret.  Paris: Hachette, 1974.  7-49.
  • "Présentation."  By Macherey and Etienne Balibar.  Le Français national: Politique et pratiques de la langue nationale sous la Révolution Française.  By Renée Balibar and Dominique Laporte.  Paris: Hachette, 1974.  9-30.
  • Pour une théorie de la production littéraire.  Paris: Maspero, 1966
    • A Theory of Literary Production.  Trans. Geoffrey Wall.  London: Routledge & Kegan Paul, 1978.  Rpt. London: Routledge, 2006.
  • "L’Analyse littéraire: Tombeau de structures."  Les Temps Modernes 246 (1966): .

  • "A Propos du processus d’exposition du Capital."  Vol. 2 of Lire Le Capital.  By Althusser, Jacques Rancière and Pierre Macherey.  Paris: François Maspero, 1965.  213-256.  Rev. Ed.  1968.  Rev. Ed. Paris: PUF, 1996.

  • "La Philosophie de la science de Georges Canguilhem: Épistemologie et histoire des sciences."  La Pensée 113 (1964): 62-74.

    • "Georges Canguilhem’s Philosophy of Science: Epistemology and History of Science."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  161-187.

Selected Interviews: "Sur l’Histoire de la Philosophie.”  Le Philosophoire 20 (2003): 7-20.

 

On-Line:

Anthologies:

Selected Individual Works:

Selected Interviews: Sur l’Histoire de la Philosophie (2003)

 

 

II) SOURCES: SECONDARY

Off-Line:

Anthologies:

Selected Individual Works:

  • Badminton, Neil.  "Revaluations: Pierre Macherey." The European English Messenger 11.1 (2002): 65-8.
  • Clarke, Richard L. W.  "Pierre Macherey (1938 - )."  Twentieth-Century European Cultural Theorists.  2nd Series.  Vol. 296 of Dictionary of Literary Biography.  Ed. Paul Hansom.  Detroit: Gale, 2004.  296-304.
  • Barker, Frances.  "Ideology, Production, Text: Pierre Macherey’s Materialist Criticism."  Praxis 5 (1980): 99-108.
  • Eagleton, Terry.  Criticism and Ideology: a Study in Marxist Literary Theory.  London: Verso, 1976.
  • Eagleton, Terry.  "Macherey and Marxist Literary Theory."  Minnesota Review (1975): .  Rpt. in Against the Grain: Selected Essays 1975-1985.  London: Verso, 1986.  9-22.
  • Goldstein, Philip.  “Between Althusserian Science and Foucauldian Materialism: the Later Work of Pierre Macherey.”  Rethinking Marxism 16.3 (2004): 327-337.
  • Montag, Warren.  "Introduction."  In a Materialist Way: Selected Essays by Pierre Macherey.  Ed.  Warren Montag.  Trans. Ted Stolze.  London: Verso, 1998.  3-14.
  • Montag, Warren.  "Macherey's Intervention."  Louis Althusser.  London: Palgrave Macmillan, 2003.  49-61.

  • Montag, Warren.  "Macherey and Literary Analysis."  Minnesota Review (1986): .
  • Stolze, Ted.  “Macherey and the Becoming-Real of Philosophy.”  Minnesota Review N.S. 26 (1986): .

On-Line:

 

III) UNIVERSITY PROGRAMMES / RESEARCH CENTRES / RESEARCH PROJECTS

 

출처: http://www.phillwebb.net/History/TwentiethCentury/Continental/(Post)Structuralisms/StructuralistMarxism/Macherey/Macherey.htm

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[audio]Pascal(1623~62), Pensées(1670)

Blaise PASCAL(1623-1662)의 Pensées(1670)와 다른 여러 저작에서 주제별로 추려 분류된 몇몇 간단한 말씀들을 들어본다. "인간은 생각하는 갈대"(L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant.)라는 유명한 문구를 담은 '생각에 대하여' 항목과 인간, 권력, 진보, 네 항목만 '듣고 또 듣기(읽고 또..)' 위하여 옮겨다 둔다. 링크된 곳에는 환상, 상상, 수완, 종교, 시간, 사랑, 등의 항목도 함께 걸려있으나, 집중력 산개 방지 차원에서 이것들은 안 가져온다. 오히려 부르디외(P. Bourdieu, 1930~2002)가 "사람들이 자꾸 나를 맑스주의자로 생각을 하는지 모르겠지만, 사실 나는 파스칼주의자다"라고 <파스칼적 성찰>(Méditations pascaliennes (1997))의 첫 페이지에 적고 있는데, 그 의미가 뭔지나 찾아가는 것이 내게는 더 유익하겠다. 그래서 다른 참고 자료도 밑에 부록으로 달아둔다. 

 

[펌: 생각, 인간, 권력, 진보] P-fragments n°339, 346-348 : Sur la pensée. P-fragment n°194 : Sur l’homme. Second Discours sur la condition des grands : Sur le pouvoir. Préface au Traité du Vide : Sur le progrès.
[안펌: 환상, 상상, 수완, 종교, 시간, 사랑] P-fragment n°139 : Sur l’illusion. P-fragment n°82 : Sur l’imagination. De l’esprit géométrique, section I : Sur la méthode. P-fragment n°233 : Sur la religion. P-fragment n°172 : Sur le temps. P-fragment n°323 : Sur l’amour (1). P-fragment n°123 : Sur l’amour (2).


[출처] http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/blaise-pascal-anthologie-1.html (오디오)
http://www.litteratureaudio.com/forum?forum=5&topic=31&page=1 (텍스트)

 

Pensées, fragments n°339, 346-348 : Sur la pensée.

 

Sur la pensée

Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête (car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute.

Pensée fait la grandeur de l’homme.

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.

Roseau pensant. — Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai pas davantage en possédant des terres : par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends.

PASCAL, Pensées (1670), fragments 339, 346, 347 et 348 dans l’édition L. Brunschvicg.

 

Pensées, fragment n°194 : Sur l’homme.

Sur l’homme

Quel sujet de joie trouve-t-on à n’attendre plus que des misères sans ressource ? Quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables, et comment se peut-il faire que ce raisonnement se passe dans un homme raisonnable ?

«Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi-même; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses; je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, et ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’à un autre de toute l’éternité qui m’a précédé, et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant sans retour. Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir, mais ce que j’ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter.
Comme je ne sais d’où je viens, aussi je ne sais où je vais; et je sais seulement qu’en sortant de ce monde, je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d’un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage. Voilà mon état, plein de faiblesse et d’incertitude. Et de tout cela, je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher ce qui me doit arriver [...].»

Qui souhaiterait d’avoir pour ami un homme qui discourt de cette manière ? Qui le choisirait entre les autres pour lui communiquer ses affaires ? Qui aurait recours à lui dans ses afflictions ? Et enfin, à quel usage de la vie on le pourrait destiner ?

PASCAL, Pensées (1670), extrait du fragment 194 dans l’édition L. Brunschvicg.

 

Second Discours sur la condition des grands : Sur le pouvoir.

Sur le pouvoir

Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs; car il y a des grandeurs d’établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d’établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en l’autre les roturiers, en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? Parce qu’il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l’établissement : après l’établissement elle devient juste, parce qu’il est injuste de la troubler.

Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu’elles consistent dans des qualités réelles et effectives de l’âme ou du corps, qui rendent l’une ou l’autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l’esprit, la vertu, la santé, la force.

Nous devons quelque chose à l’une et à l’autre de ces grandeurs; mais comme elles sont d’une nature différente, nous leur devons aussi différents respects. Aux grandeurs d’établissement, nous leur devons des respects d’établissement, c’est-à-dire certaines cérémonies extérieures qui doivent être néanmoins accompagnées, selon la raison, d’une reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte. Il faut parler aux rois à genoux; il faut se tenir debout dans la chambre des princes. C’est une sottise et une bassesse d’esprit que de leur refuser ces devoirs.

Mais pour les respects naturels qui consistent dans l’estime, nous ne les devons qu’aux grandeurs naturelles; et nous devons au contraire le mépris et l’aversion aux qualités contraires à ces grandeurs naturelles. Il n’est pas nécessaire, parce que vous êtes duc, que je vous estime; mais il est nécessaire que je vous salue. Si vous êtes duc et honnête homme, je rendrai ce que je dois à l’une et à l’autre de ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies que mérite votre qualité de duc, ni l’estime que mérite celle d’honnête homme. Mais si vous étiez duc sans être honnête homme, je vous ferais encore justice; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l’ordre des hommes a attachés à votre naissance, je ne manquerais pas d’avoir pour vous le mépris intérieur que mériterait la bassesse de votre esprit.

Voilà en quoi consiste la justice de ces devoirs. Et l’injustice consiste à attacher les respects naturels aux grandeurs d’établissement, ou à exiger les respects d’établissement pour les grandeurs naturelles.

PASCAL, Second Discours sur la condition des grands, discours cité par Pierre Nicole dans De l’éducation d’un Prince (1670).

 

Préface au Traité du Vide : Sur le progrès.

Sur le progrès

N’est-ce pas indignement traiter la raison de l’homme, et la mettre en parallèle avec l’instinct des animaux, puisqu’on en ôte la principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que les autres demeurent toujours dans un état égal ? Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu’elles en ont. Comme ils la reçoivent sans étude, ils n’ont pas le bonheur de la conserver; et toutes les fois qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire toujours égale, de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de même de l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier âge de sa vie; mais il s’instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu’il conserve toujours dans sa mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés. Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement; de sorte que les hommes sont aujourd’hui en quelque sorte dans le même état où se trouveraient ces anciens philosophes, s’ils pouvaient avoir vieilli jusques à présent, en ajoutant aux connaissances qu’ils avaient celles que leurs études leur auraient pu acquérir à la faveur de tant de siècles. De là vient que, par une prérogative particulière, non seulement chacun des hommes s’avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l’univers vieillit, parce que la même chose arrive dans la succession des hommes que dans les âges différents d’un particulier. De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement.

PASCAL, Préface pour le Traité du vide (1663), extrait.

 

 

cf.1) Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, 2003(édition revue et corrigée), 389 pages.
Présentation de l'éditeur // Dans ce livre, P. Bourdieu prend du recul à la fois sur sa propre recherche et sur les sciences sociales en général. Il tente de définir la conception de l’homme qui est sous-jacente aux sciences sociales, et de la différencier de celle que suppose la philosophie.
Cette méditation se fait sous le signe de Pascal, qui est, selon Bourdieu, le seul penseur à avoir refusé ce qu’il y avait d’abstrait et d’irréel dans la façon philosophique de parler de l’homme (par exemple le fameux cogito de Descartes, qui suppose un homme abstrait, non situé socialement, économiquement, etc.). L’homme pascalien est en proie à l’imagination, à la coutume, au pouvoir social, etc. En ce sens, l’homme pascalien préfigure celui des sciences. Pascal a inauguré une critique interne de la philosophie, que Bourdieu appelle « philosophie négative », travail que les sciences sociales doivent aujourd’hui poursuivre.
Il ne s’agit cependant pas d’un ouvrage sur Pascal : Pascal est un point de départ, et une sorte de thème musical que le livre rencontre régulièrement. Bourdieu y étudie également le rapport entre le travail intellectuel et l’institution.
Le travail de l’esprit (et notamment celui des sciences sociales) suppose que le chercheur, payé par une institution (l’État), est complètement extérieur à ce qu’il étudie. Cette position d’extériorité, Bourdieu l’appelle « scolastique et montre qu’elle est source d’erreurs et d’illusions, y compris sur le plan scientifique : l’anthropologue, par exemple, décrit le mariage dans telle ou telle culture en termes de règles, alors qu’on le comprend beaucoup mieux si on le décrit en termes de stratégies, où chaque famille essaye d’obtenir le plus d’avantages possibles.
L’illusion scolastique a pour effet de masquer la nature sociale des faits culturels ou même psychologiques, de faire passer pour éternel et naturel ce qui est en fait historique et déterminé.

 

Quatrième de couverture // La science de l'homme, parvenue à un certain accomplissement, se doit de livrer l'idée de l'homme qui est impliquée par sa démarche et par ses résultats, mais qui est laissée, pour l'essentiel, à l'état implicite. Ce dévoilement est nécessaire, à la fois pour mieux faire la science et pour la faire mieux comprendre et accepter. Les mises en question les plus radicales de la pensée laissent en effet impensée une condition cachée ou refoulée de toutes les oeuvres de l'esprit : c'est qu'elles sont produites en état de skholè, c'est-à-dire de loisir, de distance au monde et à la pratique. Or cette situation est le principe d'erreurs systématiques, épistémologiques, éthiques ou esthétiques, qu'il faut soumettre à une critique méthodique. Cette critique peut se faire sous le signe de Pascal, parce que sa réflexion anthropologique porte sur des traits de l'existence humaine que le regard scolastique ne peut qu'ignorer : force, coutume, automate, corps, imagination, contingence, probabilité ; et parce qu'il fournit le mot d'ordre d'une sorte de révolution symbolique que la science de l'homme doit opérer pour achever son émancipation : " La vraie philosophie se moque de la philosophie. " La science de l'homme débouche en effet sur une philosophie négative qui met en question les présupposés les plus fondamentaux, notamment celui d'un " sujet " libre et transparent à soi, et qui renouvelle, grâce aussi à des philosophes hérétiques comme Wittgenstein, Austin, Dewey ou Peirce, les interrogations traditionnelles sur la violence, le pouvoir, le temps, l'histoire, l'universel, et même le sens de l'existence. Il sort de tout cela une image de l'homme qui surprendra sans doute, qui choquera peut-être, parce qu'elle est en rupture avec la vision spontanée, que la vision savante ratifie beaucoup plue qu'elle ne le croit. --Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.

 

cf.2) P. Macherey, le 9/10/2002, BOURDIEU ET PASCAL (http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/Macherey20022003/Macherey09102002.html)

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Macherey,2002) Descartes...

직전 포스트에서 홉스에 대해 약간의 언급을 하다보니 갑자기 데카르트가 생각났고, 어디선가 마셔레(P. Macherey)가 데카르트에 대해 쓴 글이 또한 기억나서 까먹기 전에 옮겨다 둔다. 1987년에 A. Glucksman이라는 사람이 쓴  <데카르트, 그것은 프랑스다>(그림) 라는 책에 대하여 2002년에 마셔레가 풀어놓은 비판이다. "아닙니다, 데카르트는 프랑스가 아닙니다"라는 마지막 문장을 이해시키기 위해 마셔레가 펼치는 아주 꼼꼼하고 질긴 논변이 엄청 열정적이다(늘 그렇지만!). 중간 결론으로 내놓은 마셔레의 인상깊은 말씀을 미리 들어보면 : "어떤 생각의 심연을 파고든다는 것, 그것은 그 생각의 근간을 이루는 몇몇 '단순한 생각거리'(idees simples-단순관념)에 올라타고는 [만족할 것이] 아니라, 그 단순한 관념["코기토..." 같은]으로부터 흘러나오는 결과들의 그물망을 펼쳐보는 것이며, 또한 그 결과가 갖는 의미를 설명하고 발전시키는 것이다. 고로 이 단순한 관념이 갖는 의미는 그것들이 작용하여 만들어내는 행위나 사건으로부터 독립된 자기소여-자기귀환적인 것은 분명히 아니다." (Pénétrer au cœur d’une pensée, ce ne peut être seulement remonter aux quelques idées simples qui en constituent le fond, mais c’est aussi déployer tout le réseau des conséquences qui découlent de ces idées et qui, en découlant, les expliquent, développent leur signification, qui n’est certainement pas toute donnée et repliée en elles indépendamment du fait de les faire fonctionner.) 이하 텍스트 전문.  

 

Descartes c'est la France

 

Methodos, 2 (2002), L'esprit. Mind/Geist
Analyses et interprétations


Descartes, est-ce la France ?
Pierre Macherey, 2002


Résumé / Le cas de Descartes présente un intérêt privilégié pour l’examen des conditions dans lesquelles une philosophie vient à être considérée comme représentant un esprit national. Le livre d’A. Glucksman, Descartes, c’est la France, publié en 1987 à l’occasion du 350e anniversaire de la parution du Discours de la méthode, constitue un exemple extrême de ce type d’opération, qui exploite une doctrine en en infléchissant certains enjeux fondamentaux.

Abstract / Descartes’ case is particularly interesting to examine the conditions under which a philosophy comes to the point of being considered to represent a national thought. A. Glucksman’s book, Descartes, c’est la France, published in 1987, for the 350th anniversary of the publication of the Discours de la méthode is an extreme example of that kind of process, which exploits a doctrine inflecting some of its fundamental stakes.

 

Texte intégral

Pour une étude de l’idée nationale en philosophie, Descartes constitue à l’évidence un objet privilégié. Qui, mieux que lui, a symbolisé l’incorporation à la lettre d’une philosophie d’un « esprit national » qui, inversement, s’offre directement à déchiffrer à partir des traits distinctifs de cette philosophie, clarté et distinction en première ligne ? C’est ainsi que Descartes a accédé au statut d’une « figure » dans laquelle se seraient concentrés, incarnés, les éléments épars définissant la conscience propre d’une nation, élevée par l’intercession de cette figure à la conscience de soi, et ainsi rendue à elle-même visible et surtout lisible. François Azouvi, dans une importante étude recueillie dans la troisième série des Lieux de mémoire de P. Nora, a minutieusement reconstitué les étapes de la formation de cette figure, étapes de fait contrastées et jalonnées d’incidents, dont le plus célèbre est celui de la panthéonisation manquée, au cours desquelles les diverses instances qui prétendaient représenter le véritable esprit de « la France » se sont disputé, au nom de cet esprit, et de la manière toujours particulière dont elles le concevaient, le droit de délivrer la bonne interprétation du cartésianisme, celle qui autorisait, soit sa récupération, soit au contraire sa mise en réserve ou à l’index, ce qui, dans tous les cas, qu’on soit pour ou qu’on soit contre, revenait à faire de Descartes un enjeu national, et ceci, finalement, bien au-delà de ce qu’autorise une étude du contenu doctrinal effectif de sa philosophie : l’un des principaux intérêts de l’étude de François Azouvi est justement de montrer que cette opération, quelle qu’en ait été l’orientation, a toujours eu pour préalable que Descartes fût, suivant sa très juste formule, « séparé de sa philosophie », comme si la condition pour qu’une philosophie puisse être identifiée à de l’esprit national, et ainsi devienne une idée nationalement connotée, soit qu’elle ait cessé d’être considérée, non seulement comme la philosophie qu’elle est, mais même tout simplement comme philosophie au sens propre du mot.

 

Tout à la fin de son étude, François Azouvi cite la formule triomphale sur laquelle s’achevait le discours prononcé en Sorbonne par Maurice Thorez, le « fils du peuple », à l’occasion de la commémoration du trois cent cinquantième anniversaire de la naissance de Descartes : « À travers les tempêtes et les nuits qui se sont abattues sur les hommes, c’est Descartes qui, de son pas allègre, nous conduit vers les lendemains qui chantent. » Qui cela, « nous » ? En 1946, la chose paraissait tout à fait claire, davantage sans doute qu’elle ne l’était en réalité : étant relégués à l’arrière-plan tous les relents et les soupçons possibles d’internationalisme, c’était bien l’union sacrée du peuple engagé dans la voie de sa reconstruction nationale qui, en toute responsabilité, était affichée ; et Descartes était utilisé alors comme le ciment de cette union idéale des esprits rassemblés dans la voie commune. On sait ce qu’il en advint dès l’année suivante ! La même année 1946, saisissant également l’occasion de cet anniversaire fort opportun, Sartre écrivait, en introduction à un recueil de morceaux choisis publiés dans la collection « Les classiques de la liberté » dirigée par Groethuysen, sa fameuse étude sur « La liberté cartésienne », qui est sans doute l’une des clés de sa philosophie, au début de laquelle il expliquait : « ...c’est pourquoi, nous autres français qui vivons depuis trois siècles sur la liberté cartésienne, nous entendons implicitement par ‘libre arbitre’ l’exercice d’une pensée indépendante plutôt que la production d’un acte créateur... », ce qui n’était pas fatalement trahir la pensée de Descartes, qui s’est bien fait de la liberté une idée de ce genre, mais était quand même lui conférer ce statut paradoxalement irréfléchi, spontané, et pour ainsi dire transphilosophique, d’un « implicite » dans lequel aient pu se reconnaître, « depuis plus de trois siècles », ces « nous autres Français » portant l’héritage d’une commune façon de concevoir la liberté dans laquelle leur histoire, au cours de ces trois siècles, aurait en dernière instance trouvé la condition de son unité. Le « nous autres Français » dont parle la phrase de Sartre n’était sans doute pas exactement le même que le « nous » mis en avant par Thorez : mais les deux « nous » remplissaient finalement la même fonction, celle d’un signe de reconnaissance scellant une alliance ou, d’un mot qui eut beaucoup cours à l’époque, un « rassemblement ».

Descartes, dont l’entreprise philosophique n’était peut-être pas tout à fait coupée de toute visée politique de reconstruction sociale, bien que l’extrême prudence qui a été la sienne sur ce plan l’ait crédité à l’inverse d’une position de complète indifférence à ce sujet, se serait bien sûr fort étonné de ce rôle circonstanciel de rassembleur qui devait ainsi, lui une fois mort et enterré, lui être assigné. Et lui qui, né en France et y ayant fait ses études, l’avait aussitôt quittée comme peu propice à la poursuite d’études scientifiques et philosophiques, aurait sans doute été amusé de cet acharnement à faire de lui le plus français, bon ou mauvais, des philosophes, alors que, comme le relate sa Vie écrite par Baillet, ses rares essais de retour et d’implantation dans son pays natal ont toujours été manqués, et lui ont laissé au cœur un sentiment d’exaspération et d’amertume, bien rendu dans ce passage de sa lettre du 31 mars 1649 à Chanut, écrite sous le coup de l’affaire de la pension promise et finalement oubliée par Colbert : « En sorte que j’ai sujet de croire qu’ils me voulaient seulement avoir en France comme un éléphant ou une panthère, à cause de la rareté, et non point pour y être utile à quelque chose. » Il ne savait pas alors que, d’animal exotique, il allait bientôt, passé au rang de fétiche politique et ainsi acclimaté et domestiqué, devenir l’hôte familier de la maison France, dont la plupart des joutes allaient se dérouler sous son regard et sous sa caution.

 

Un des épisodes les plus récents de cette acclimatation, et non le moins significatif, et qui, en raison de sa proximité, nous concerne de très près, a été, en 1987, à l’occasion cette fois encore d’une commémoration, celle du trois cent cinquantième anniversaire de la publication du Discours de la méthode, la parution de l’ouvrage d’A. Glucksmann, dont le titre tapageur, Descartes c’est la France, attire immédiatement l’attention, l’étonnement intrigué suscité par cet intitulé étant aussitôt renforcé par l’image entre toutes éloquente exposée sur la page de couverture, celle d’un Descartes bleu blanc rouge, ainsi mis par le biais d’un audacieux montage photographique aux couleurs de la France, comme une sorte d’égal ou de rival de la Marianne de nos mairies, étrange emblème d’une passion nationale dont il prétend délivrer les tenants et les aboutissants. Que dissimule cette opération, beaucoup plus subtile et retorse qu’il n’y paraît au départ, et qui ne fait pas que seulement ajouter un épisode de plus à l’histoire de l’élaboration du mythe Descartes confondu avec le mythe France, mais enrichit significativement le contenu de cette représentation ? C’est ce qu’on voudrait examiner ici, en essayant d’aller un peu plus loin que la surprise provoquée par la couverture du livre, donc en l’ouvrant et en le lisant pour en déchiffrer la ou les significations.

 

Tournons d’abord notre attention du côté du sujet du jugement prédicatif « Descartes c’est la France », et demandons nous qui est, ou plutôt quel est, comment est fait et se présente ce Descartes qui, pour avoir la France à sa mesure, doit être lui-même mesuré, c’est-à-dire lu et interprété, de façon appropriée. Et en particulier, en reprenant le critère dégagé de l’étude de François Azouvi, posons la question : la condition de cette opération d’envergure, puisqu’elle tend à élargir Descartes à l’échelle de la France, est-elle qu’il soit « séparé de sa philosophie » ?

 

Disons-le tout de suite, la lecture que Glucksmann propose de Descartes, qui est tout sauf une lecture faible et de juste milieu, est à la fois passionnante et sidérante. Reprenant l’idée déjà avancée par Heidegger d’un Descartes nihiliste, mais la retournant dans le sens d’un nihilisme actif de conquête, ce qui peut faire penser à la démarche suivie par Péguy relisant Descartes à la lumière de Bergson afin d’en faire apparaître la vraie profondeur, inséparable de la révélation de ses faces d’ombre, il trace la figure d’un Descartes tragique, éclairée, la métaphore est récurrente dans tout l’ouvrage, par une raison non pas rayonnante et diurne, entraînée et possédée par l’ivresse d’Eros, mais nocturne, troublée et troublante, sans cesse relancée en avant d’elle-même par la torsion que lui impose Thanatos et ses interminables tourments. Descartes, explique Glucksmann, en particulier dans les passages de la dernière partie du livre consacrés à une brillante interprétation métaphysique des réquisits de la dioptrique, c’est la raison de l’aveugle qui cherche, en tâtonnant avec son bâton, à se faire un chemin dans la nuit, en sachant que l’idée qu’il peut se faire du monde en déchiffrant les rares signes que celui-ci lui envoie n’aura jamais que la valeur précaire d’une reconstruction provisoire, d’une « fable », selon la métaphore reprise à son compte par Descartes lui-même, qui, on le sait, s’était fait peindre tenant à la main un livre dont le titre était Mundus est fabula. Des nombreux passages du livre qui développent cette idée, ne citons que celui-ci qui les résume tous :

« Ou bien idéaliser, voir au grand jour et voir du jour partout ; avec en annexe la possibilité d’infliger une aussi absolue clarté sous la férule des espèces sensibles (Gassendi), d’une intuition divine (Spinoza) et de la conscience de soi (Hegel, Husserl). Ou bien, voir dans la nuit et déchiffrer les ténèbres en tant que ténèbres. »1

[1] II, chap. 3, «À l’entrée du non-monde», éd. Livre (...)

Cette vision nocturne permet d’effectuer un rapprochement inattendu entre Descartes et Pascal, dont les discours, au-delà de leur opposition de surface, se répondraient et se compléteraient : l’un et l’autre, à l’époque classique, se seraient servis de la raison comme d’une arme pour affronter les puissances de l’inconnu et de l’irrationnel, de manière à en circonscrire la pression, non pas en vue de les exorciser fictivement, car ils ont lucidement et courageusement reconnu que cela était impossible sinon justement de façon fictive et apparente, mais pour apprendre à y résister en connaissance de cause, sachant bien que si la folie est l’Autre de la raison, et là Glucksmann par un biais inattendu rejoint Foucault à qui son livre est dédié, cet Autre est en fait logé au cœur même de la raison, qu’il travaille en permanence de son insuppressible souci. Et ici, par-delà Pascal et sa folie de la croix, et l’éloignement de son Deus absconditus, ce sont, en pleine nuit de Gethsemani, Montaigne et Socrate que rejoint Descartes, emporté par la folie critique du doute et de l’aporie, et qui veut juger de tout par lui-même parce qu’il ne fait confiance à personne pour décider à sa place de la vérité, d’une vérité qui, dès lors, a cessé d’être la vérité des choses, la vérité qu’on prête abusivement aux choses, pour devenir seulement sa vérité, dont il prétend, et là est sa seule prétention, assumer jusqu’au bout l’entière responsabilité. Et, ici encore, c’est le Descartes résolu de Péguy qu’on retrouve, ce Descartes de combat, qui dément les mythologies apaisées et apaisantes de la raison souveraine du monde, alors qu’elle doit sans cesse reprendre contre lui la lutte, une lutte qui n’est jamais gagnée d’avance et où aucune victoire ne peut être considérée comme définitive.

 

Pour accréditer cette lecture indiscutablement décapante, Glucksmann, très normalement, revient en permanence sur ce qui constitue la part cachée, la part maudite de la philosophie de Descartes : cette doctrine de la création des vérités éternelles, que, en raison de son caractère extrême et étrange, il n’a explicitement mentionnée dans aucun de ses ouvrages publiés, ne consentant à lever le voile à ce sujet qu’à l’intention de quelques correspondants triés sur le volet et reconnus aptes à en soutenir le choc sans sourciller. Ici encore, nous trouvons un Descartes, non peut-être revu et corrigé, mais souligné d’un trait d’ombre très noir, comme s’il était illustré par Callot ou par Goya :

« Le doute cartésien dynamite les usines secrètes de la création, en mettant en cause la légitimité éternelle des vérités éternelles... L’esprit les subit mais pas au point de ne pouvoir les supposer truquées... Même les plus transparentes de nos illuminations naissent d’une nuit à laquelle elles menacent sans cesse de retourner... »2

[2] II, chap. 2, id., p. 118.

Qu’il n’y ait de nécessité qu’en fonction et à partir de la toute-puissance divine, donc suspendue à ses libres décrets, et donc que, si nous nous pénétrons à fond de cette idée, nous en venions à comprendre, ou plutôt, car c’est là justement quelque chose qu’il nous est impossible de comprendre, à admettre sans chercher à comprendre que notre raison eût pu être tout autre que telle qu’elle s’impose à nous parce que Dieu en a voulu ainsi, voilà qui reconduit radicalement notre raison à ses infranchissables limites, et lui interdit toute spéculation triomphante quant à sa vocation à éclairer définitivement le monde, un monde qui, elle le voit bien, doit pour toujours rester enfoncé dans la nuit. Et ceci nous ramène à l’image de l’aveugle qui tâtonne, ou du cavalier si courageux perdu dans une forêt, qui n’a d’espoir que dans sa propre force de caractère, car celle-ci lui permet de s’y tracer, sans garantie aucune, une voie dans le maquis de ses fourrés, en ayant la lucidité de reconnaître qu’il y est perdu à tout jamais.

 

Il n’est pas possible de reprendre ici la totalité des analyses, toujours extrêmement concentrées, souvent fulgurantes, libres sans être pour autant désinformées, qui jalonnent la démarche de Glucksmann lecteur de Descartes, démarche qui, par ses excès mêmes, ne peut laisser personne indifférent. Nous tenons là un Descartes on ne peut plus nettement défini et caractérisé, penseur septentrional de l’errance et du doute, dont la figure acérée, comme tracée à la pointe sèche, prend à sa façon place dans une certaine tradition de la philosophie française : celle des philosophes qui, pour nous en tenir au XXe siècle, considèrent, après Alain et Bachelard, que raisonner, c’est d’abord savoir dire non et ainsi, pour reprendre la notion qui est au cœur de la pensée de Canguilhem, se confronter aux valeurs négatives du monde et de la vie. Toute la question est alors de savoir si ce Descartes est Descartes, si c’est tout Descartes, ou bien Descartes séparé, sinon de toute sa philosophie, du moins d’une partie de ce qu’elle est. Nous nous contenterons à ce propos de faire deux remarques.

 

La première est suggérée par le rapprochement qu’on ne peut s’empêcher de faire entre la démarche de Glucksmann et celle de Péguy. Or, chez ce dernier, les choses sont tout à fait claires : comprendre Descartes, c’est-à-dire aller directement au cœur de sa pensée profonde, c’est nécessairement l’amputer de son système, en reprise de la conception défendue par Bergson de l’intuition métaphysique, d’où se dégage immédiatement une méthode de lecture des philosophies. Péguy le déclare en toutes lettres dans sa Note sur la philosophie bergsonienne d’avril 1914 : de l’ensemble de l’œuvre de Descartes, vingt lignes au plus méritent d’être sauvées ; prises dans les 2e et 4e parties du Discours de la méthode, ce sont celles qui exposent les règles de la méthode et les règles de la morale provisoire, le reste devant être abandonné à la poussière des bibliothèques dont se repaissent savants et pions de tout poil ; vingt lignes seulement, mais elles ont, dit Péguy dans des pages dont le lyrisme n’a cessé d’impressionner, changé, révolutionné, la face du monde, en déclarant une nouvelle manière de penser, nous dirions de s’orienter dans la pensée. Glucksmann est moins radical que Péguy : et c’est pourquoi il ne se contente pas, pour dessiner la figure de Descartes, de rédiger une simple note, mais écrit tout un livre qui, par certains côtés, est un livre savant, appuyé sur des références bibliographiques complètes et précises ; et ce livre fait à peu près le tour de la philosophie cartésienne, dans des conditions qui ne sont pas seulement celles propres au journalisme, s’agissant même du très bon journalisme que Péguy essayait de faire dans ses Cahiers. Glucksmann va moins loin que Péguy dans le sens d’une réduction de la pensée cartésienne à son minimum vital, mais il va indiscutablement dans le même sens. Sa lecture, méthodiquement unilatérale, on le dit ici sans polémique, tend à faire de Descartes l’homme d’une seule pensée, préoccupation obsessionnelle vers laquelle l’ensemble de son œuvre converge, et que le mot « critique » résumerait le mieux. Et ainsi la richesse de la pensée de Descartes ne se mesure pas à sa complexité, mais consiste en son essentielle simplicité, telle que celle-ci se donne à lire lorsqu’on entreprend d’aller au fond, tout au fond, de sa philosophie, en renonçant à faire prévaloir la forme sur le fond. Et Péguy ne disait finalement rien d’autre.

 

Ceci conduit à la deuxième remarque qui porte sur un point plus particulier. On l’a dit, l’une des preuves essentielles à l’appui de son interprétation de la philosophie de Descartes, Glucksmann la tire de la doctrine de la création des vérités éternelles. On peut admettre que celle-ci constitue l’une des clés de la pensée cartésienne, mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’on lui fait dire au juste, et se demander si, en la dépouillant de son extraordinaire complexité, de manière à la ramener à une leçon simple sinon appauvrie, on ne lui retire pas une partie, une grande partie, voire la plus grande partie, de sa signification. La thèse étonnante selon laquelle, si Dieu, qui a établi les vérités comme un roi le fait des lois dans son royaume, l’avait voulu, les propriétés des figures et des nombres seraient différentes de celles que nous connaissons, et donc deux et deux ne feraient plus quatre, est-elle compréhensible si on la sépare de l’idée, nettement affirmée par Descartes, selon laquelle, en Dieu, à la différence de ce qui se produit dans l’esprit humain, entendement et volonté ne font qu’un ? Autrement dit, si Dieu a créé librement les vérités, sans avoir pour cela à s’en tenir à une règle préalable que lui aurait fixée son entendement, il n’est pas non plus juste d’avancer que, dans cette affaire, la volonté de Dieu a devancé ce que l’entendement pouvait lui proposer, puisque c’est en même temps, d’un seul et même acte, qu’il a voulu et connu les vérités qui sont les effets de sa toute-puissance, et, en dehors de celle-ci, n’ont aucune réalité, donc aucune force pour se faire reconnaître : et en conséquence, c’est à notre point de vue, par définition limité, que la libre création de Dieu se présente sous le jour de l’arbitraire d’un coup de dés, alors que, à son point de vue à lui, elle a dû être à la fois libre et nécessaire, tout en se présentant à notre point de vue comme indifférente. Or, ceci mis en lumière, on commence à mesurer à quel point la doctrine cartésienne de la création des vérités éternelles a pu nourrir la réflexion philosophique d’un Spinoza qui, en rangeant ces mêmes vérités, comme appartenant aux modes infinis de la substance pensante, dans l’ordre de la nature naturée, en a fait lui aussi des effets de la toute-puissance divine, et non des formes idéales de rationalité préexistant à son action et indépendantes de celle-ci. Et ceci pourrait être une occasion de reprendre à nouveaux frais la question du rapport entre les conceptions de Dieu chez Descartes et Spinoza, qui sont peut-être moins différentes et éloignées qu’on ne le suppose trop souvent, la seule chose qui les sépare réellement étant que, pour Descartes, Dieu est pur esprit, bien que certainement pas esprit personnel. De cette remarque qui n’a pu qu’être esquissée, on tirera la conclusion suivante : pénétrer au cœur d’une pensée, ce ne peut être seulement remonter aux quelques idées simples qui en constituent le fond, mais c’est aussi déployer tout le réseau des conséquences qui découlent de ces idées et qui, en découlant, les expliquent, développent leur signification, qui n’est certainement pas toute donnée et repliée en elles indépendamment du fait de les faire fonctionner. Et, de ce point de vue, la mythologie de la profondeur exploitée par Péguy et par Glucksmann ne peut que laisser insatisfait.

 

Tournons nous à présent du côté du prédicat du jugement « Descartes c’est la France » : cette France que Descartes est, ou plutôt cette France que c’est, Descartes. Car l’assertion que Glucksmann a utilisée pour intituler son livre n’est certainement pas à prendre au premier degré. « Descartes c’est la France », ce n’est pas une constatation, débouchant sur la prise en compte banale de faits du type de ceux-ci : Descartes est français, ou la France est cartésienne ; mais c’est l’affirmation, la revendication critique d’un droit : Descartes, c’est ce que la France, non pas est de fait mais devrait être, si elle était conforme à son idée, à laquelle sa réalité, par définition, se mesure à distance. Ceci est clairement précisé sur la 4e de couverture, où l’esprit de l’ouvrage est ainsi résumé :

« La France, non pas l’Hexagone ni le sang, ni le sol ni la race, mais une civilisation. De la France, Descartes à Amsterdam, comme trois siècles plus tard de Gaulle à Londres, affirme une certaine idée... »

Descartes à Amsterdam, c’est comme de Gaulle à Londres : le porteur de l’idée nationale qui a su prendre ses distances, opérer la rupture nécessaire entre le fait et le droit, entre le pays réel et le pays essentiel, pour faire prévaloir, en disant non, dans le doute et dans l’errance, une certaine idée de la France. Et ceci, une nouvelle fois, nous ramène à Péguy, et à sa conception combattante de la philosophie, au point de vue de laquelle les grands philosophes, avant d’être des penseurs ou des savants, sont comme des capitaines ou des chefs de guerre. Toute la question est alors de savoir à quelle guerre on a affaire ici, étant entendu que celle-ci ne peut être ramenée dans les limites d’une simple dispute d’idées, mais comporte des enjeux vitaux, et précisément des enjeux nationaux, dans la défense desquels la philosophie, lorsqu’elle se sait et se veut responsable, est embarquée. Pour le dire en d’autres termes, la lecture qui nous est ainsi proposée de Descartes est en dernière instance politique : et on n’aurait rien contre, sauf quand même à mieux définir le type de politique qui est ici visé.

 

Il faut donc que nous nous demandions dans quelle sorte de combat Descartes, ce Descartes que c’est, la France, est impliqué. Nous disons bien est impliqué. Car si de Gaulle à Londres disait non à Pétain, faisant ainsi valoir une certaine idée de la France, cela n’aurait bien sûr aucun sens de dire que Descartes à Amsterdam disait non à la monarchie française, l’important étant de savoir, non pas à qui il disait non, à l’imparfait, mais à qui il dit non, au présent, incarnant ainsi une certaine idée de ce que, la France, c’est, et non c’était. Or, sur ce plan encore, les choses sont parfaitement claires, Glucksmann n’étant pas de ceux qui marchent à pas de colombes. Nous, Français d’aujourd’hui lecteurs de Descartes, et qui, en lisant Descartes, nous expliquons à nous-mêmes ce que c’est, la France, nous ne le savions peut-être pas, mais nous sommes en guerre : en guerre avec d’invisibles agresseurs venus de toute part, surgis de la nuit, qui, sous couleur de vouloir notre bien nous veulent en fait le plus grand mal ; mais d’abord et avant tout nous sommes en guerre avec nous-mêmes, et c’est ce conflit intérieur que nous révèle la lecture de Descartes, pourvu qu’elle sache aller droit à l’essentiel. Les protagonistes de ce conflit ? La bonne France, celle qui résiste, en disant non, et apprend à le faire précisément chez Descartes, cet ancien nouveau philosophe, et chez nul autre, et l’autre France, celle qui n’est pas bonne, celle qui, à tous les sens du mot, abuse, en injectant à l’esprit français le poison des mauvaises pensées. Ces mauvaises pensées, on les a immédiatement reconnues : ce sont celles que propagent les « maîtres penseurs », ces voyants illuminés et extralucides qui prétendent détenir le secret radieux des lendemains qui chantent, et nous enfoncent ainsi au plus profond de notre nuit, d’une nuit rendue plus obscure et plus opaque de n’être pas affrontée comme nuit, et d’être travestie en jour, et même en « grand jour », voire en « grand soir ».

 

Ces maîtres penseurs, tout le monde le sait, sont natifs d’Allemagne : entre autres, ils s’appellent Leibniz, avec son optimisme prétendument rationnel, Hegel, avec sa logique de l’histoire, et surtout Marx, avec son idée du prolétariat comme classe universelle capable à elle seule de représenter les intérêts de l’humanité tout entière, et ainsi appelée, par représentants interposés – et comme, le prolétariat, personne ne sait ce que c’est puisque ça n’existe pas, n’importe qui peut s’en prétendre le représentant –, à exercer sur elle une impitoyable dictature. Mais le fait qu’ils soient venus d’Allemagne ne signifie pas qu’il faille recommencer, comme du temps de Péguy, qui, lui, n’aimait surtout pas Kant, et sa raison froidement déracinée, le combat sempiternel de la France et de l’Allemagne. Pas plus que le Descartes que c’est, la France, n’est l’Hexagone, avec ses frontières matérielles qu’il faut défendre contre les agressions de l’ennemi héréditaire, les maîtres penseurs ne sont non plus l’Allemagne si on peut dire physique et organique, qui nous menacerait de l’autre côté du Rhin : mais c’est cette Allemagne intérieure, dont nous sépare seulement une frontière mentale, cette Allemagne qui est dans nos têtes à nous, Français qui nous sommes détournés de la voie ouverte par Descartes, et qui, croyant aux promesses de vérité absolue dispensées par les mages de l’esprit, à qui après tout ça ne coûte rien, avons perdu, ce qui est le fond même de la pensée cartésienne, le sens de l’erreur, et la nécessité d’être en permanence vigilant contre sa menace que nul exorcisme ne peut réellement et définitivement dissiper.

 

Alors, il faut quand même que nous nous demandions si Descartes est effectivement cela que, la France, c’est, avec les résonances très particulières de ce « c’est » qui claque comme un drapeau. Est-ce bien lui rendre service, et surtout est-ce rendre service à la philosophie, que de l’enrégimenter dans cette chasse aux sorcières nouveau style, et de lui faire présider un tribunal d’enquête qui s’apparente fort à une inquisition nourrie de tous les amalgames possibles et imaginables ? Tu t’intéresses à Spinoza, tu lis Hegel, tu travailles sur Marx ? Tu es un mauvais français, complice et collaborateur des bourreaux d’Auschwitz et du goulag, si ce n’est des terroristes islamistes ! Les dernières pages du livre de Glucksmann grondent et menacent :

« ... Les Français ne maintiennent leur originalité historique qu’à décevoir Marx, Khomeiny et autres messies qui prétendent réaliser la philosophie par le politique ou suturer les problèmes politiques en imposant la solution définitive (sic) d’une quelconque prédication théorique ou religieuse. Depuis le XVIe siècle, il existe heureusement des mécréants, qui séparent continûment pour les confronter sans cesse l’actualité qui bouleverse et la pensée qui fait face, la part du malin génie et celle du cogito... Longtemps l’humanité de l’homme fut champ de bataille et enjeu pour diverses persuasions. Descartes change la donne, ôte le trophée, donc transforme le jeu. Le conflit des humanismes positifs devient sans objet ; non seulement Physis et Cosmos sont perdus, mais ils ne sont pas à retrouver ; aucune renaissance ne leur est due ; la persuasion qui animait ces grands englobants est déconnectée, au point que leur harmonieuse existence de jadis paraisse douteuse, sauf sous les traits, illusion par trop rétrospective, d’un adieu rêveur que la Grèce finissante adresse à elle-même. Quant aux contemporains, ils se feront contemporains de la dissuasion cartésienne, ou ils finiront mal à trop vouloir s’entendre sur le Bien, plutôt que sur leur mésentente, ou leur doute. »3

[3] Id., p. 384 s.

On appréciera le ton de prophète adopté par celui qui s’est engagé dans la croisade contre l’esprit de prophétie. On s’étonnera de la ruse de l’histoire qui garantit à ce « dissident » de tomber immanquablement du bon côté. Et on plaindra Descartes d’avoir couvert de son autorité l’imposture d’une revendication de tolérance qui est en fait, très dialectiquement, une manifestation d’intolérance. Non, Descartes c’est pas la France !

 

Notes

1 II, chap. 3, «À l’entrée du non-monde», éd. Livre de poche, p. 130.
2 II, chap. 2, id., p. 118.
3 Id., p. 384 s.


Pour citer cet article Référence électronique

Pierre Macherey, « Descartes, est-ce la France ? », Methodos, 2 (2002), L'esprit. Mind/Geist, [En ligne], mis en ligne le 5 avril 2004. URL : http://methodos.revues.org/document94.html. Consulté le 22 avril 2009.

 

Auteur

Pierre Macherey, Université Lille 3, UMR «Savoirs et Textes»

Articles du même auteur :
Idéologie : le mot, l’idée, la chose. [Texte intégral], Paru dans Methodos, 8 (2008), Chimie et mécanisme à l'âge classique
Une poétique de la science : [Texte intégral], Paru dans Methodos, 6 (2006), Science et littérature NavigationChercher

 

 

[여담] 위의 마셔레 텍스트와는 별개로, 내가 세상 물정을 잘 모르기도 하고, (많이는 아니지만) 데카르트 연구(공부)가 남한에서는 어떻게 이뤄지고 있는지가 약간은 궁금하여 알라딘에 올라와 있는 책들을 대충 훑어봤다. 어떻게 된 심판인지 데카르트의 기본서 외에는 이렇다 할 연구서나 번역서는 눈에 잘 띄지 않는다. 내가 여기서 데카르트의 중요성을 재론할 처지는 아니지만, 김상환이 정통 빠리 4대학에서 데카르트 연구로 학위를 받았고, 그 덕에, 그리고 데카르트의 중요성이 감안돼서 서울대에 들어간 것으로 아는데, 그는 왜 데카르트의 원전이나 연구서를 (재)번역 하지를 않고 이상한(!) 글만 쓰는지 이해할 수가 없다. 김상환이 쓴 책의 주제들을 연대기로 보면 이렇다: 96년-해체론; 99-예술; 2000-문학, 니체, 김수영론; 02-지식인; 05-지젝 (언젠가는 부르디외 책도 번역한 것으로 아는데 안 찾아진다). 누군가의 흥미와 관심을 제3자가 뭐라할 이유야 전혀 없겠지만, 전공자, 그것도 드물고 귀한 정통의 제대로 된 전공자가 맞다면, 전공분야의 원전이나 기본 해설서에 대한 재검토와 번역이 다른 무엇보다 우선한다는 일종의 사회적 책임으로부터 진정 자유로와도 되는지 약간 의문이다. 뭐 첨단 자유주의사회니깐... 되겠지.

데카르트의 기본서라고 해봐야 <성찰>과 <방법서설>의 얇은 두 권이 핵심이겠지만, 이에 딸린 연구서는 중요한 것만으로도 넘치고 넘쳐 제목도 다 기억 못 할 지경인데, 그 중에서 과연 뭐가 번역돼 있는지는 찾기가 어렵다. 나같은 비전공자에게도 아래 사진의 세 연구서는 <성찰> 만큼이나 귀중한 책으로 거의 고전의 반열에 올라있는 것으로 알려져 있는데, 두 저자의 이름은 알라딘에서 찾을 수가 없는 게 좀 이상하다. 아마도 내 검색능력의 부실 탓이라고 믿어본다. 

 

La pensée métaphysique de DescartesLivre - Descartes Au Fil De L'OrdreLa philosophie première de Descartes

Henri Gouhier, La pensée métaphysique de Descartes, Vrin, 1962, 69, 78, 87, 99(4e ed.), 416 p., 34 euros.
Jean-Marie Beyssade, La philosophie première de Descartes, Flammarion, 1979, 377 p.
Jean-Marie Beyssade, Descartes au fil de l'ordre, PUF, 2001, 328 p., 30 euros.

 

 

[참고] Descartes et Montesquieu : de l'objectivité de la nature à l'idée de système politique
Etienne Géhin Revue de sociologie française   Année  1973  Volume  14  Numéro  14-2  pp. 164-179
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1973_num_14_2_2197

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[marx] Macherey,08) Thèses sur Feuerbach

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