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  1. 2009/05/03
    Démocratie, dans quel état ? (벤사이드, 지젝 외 6명)
    tnffo
  2. 2009/04/27
    바디우,2009) 공산주의적 가설 & 철학...(2)
    tnffo

Démocratie, dans quel état ? (벤사이드, 지젝 외 6명)

아무리 지겨워도 지나칠 수 없이 잡고 늘어져야만 하는 지난한 문제, 그래서 내 블로그에서도 가장 많이 다룬 주제인 '민주주의'에 대해, 구체적으로는 <민주주의, (도대체) 어떤 상태에서?> 라는 질문에 대해, 8명의 대가들이 답변에 나섰고 그것을 담은 책이 1주일 전에 막 나온 모양이다. 이런 모둠의 주동자로 추정되는 지젝과 영국인 2명을 뺀 주전 선수들의 명단은 이렇다 (연장자 순) : 바디우37, 랑시에르40, 낭시40, 아감벤42, 벤사이드46.

총 8명의 프로 선수들이 그들의 주종목인 민주주의에 대해, -편집자 소갯글에 따르면- 무슨 새로운 개념적인 "정의나 사용법을 다시 찾거나 찬-반의 평결을 내리는 것은 아니고, 예견 되고 희망 될 민주주의에 대한 그들의 구체적 의견을 서로간의 다양성과 대결 속에서 각기 제시하는"(밑줄) 모양이다. 그 중에서도 벤사이드의 "민주주의, 영원한 스캔들", 랑시에르의 "민주주의에 반하는 여러 민주주의", 지젝의 "민주주의에서 신성폭력으로" 등의 아티클에 눈길이 간다. 전체 160쪽에 8명의 글이니, 한 아티클 당 20쪽 정도가 나오는 읽기에 적절한 책으로 여겨짐. 책값도 13유로면 적당. 그래도 나중에 복사나 뜨자.

 

Démocratie, dans quel état ?

 

Démocratie, dans quel état ?, Fabrique, 2009-04-24, 160 pages, 13.00 €

Auteur : Agamben, G. ; Badiou, A. ; Bensaid, D. ; Brown, W. ; Nancy, J.-L. ; Ranciere, J. ; Ross, K. ; Zizek, S.
 

[목록]
Giorgio Agamben, Note liminaire sur le concept de démocratie
Alain Badiou, L'emblème démocratique
Daniel Bensaïd, Le scandale permanent
Wendy Brown, Nous sommes tous démocrates à présent
Jean-Luc Nancy, Démocratie finie et infinie
Jacques Rancière, Les démocraties contre la démocratie
Kristin Ross, démocratie à vendredi
Slavoj Zizek, De la démocratie à la violence divine
 

[모르는 영-미인 2명]
- Wendy Brown, professeur de sciences politiques à Berkeley, université de Californie. Elle a récemment publié en français Les Habits neufs de la politique mondiale (les prairies ordinaires, 2007).

- Kristin Ross, professeur de littérature comparée à la New York University. Ses livres publiés en français : Mai 68 et ses vies ultérieures (Complexe, 2005) et Rouler plus vite, laver plus blanc (Flammarion, 2006). A paraître prochainement : Rimbaud et la Commune (Textuel).


[출판사 책소개]
« Qu est-ce donc qu un démocrate, je vous prie ? C est là un mot vague, banal, sans acception précise, un mot en caoutchouc. » Cette question, ce jugement sans appel d'Auguste Blanqui datent d'un siècle et demi nais gardent une actualité dont ce livre est un signe. Il ne faut pas s'attendre à y trouver une définition de la démocratie, ni un mode d'emploi et encore moins un verdict pour ou contre. Les huit philosophes qui ont accepté d y participer n'ont sur le sujet qu'un seul point commun : ils et elles rejettent l'idée que la démocratie consisterait à glisser de temps à autre une enveloppe dans une boîte de plastique transparent. Leurs opinions sont précises dans leurs divergences, voire contradictoires ce qui était prévu et même souhaité. Il en ressort, pour finir, que tout usé que soit le mot « démocratie », il n'est pas à abandonner à l ennemi car il continue à servir de pivot autour duquel tournent, depuis Platon, les plus essentielles des controverses sur la politique. (Présentation de l'éditeur, http://www.lafabrique.fr/catalogue.php?idArt=402)

 

[다른 소개]

Dans les années 1920, La Révolution surréaliste proposait dans plusieurs livraisons des enquêtes sur des sujets dont le point commun était qu'il semblait impossible d'en dire quoi que ce soit de nouveau – l'amour, le suicide, le pacte avec le diable. Pourtant, les réponses d'Artaud, de Crevel, de Naville, de Ernst, de Bunuel, projettent sur ces thèmes des éclairages croisés qui nous surprennent encore, un siècle plus tard ou presque. C'est avec ce modèle en tête que ce livre a été lancé, avec une question ainsi formulée : Le mot « démocratie » semble aujourd'hui organiser un consensus très vaste. Certes, on discute, parfois âprement, au sujet de la ou des significations de ce mot. Mais, dans le « monde » où nous vivons, il est généralement admis de lui attribuer une valeur positive. D'où notre question : pour vous, y a-t-il un sens à se dire « démocrate »? Si non, pourquoi ? Et si oui, selon quelle interprétation du mot ?

Les philosophes interrogés sont pour certains des auteurs et amis de la Fabrique. D'autres, nous ne les connaissions que par leurs travaux, qui nous laissaient penser qu'ils et elles avaient sur la démocratie des idées non conformes au discours habituel. Leurs réponses sont diverses et parfois contradictoires, ce qui était prévu et même souhaité. Dans ce livre, on ne trouvera donc pas une définition de la démocratie, ni un mode d'emploi et encore moins un verdict pour ou contre. Il en ressort simplement que le mot n'est pas à abandonner, car il continue à servir de pivot autour duquel tournent les plus essentielles des controverses sur la politique.(상동) (Information publiée le mercredi 29 avril 2009 par Laure Depretto, http://www.fabula.org/actualites/article30960.php)

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바디우,2009) 공산주의적 가설 & 철학...

이번달 7일에 나온 바디우의 새 책, <공산주의적 가정(가설)>(hypothèse communiste)에 대한 소개기사와 발췌문이 며칠동안이나 뤼마니떼(l'Humanite)에 걸려있었지만, 바디우의 진지한 가정은 아니리라는 내 건방진 판단으로 그냥 지나치곤 했었는데, 오늘 마침내 "공산주의: 가정에서 실천으로"라는 제목을 단 비판기사가 나왔다. 비판기사의 필자는 '아무나'가 아니고 빵세( Pensée)라는 권위있는 철학잡지의 부 편집자라니 운동권적 비판기사는 아니리라 여겨진다. 바디우 책의 소개기사와 발췌문은 좀 길기 때문에 비판기사를 먼저 읽고 그 대상물의 독서 여부를 결정하도록 여기서는 순서를 조정한다.

책 그림을 퍼오다보니 바디우는 지난 1월에도 <공산당 선언>에 빗댄 듯한 제목의 책, <두번째 철학선언>(Second manifeste pour la philosophie-철학을 위한 제2의 선언)을 출판한 것으로 돼 있다. 참, 노인이 막판에 무슨 남은 미련이 그리 많은지 엄청난 열정을 보이고 있는데, 두 책 모두 별로 두껍지도 비싸지도 않은 걸로 봐서 대단한 역작은 아닐 듯하고 그냥 그렇지 싶다. 두껍다고 다 좋은 책인 것은 아니겠지만, 랑시에르도 그렇고 바디우도, 왜 대가라는 사람들이 살 날도 얼마 안 남았을텐데 고전이 될만한 역작은 안 쓰고 자잘한(!) 다작으로 승부를 거는지(더 승부할 것도 없을텐데!)가 나는 좀 의문이다. '작은' 책도 따라가기가 힘겨운 처지(꼴)에 주제넘는 불평인지는 모르겠지만, 오히려 그래서 교과서 같은 기본서 한 권이 나는 더 그립다. 어쨌건 선택권이 내게 있는 게 아니니 따라는 가본다.

 

Second manifeste pour la philosophieCirconstances : Tome 5, L'hypothèse communiste 

Alain Badiou, Circonstances : Tome 5, L'hypothèse communiste, Nlles Ed. Lignes (7 avril 2009), 205 p., 15 euros.
Alain Badiou, Second manifeste pour la philosophie, Fayard (14 janvier 2009), 155p., 14euros.

 

 

[비판글]

Communisme : de « l’hypothèse » à la pratique
Tribune libre - Article paru le 25 avril 2009 l’Humanité des débats

Par Aymeric Monville, rédacteur en chef adjoint de la revue la Pensée, directeur des éditions Delga.

 

Pourqquoi faut-il prolonger le débat ouvert par Alain Badiou ?
Des phénomènes aussi divers que les conflits sociaux qui surgissent spontanément à la faveur de la crise, ou encore l’arrivée sur le devant de la scène d’intellectuels « extérieurs » au PCF mais revendiquant haut et fort le terme de communisme sont autant de symptômes d’un mouvement de fond qui parcourt la société française. Comme militants communistes, on ne saurait ni l’ignorer ni accepter qu’on en reste là. Dans tout conflit politique d’envergure apparaissent toujours des luttes spontanées, lesquelles passent ensuite à un niveau supérieur d’organisation. On peut débattre de la manière dont il convient d’articuler mouvement spontané et parti organisé. Mais il ne faut pas confondre la spontanéité des luttes et l’idéologie spontanéiste, qui prétend se passer de tout parti. Extrémité que même une dirigeante historique comme Rosa Luxemburg, réputée plus méfiante envers la bureaucratie, pour des raisons nationales et historiques évidentes, n’a bien entendu jamais envisagée. Franchissant néanmoins le pas, le philosophe Alain Badiou proposait récemment dans ces colonnes d’en finir avec la forme-parti (*). Mais on ne trouve pas, pour le moins, dans ses propositions, de garanties suffisantes permettant de continuer à articuler, comme est censé le faire un Parti communiste, le contrôle démocratique de la base et la perspective d’un débouché politique. Force est de reconnaître que la révolution culturelle chinoise, proposée en exemple dans ce point de vue, a perdu sur les deux tableaux : elle a non seulement détruit le parti de la Longue Marche, mais elle a également noyé dans le chaos l’effort gigantesque du peuple chinois pour entrer dans la démocratie socialiste. Mais la forme-parti n’est pas la seule à subir une forclusion ; les classes sociales sont étonnamment absentes de cette réflexion d’Alain Badiou, à tel point qu’on peut parler d’individualisme méthodologique. Malgré les références directes à Platon et suggérées à Lacan, il semble que c’est plutôt dans le sillage de Sartre que le philosophe va chercher sa théorie de la subjectivité. Cette subjectivité, certes glorieuse, sait trouver le chemin des grands élans collectifs. Mais le risque que présente ce volontarisme ou, plutôt, pour prendre les termes du philosophe, cette « projection héroïque mais individuelle », est de partir d’une morale du « devoir être », au mépris des contingences, et non d’une morale objective et de l’analyse concrète des forces politiques en présence. Avec les conséquences meurtrières que l’on sait… C’est un risque similaire que l’on court à abandonner une perspective historique face à l’État, laquelle doit, en effet, beaucoup à Hegel, bête noire de Badiou, mais aussi à Gramsci. Pour Alain Badiou, l’État, n’est perçu qu’en termes de contraintes et jamais de possibilités. Il ne s’agit plus de chercher, comme dans la tradition marxiste, en quoi l’État s’articule sur le processus qui conduit du règne de la nécessité à celui de la liberté, ni de comprendre sur quels rapports de forces s’établit la domination de classe de l’État. Bien au contraire, c’est l’inscription dans le réel du projet communiste qu’il s’agit de déchiffrer, comme une réalité déjà à l’oeuvre aujourd’hui non simplement dans les esprits, mais dans l’évolution du mode de production. Certes, pas comme une nécessité mécanique, mais comme une possibilité permise par le développement des forces productives et les luttes en cours, perspective qui constitue l’un des apports cruciaux de Marx par rapport au socialisme utopique.

(*) voir l’Humanité du 17 avril 2009.

 


Philosophie
L'Hypothèse communiste, par Alain Badiou
EXCLUSIVITÉ. Le nouveau livre événement du philosophe Alain Badiou, l’Hypothèse communiste, sort en librairie ce samedi 18 avril. L’auteur et son éditeur, Nouvelles Éditions Lignes, nous ont donné leur accord pour en publier des extraits.

On pourrait suggérer sans ironie : de quoi Alain Badiou est-il le nom ? Ou proposer une variante plus signifiante encore : de quoi Alain Badiou est-il le signe ? Admettons que ces deux questionnements, parce qu’ils « disent » quelque chose de notre ici-maintenant et révèlent aux yeux de tous quelques marqueurs originaux de notre inconscient collectif, restent intimement mêlés. Au fond, qui n’a jamais lu le moindre de ses livres, à commencer par le sulfureux et fascinant De quoi Sarkozy est-il le nom ? publié en 2007 (1), ne peut comprendre comment et pourquoi Alain Badiou s’est subitement imposé tel un météore sur la scène médiatique intellectuelle - d’ordinaire très hermétique et autocentrée sur quelques noms, BHL, Finkielkraut et consorts - alors que ce même homme, professeur à la réputation « dithyrambique » à en croire ses élèves, arpente le monde de la philosophie et des idées en général depuis quarante ans déjà…

Car voilà. Le philosophe, mais également romancier et dramaturge, à soixante-douze ans, n’est pas que le pamphlétaire flingueur du capitalisme (et de tous ses valets zélés) qui annonce clairement : « S’agissant de l’antique capitalisme, le verdict, solidement étayé, me semble aller de soi : inacceptable, il doit être détruit. » Non, Badiou est aussi (et essentiellement, pourrait-on dire) l’un des théoriciens des ruptures. En somme, celui qui dérange et invite à repenser le monde, le rôle de l’État, les limites de la démocratie, l’idée républicaine, l’évolution des formes d’opposition, les combats sociaux, etc.

Ainsi, avec l’Hypothèse communiste, intitulé qui figurait déjà comme tel dans le dernier chapitre du livre consacré à Sarkozy et dont il embrasse cette fois toute l’ampleur, le philosophe affirme que l’idée communiste « en est encore, historiquement, à ses tous débuts ». À toutes fins utiles, l’auteur verbalise, pour mieux la mettre à distance, la fameuse « preuve » historique de « l’échec » du communisme, à partir d’exemples caractéristiques (Commune de Paris, Mai 68, etc.). Donc, ce qu’il appelle « l’expérimentation historique des politiques » reste toujours ce à partir de quoi « on peut inventer de nouvelles solutions aux problèmes sur lesquels cette expérimentation a buté »…

Y a-t-il une hypothèse Alain Badiou ? En bousculant (avec quelques autres tout de même) l’ordre établi, le philosophe, érudit de toujours mais goguenard en diable, ne fait pas que sauver l’honneur. Par les temps qui courent, il incarne à sa manière une forme de courage qui nous surprend tous. Jusque dans ses éclats. (Jean-Emmanuel Ducoin)

(1) Déjà chez Nouvelles Éditions Lignes.

 

 


 

« Bonnes feuilles » [발췌문]


"Mon but aujourd’hui est de décrire une opération intellectuelle à laquelle je donnerai – pour des raisons qui, je l’espère, seront convaincantes - le nom d’Idée du communisme. Sans doute le moment le plus délicat de cette construction est-il le plus général, celui où il s’agit de dire ce que c’est qu’une Idée, non pas seulement au regard des vérités politiques (et dans ce cas, l’Idée est celle du communisme), mais au regard d’une vérité quelconque (et dans ce cas, l’Idée est une reprise contemporaine de ce que Platon tente de nous transmettre sous les noms d’eidos, ou d’idéa, ou même plus précisément d’Idée du Bien). Je laisserai implicite une bonne part de cette généralité, pour être aussi clair que possible en ce qui concerne l’Idée du communisme. (…)
J’appelle « Idée » une totalisation abstraite des trois éléments primitifs, une procédure de vérité, une appartenance historique et une subjectivation individuelle. On peut immédiatement donner une définition formelle de l’Idée : une Idée est la subjectivation d’une relation entre la singularité d’une procédure de vérité et une représentation de l’Histoire. Dans le cas qui nous occupe, on dira qu’une Idée est la possibilité, pour un individu, de comprendre que sa participation à un processus politique singulier (son entrée dans un corps-de-vérité) est aussi, en un certain sens, une décision historique. Avec l’Idée, l’individu, en tant qu’élément du nouveau Sujet, réalise son appartenance au mouvement de l’Histoire. Le mot « communisme » a été durant environ deux siècles (depuis la « Communauté des Égaux » de Babeuf jusqu’aux années quatrevingt du dernier siècle) le nom le plus important d’une Idée située dans le champ des politiques d’émancipation, ou politiques révolutionnaires. Être un communiste, c’était sans doute être un militant d’un Parti communiste dans un pays déterminé. Mais être un militant d’un Parti communiste, c’était être un des millions d’agents d’une orientation historique de l’Humanité tout entière. La subjectivation liait, dans l’élément de l’Idée du communisme, l’appartenance locale à une procédure politique et l’immense domaine symbolique de la marche de l’Humanité vers son émancipation collective. Donner un tract sur un marché était aussi monter sur la scène de l’Histoire.

On comprend dès lors pourquoi le mot « communisme » ne peut pas être un nom purement politique : il lie en effet, pour l’individu dont il soutient la subjectivation, la procédure politique à autre chose qu’elle-même. Il ne peut pas non plus être un mot purement historique. Car, sans la procédure politique effective, dont nous verrons qu’elle détient une part irréductible de contingence, l’Histoire n’est qu’un symbolisme vide. Et enfin, il ne peut pas être non plus un mot purement subjectif, ou idéologique. Car la subjectivation opère « entre » la politique et l’histoire, entre la singularité et la projection de cette singularité dans une totalité symbolique, et, sans ces matérialités et ces symbolisations, elle ne peut advenir au régime d’une décision. Le mot « communisme  » a le statut d’une Idée, ce qui veut dire que, à partir d’une incorporation, et donc de l’intérieur d’une subjectivation politique, ce mot dénote une synthèse de la politique, de l’histoire et de l’idéologie. C’est pourquoi il vaut mieux le comprendre comme une opération que comme une notion. (…)

Il est aujourd’hui essentiel de bien comprendre que « communiste » ne peut plus être l’adjectif qui qualifie une politique. Ce court-circuit entre le réel et l’Idée a donné des expressions dont il a fallu un siècle d’expériences à la fois épiques et terribles pour comprendre qu’elles étaient mal formées, expressions comme « Parti communiste » ou - c’est un oxymore que l’expression « État socialiste » tentait d’éviter - « État communiste ». On peut voir dans ce court-circuit l’effet au long cours des origines hégéliennes du marxisme. Pour Hegel en effet, l’exposition historique des politiques n’est pas une subjectivation imaginaire, c’est le réel en personne. Car l’axiome crucial de la dialectique telle qu’il la conçoit est que « le Vrai est le devenir de lui-même », ou, ce qui revient au même, « le Temps est l’être-là du Concept ». Dès lors, selon le legs spéculatif hégélien, on est fondé à penser que l’inscription historique, sous le nom de « communisme », des séquences politiques révolutionnaires, ou des fragments disparates de l’émancipation collective, révèle leur vérité, qui est de progresser selon le sens de l’Histoire. (…) Il faut donc commencer par les vérités, par le réel politique, pour identifier l’Idée dans la triplicité de son opération : réel-politique, symbolique-Histoire, imaginaire-idéologie. Je commence par quelques rappels de mes concepts usuels, sous une forme très abstraite et très simple.

J’appelle « événement » une rupture dans la disposition normale des corps et des langages telle qu’elle existe pour une situation particulière (…). L’important est ici de remarquer qu’un événement n’est pas la réalisation d’une possibilité interne à la situation, ou dépendante des lois transcendantales du monde. Un événement est la création de nouvelles possibilités. Il se situe, non pas simplement au niveau des possibles objectifs, mais à celui de la possibilité des possibles. (…) J’appelle « État », ou « état de la situation  », le système des contraintes qui, précisément, limitent la possibilité des possibles. On dira aussi bien que l’État est ce qui prescrit, ce qui, dans une situation donnée, est l’impossible propre de cette situation, à partir de la prescription formelle de ce qui est possible. L’État est toujours la finitude de la possibilité, et l’événement en est l’infinitisation. Qu’est-ce qui aujourd’hui, par exemple, constitue l’État au regard des possibles politiques ? Eh bien, l’économie capitaliste, la forme constitutionnelle du gouvernement, les lois (au sens juridique) concernant la propriété et l’héritage, l’armée, la police… On voit comment, au travers de tous ces dispositifs, de tous ces appareils, y compris ceux, naturellement, qu’Althusser nommait « appareils idéologiques d’État » – et qu’on pourrait définir par un but commun : interdire que l’Idée communiste désigne une possibilité –, l’État organise et maintient, souvent par la force, la distinction entre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Il en résulte clairement qu’un événement est quelque chose qui advient en tant que soustrait à la puissance de l’État. J’appelle « procédure de vérité », ou « vérité  », une organisation continue, dans une situation (dans un monde), des conséquences d’un événement. On notera aussitôt qu’un hasard essentiel, celui de son origine événementielle, coappartient à toute vérité. J’appelle « faits » les conséquences de l’existence de l’État. On remarque que la nécessité intégrale est toujours du côté de l’État. On voit donc qu’une vérité ne peut être composée de purs faits. La part non factuelle d’une vérité relève de son orientation, et on la dira subjective. On dira aussi que le « corps » matériel d’une vérité, en tant qu’il est subjectivement orienté, est un corps exceptionnel. Usant sans complexe d’une métaphore religieuse, je dis volontiers que le corps-de-vérité, pour ce qui en lui ne se laisse pas réduire aux faits, peut être nommé un corps glorieux. Concernant ce corps, qui est celui, en politique, d’un nouveau Sujet collectif, d’une organisation de multiples individus, on dira qu’il participe de la création d’une vérité politique. S’agissant de l’État du monde dans lequel cette création est active, on parlera de faits historiques. L’Histoire comme telle, composée de faits historiques, n’est nullement soustraite à la puissance de l’État. L’Histoire n’est ni subjective ni glorieuse. Il faut plutôt dire que l’Histoire est l’histoire de l’État.

On peut alors revenir à notre propos concernant l’Idée communiste. Si une Idée est, pour un individu, l’opération subjective par laquelle une vérité réelle particulière est imaginairement projetée dans le mouvement symbolique d’une Histoire, nous pouvons dire qu’une Idée présente la vérité comme si elle était un fait. Ou encore : que l’Idée présente certains faits comme symboles du réel de la vérité. C’est ainsi que l’Idée du communisme a pu permettre qu’on inscrive la politique révolutionnaire et ses partis dans la représentation d’un sens de l’Histoire dont le communisme était l’aboutissement nécessaire. Ou qu’on a pu parler d’une « patrie du socialisme », ce qui revenait à symboliser la création d’un possible, fragile par définition, grâce à la massivité d’un pouvoir. L’Idée, qui est une médiation opératoire entre le réel et le symbolique, présente toujours à l’individu quelque chose qui se situe entre l’événement et le fait. C’est pourquoi les interminables discussions concernant le statut réel de l’Idée communiste sont sans issue. S’agit-il d’une Idée régulatrice, au sens de Kant, sans efficace réelle, mais capable de fixer à notre entendement des finalités raisonnables ? Ou s’agit-il d’un programme qu’il faut peu à peu réaliser par l’action sur le monde d’un nouvel État postrévolutionnaire ? Est-ce une utopie, voire une utopie dangereuse, et même criminelle  ? Ou est-ce le nom de la Raison dans l’Histoire ? On ne saurait mener à bien ce type de discussion, pour la raison que l’opération subjective de l’Idée est composée, et non simple. Elle enveloppe, comme sa condition réelle absolue, l’existence de séquences réelles de la politique d’émancipation, mais elle suppose aussi le déploiement d’une palette de faits historiques aptes à la symbolisation. Elle ne dit pas (ce qui serait soumettre la procédure de vérité aux lois de l’État) que l’événement et ses conséquences politiques organisées sont réductibles à des faits. (…) Mais elle ne l’est qu’autant qu’elle reconnaît comme son réel cette dimension aléatoire, fuyante, soustraite et insaisissable. C’est pourquoi il appartient à l’Idée communiste de répondre à la question « D’où viennent les idées justes ? » comme le fait Mao : les « idées justes » (entendons : ce qui compose le tracé d’une vérité dans une situation) viennent de la pratique. On comprend évidemment que « pratique » est le nom matérialiste du réel. (…)

Tout cela explique, et dans une certaine mesure justifie, qu’on ait pu à la fin aller jusqu’à l’exposition des vérités de la politique d’émancipation dans la forme de leur contraire, soit la forme d’un État. Puisqu’il s’agit d’un rapport idéologique (imaginaire) entre une procédure de vérité et des faits historiques, pourquoi hésiter à pousser ce rapport à son terme, pourquoi ne pas dire qu’il s’agit d’un rapport entre événement et État ? L’État et la Révolution, tel est le titre d’un des plus fameux textes de Lénine. Et c’est bien de l’État et de l’Événement qu’il s’agit. Cependant, Lénine, suivant Marx sur ce point, prend bien soin de dire que l’État dont il sera question après la Révolution devra être l’État du dépérissement de l’État, l’État comme organisateur de la transition au nonÉtat. Disons donc ceci : l’Idée du communisme peut projeter le réel d’une politique, toujours soustrait à la puissance de l’État, dans la figure historique d’un « autre État », pourvu que la soustraction soit interne à cette opération subjectivante, en ce sens que « l’autre État » est lui aussi soustrait à la puissance de l’État, donc à sa propre puissance, en tant qu’il est un État dont l’essence est de dépérir.

C’est dans ce contexte qu’il faut penser et approuver l’importance décisive des noms propres dans toute politique révolutionnaire. (…) Pourquoi ce glorieux Panthéon des héros révolutionnaires ? Pourquoi Spartacus, Thomas Münzer, Robespierre, Toussaint- Louverture, Blanqui, Marx, Lénine, Rosa Luxemburg, Mao, Che Guevara, et tant d’autres ? C’est que tous ces noms propres symbolisent historiquement, dans la forme d’un individu, d’une pure singularité du corps et de la pensée, le réseau à la fois rare et précieux des séquences fuyantes de la politique comme vérité. Le formalisme subtil des corps-de-vérité est ici lisible en tant qu’existence empirique. L’individu quelconque trouve des individus glorieux et typiques comme médiation de sa propre individualité, comme preuve qu’il peut en forcer la finitude. L’action anonyme de millions de militants, d’insurgés, de combattants, par elle-même irreprésentable, est rassemblée et comptée pour un dans le symbole simple et puissant du nom propre. Ainsi, les noms propres participent de l’opération de l’Idée, et ceux que nous avons cités sont des composantes de l’Idée du communisme dans ses différentes étapes. (…) Récapitulons aussi simplement que possible. Une vérité est le réel politique. L’Histoire, y compris comme réservoir de noms propres, est un lieu symbolique. L’opération idéologique de l’Idée du communisme est la projection imaginaire du réel politique dans la fiction symbolique de l’Histoire, y compris sous la forme d’une représentation de l’action des masses innombrables par l’Un d’un nom propre. La fonction de cette Idée est de soutenir l’incorporation individuelle à la discipline d’une procédure de vérité, d’autoriser à ses propres yeux l’individu à excéder les contraintes étatiques de la survie en devenant une partie du corps-de-vérité, ou corps subjectivable.

On demandera maintenant : pourquoi estil nécessaire d’avoir recours à cette opération équivoque ? Pourquoi l’événement et ses conséquences doivent-ils aussi être exposés sous la forme d’un fait, et souvent d’un fait violent, qu’accompagnent des variantes du « culte de la personnalité » ? Pourquoi cette assomption historique des politiques d’émancipation ? La raison la plus simple est que l’histoire ordinaire, l’histoire des vies individuelles, est tenue dans l’État. L’histoire d’une vie est par ellemême, sans décision ni choix, une part de l’histoire de l’État, dont les médiations classiques sont la famille, le travail, la patrie, la propriété, la religion, les coutumes… La projection héroïque, mais individuelle, d’une exception à tout cela – comme est une procédure de vérité – veut aussi être en partage avec les autres, elle veut se montrer non seulement comme exception, mais aussi comme possibilité désormais commune à tous. Et c’est une des fonctions de l’Idée : projeter l’exception dans l’ordinaire des existences, remplir ce qui ne fait qu’exister d’une dose d’inouï. Convaincre mes entours individuels, époux ou épouse, voisins et amis, collègues, qu’il y a aussi la fabuleuse exception des vérités en devenir, que nous ne sommes pas voués au formatage de nos existences par les contraintes de l’État. Bien entendu, en dernier ressort, seule l’expérience nue, ou militante, de la procédure de vérité, forcera l’entrée de tel ou tel dans le corps-de-vérité. Mais pour l’amener au point où cette expérience se donne, pour le rendre spectateur, et donc déjà à demi-acteur, de ce qui importe à une vérité, la médiation de l’Idée, le partage de l’Idée sont presque toujours nécessaires. L’Idée du communisme (quel que soit par ailleurs le nom qu’on lui donne, qui n’importe guère : aucune Idée n’est identifiable à son nom) est ce à travers quoi on peut parler le processus d’une vérité dans le langage impur de l’État, et déplacer ainsi, pour un temps, les lignes de force par quoi l’État prescrit ce qui est possible et ce qui est impossible. Le geste le plus ordinaire, dans cette vision des choses, est d’amener quelqu’un à une vraie réunion politique, loin de chez lui, loin de ses paramètres existentiels codés, dans un foyer d’ouvriers maliens, par exemple, ou à la porte d’une usine. Venu au lieu où une politique procède, il décidera de son incorporation ou de son repli. Mais pour venir au lieu, il faut que l’Idée – et depuis deux siècles, ou peut-être depuis Platon, c’est l’Idée du communisme – le prédéplace dans l’ordre des représentations, de l’Histoire et de l’État. Il faut que le symbole vienne imaginairement à l’appui de la fuite créatrice du réel. (…)

La seconde raison est que tout événement est une surprise. S’il ne l’était pas, c’est qu’il aurait été prévisible en tant que fait, et du coup s’inscrirait dans l’histoire de l’État, ce qui est contradictoire. On peut alors formuler le problème ainsi : comment nous préparer à de telles surprises ? Et cette fois le problème existe, même si nous sommes déjà actuellement militants des conséquences d’un événement antérieur, même si nous sommes inclus dans un corps-de-vérité. Certes, nous proposons le déploiement de nouveaux possibles. Mais l’événement qui vient possibilisera ce qui, même pour nous, reste encore impossible. Pour anticiper, au moins idéologiquement, ou intellectuellement, la création de nouveaux possibles, nous devons avoir une Idée. Une Idée qui enveloppe bien entendu la nouveauté des possibles que la procédure de vérité dont nous sommes les militants a mis à jour, et qui sont des possibles-réels, mais qui enveloppe aussi la possibilité formelle d’autres possibles, par nous encore insoupçonnés. Une Idée est toujours l’affirmation qu’une nouvelle vérité est historiquement possible. Et puisque le forçage de l’impossible en direction du possible se fait par soustraction à la puissance de l’État, on peut dire qu’une Idée affirme que ce processus soustractif est infini : il est toujours formellement possible que la ligne de partage fixée par l’État entre le possible et l’impossible soit encore une fois déplacée, si radicaux que puissent avoir été ses précédents déplacements, y compris celui auquel nous participons actuellement en tant que militants. (…) Cela nous permet de conclure sur les inflexions contemporaines de l’Idée du communisme. Le bilan actuel de l’Idée du communisme, je l’ai dit, est que la position du mot ne peut plus être celle d’un adjectif, comme dans « Parti communiste » ou « régimes communistes  ». La forme-Parti, comme celle de l’Étatsocialiste, sont désormais inadéquates pour assurer le soutien réel de l’Idée. Ce problème a du reste trouvé une première expression négative dans deux événements cruciaux des années soixante et soixante-dix du dernier siècle : la Révolution culturelle en Chine, et la nébuleuse nommée « Mai68 » en France. Ensuite, de nouvelles formes politiques ont été et sont encore expérimentées, qui relèvent toutes de la politique sans-parti. À échelle d’ensemble, cependant, la forme moderne, dite « démocratique », de l’État bourgeois, dont le capitalisme mondialisé est le support, peut se présenter comme sans rivale dans le champ idéologique. Pendant trois décennies, le mot « communisme » a été soit complètement oublié, soit pratiquement identifié à des entreprises criminelles. C’est pourquoi la situation subjective de la politique est devenue partout si confuse. Sans Idée, la désorientation des masses populaires est inéluctable.

Cependant, de multiples signes (…) indiquent que cette période réactive s’achève. Le paradoxe historique est que, en un certain sens, nous sommes plus proches de problèmes examinés dans la première moitié du XIXe siècle que de ceux que nous héritons du XXe siècle. Comme aux alentours de 1840, nous sommes confrontés à un capitalisme cynique, sûr d’être la seule voie possible d’organisation raisonnable des sociétés. On insinue partout que les pauvres ont tort de l’être, que les Africains sont arriérés, et que l’avenir appartient, soit aux bourgeoisies « civilisées » du monde occidental, soit à ceux qui, à l’instar des Japonais, suivront le même chemin. On trouve, aujourd’hui comme à l’époque, des zones très étendues de misère extrême à l’intérieur même des pays riches. On trouve, entre pays comme entre classes sociales, des inégalités monstrueuses et croissantes. La coupure subjective et politique entre les paysans du tiers-monde, les chômeurs et les salariés pauvres de nos sociétés « développées  » d’un côté, les classes moyennes « occidentales  » de l’autre, est absolue, et marquée par une sorte d’indifférence haineuse. Plus que jamais le pouvoir politique, comme la crise actuelle le montre avec son unique mot d’ordre, « sauver les banques », n’est qu’un fondé de pouvoir du capitalisme. Les révolutionnaires sont désunis et faiblement organisés, de larges secteurs de la jeunesse populaire sont gagnés par un désespoir nihiliste, la grande majorité des intellectuels sont serviles. Opposés à tout cela, aussi isolés que Marx et ses amis au moment du rétrospectivement fameux Manifeste du Parti communiste de 1847, nous sommes de plus en plus nombreux cependant à organiser des processus politiques de type nouveau dans les masses ouvrières et populaires, et à chercher tous les moyens de soutenir dans le réel les formes renaissantes de l’Idée communiste. Comme au début du XIXe siècle, ce n’est pas de la victoire de l’Idée qu’il est question, comme ce sera le cas, bien trop imprudemment et dogmatiquement, durant toute une partie du XXe. Ce qui importe d’abord est son existence et les termes de sa formulation. D’abord, donner une forte existence subjective à l’hypothèse communiste, telle est la tâche dont s’acquitte à sa manière notre assemblée d’aujourd’hui. Et c’est, je veux le dire, une tâche exaltante. En combinant les constructions de la pensée, qui sont toujours globales et universelles, et les expérimentations de fragments de vérités, qui sont locales et singulières, mais universellement transmissibles, nous pouvons assurer la nouvelle existence de l’hypothèse communiste, ou plutôt de l’Idée du communisme, dans les consciences individuelles. Nous pouvons ouvrir la troisième période d’existence de cette Idée. Nous le pouvons, donc nous le devons."

© Nouvelles Éditions Lignes

 

[댓글] Posté le jeudi 16 avril 2009 par lola
L'Hypothèse communiste, par Alain Badiou
Un nouvel opus…acheté hier mercredi ! Formidable, mais Badiou n'a jamais rien publié de médiocre alorsil n'y a là rien de nouveau. Badiou suscite l'intelligence du lecteur pour une raison simple : il s'adresse à son intelligence justement. Loin des propos pulsionnels ou liés au conformisme de l'opinion. Il ne s'agit pas d'avaler tout cru des "thèses" mais d'exercer sa faculter critique en nous hissant grâce à l'aide de Badiou au niveau des questions posées : Qu'est ce qu'une vie juste ?Comment renouer avec le communisme ?Qu'est ce que l'émancipation aujourd'hui ?…

 

[참고] Les autres articles :Entretien avec A. Badiou : « L’hypothèse de l’émancipation reste l’hypothèse communiste »
http://www.humanite.fr/2007-11-06_Politique_Alain-Badiou-L-hypothese-de-l-emancipation-reste-l-hypothese?var_mode=calcul

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