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Entretien avec P.-F. Moreau (Spinoza 최고전문가)

Entretien avec Pierre-François Moreau
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À quoi sert l’histoire de la philosophie ?
Entretien avec Pierre-François Moreau

par Pascal Sévérac & Ariel Suhamy [30-06-2009]

Domaine : Philosophie.Mots-clés : spinozisme | livre | histoire

Le tome I de la nouvelle édition intégrale des œuvres de Spinoza, contenant les deux ouvrages de jeunesse, est paru cette année aux Presses Universitaires de France. Pierre-François Moreau, qui dirige cette édition qui fait d’ores et déjà référence, en expose les principes fondamentaux. C’est l’occasion de mettre en lumière ce que l’histoire de la philosophie apporte à la philosophie.
 

À quoi sert l’histoire de la philosophie ?
Entretien avec Pierre-François Moreau / par Pascal Sévérac & Ariel Suhamy

La vie des idées : Le premier tome, dans l’ordre chronologique, paraît des Œuvres complètes de Spinoza au PUF, dans la collection Épiméthée. Deux autres volumes sont déjà parus précédemment : le Traité théologico-politique et le Traité politique. Quels sont les principes de cette nouvelle édition critique ?

Pierre-François Moreau : il s’agit de tenir compte dans cette nouvelle édition de l’ensemble du travail scientifique qui a été fait sur l’œuvre de Spinoza depuis les grandes éditions précédentes qui remontent à près d’un siècle : celle de Van Vloten à la fin du XIXe et celle de Gebhardt dans les années 1920. Depuis, beaucoup d’eau ou plutôt d’encre a coulé sous les ponts. On a d’une part lu autrement un certain nombre de ses ouvrages, et d’autre part la réflexion philologique a évolué d’une façon telle qu’on ne peut plus lire ses textes comme on les lisait dans ce temps-là. En particulier, nous comprenons mieux le latin de Spinoza, qui parle le latin du XVIIe siècle. Or, il règne dans les éditions critiques du début du XXe siècle une normativité du latin cicéronien : le latin de Spinoza est corrigé en fonction de ce latin classique. L’histoire du latin s’étend sur des siècles et continue à vivre en tant que langue philosophique à l’âge classique, à l’époque de Descartes et Spinoza. Ces auteurs utilisent des références lexicales et syntaxiques beaucoup plus larges que les nôtres : ils trouvent normal d’écrire comme Tacite ou Suétone, et non pas seulement comme Cicéron ou César, et ils rendent ce latin vivant parce qu’ils créent de nouveaux termes pour expliquer ce qu’ils ont à dire en métaphysique, en droit, en politique. Essayer de le réduire artificiellement à une norme scolaire sous prétexte de le corriger, cela nous empêche de le lire réellement. La première chose à faire est donc de sauter par dessus un certain nombre d’innovations du XIXe siècle et de revenir aux éditions antérieures. À beaucoup d’égards, notre édition est plus proche des premières éditions que des suivantes, paradoxalement.

Il y a eu deux révolutions dans la lecture spinoziste à partir des années 1960, la révolution philologique (Akkerman, Steenbakkers aux Pays-Bas, Mignini, Proietti en Italie, etc.), et la révolution philosophique qui s’est mise à prendre au sérieux la pensée de Spinoza dans ce qu’elle a de systématique. Un certain nombre de choses qui paraissaient simplement bizarres quand on voulait lire Spinoza comme un cartésien ou comme un néo-platonicien, conduisaient à transformer son texte pour qu’il se conforme à l’idée qu’on se faisait de ce qu’il aurait dû dire, alors que depuis les grands travaux d’Alexandre Matheron, de Sylvain Zac, de Martial Gueroult, et de quelques autres, nous sommes habitués à penser que s’il dit quelque chose qui ne ressemble pas à du Descartes, ce n’est pas forcément une faute, quelque chose qu’il faut essayer d’interpréter autrement, mais que c’est une conséquence de sa pensée, et qu’il faut la prendre au sérieux en tant que telle, dans ce qu’elle peut avoir de massif, d’étonnant, voire de rebutant, parce que lire un auteur c’est cela aussi, l’accepter dans son originalité et sa spécificité.

La vie des idées : Ces grandes interprétations ont renouvelé la lecture même du texte et inspiré cette nouvelle édition. Mais alors, est-il possible de distinguer dans une telle édition l’aspect philologique de l’interprétation ? Peut-on vraiment rester en deçà de l’interprétation ?

Pierre-François Moreau : Oui, c’est relativement possible. Nous avons comme principe de séparer les deux, en particulier nous tenons à ce que les notes soient essentiellement historico-critiques. Il y a l’établissement du texte, puis l’annotation qui vise deux buts : d’une part fournir au lecteur de quoi lire les infra-textes de Spinoza. Spinoza a appris le latin très tard, il l’a appris comme on l’apprenait au XVIIe siècle, en lisant les auteurs classiques. Sa maîtrise du latin est à la fois forte – il arrive à dire ce qu’il veut dire – et compliquée : il a tendance à s’appuyer sur des phrases et des formules toutes faites. Il y a sous son texte toute une culture latine qui lui sert à s’exprimer. Nous qui ne baignons pas dans ce latin-là, nous avons besoin de savoir quelle est la phrase de Térence ou de Tacite qui apparaît sous son texte ; non qu’il veuille dire la même chose, mais il est intéressant de voir comment il modifie la phrase pour exprimer sa pensée, qui arrive à se glisser dans la phrase qu’il emprunte à un auteur. C’est le premier but des notes : fournir cette littérature latine dont se sert Spinoza. Le second, c’est de comparer à d’autres passages qui parlent d’un même thème ; fournir aussi les références aux autres auteurs, en laissant le soin au lecteur d’interpréter les différences. Enfin il y a toutes les allusions historiques et bibliques qu’il n’est pas inutile d’expliquer de nos jours. Tout cela fournit du matériel, ce n’est pas interprétatif. La part de l’interprétation, je dirais qu’elle est négative. Elle consiste à dire : attention, telle phrase qui vous paraît bizarre et qu’en bon cartésien ou lecteur de Thomas d’Aquin vous voudriez modifier, il existe une lecture de Spinoza qui nous apprend que cette phrase peut tenir telle quelle. Ce n’est pas la peine de torturer la phrase pour la faire ressembler à tel auteur antérieur ou contemporain.

Le partage entre philologie et interprétation se fait entre ces deux lignes de démarcation : d’une part séparer matériel et interprétation, et d’autre part usage négatif de l’interprétation, pour dire que le texte de Spinoza offre plus de possibilités que ce qu’ont pu croire les précédents éditeurs.

La vie des idées : Qu’en est-il maintenant des principes de la traduction ?

Pierre-François Moreau : Ils sont très simples. On part du principe que Spinoza, comme tout philosophe, s’exprime dans un lexique relativement stable. Cela ne veut pas dire que tous les textes spinoziens sont de la même intensité lexicale. Il y a deux pôles : un pôle systématique avec une série de termes qui renvoient à un champ sémantique dans lequel est prise une expression de sa pensée. Substantia, imperium, libertas, etc. ont une signification forte, qui n’est peut-être pas constante, mais qui varie dans des limites conceptuelles. À côté de cela, il y a la langue ordinaire. Ce serait trop simple, bien entendu, si l’on pouvait diviser le texte en ces deux catégories : il y a toute une série de degrés. Le rôle du traducteur est de jouer sur ces degrés et d’arriver à rendre au maximum une équivalence. C’est pourquoi le vieil axiome selon lequel le traducteur est un traître est parfaitement faux. C’est là une vision spiritualiste de la traduction. En réalité on peut très bien traduire sans trahir. Le degré de fidélité du traducteur renvoie à son degré de réflexion sur la conceptualité du texte. Celle-ci ne consiste certainement pas à rendre un mot latin par un mot français, car le mot latin peut correspondre à plusieurs mots, par exemple, le mot imperium renvoie à deux champs sémantiques classiques : le champ militaire (le commandement), et un domaine juridico-politique. Il est parfaitement légitime d’utiliser deux termes. Ensuite à l’intérieur d’un même champ sémantique, ce serait une erreur de le traduire par un très grand nombre de mots différents ; mais d’un autre côté ce serait une erreur de le traduire toujours par le même terme, ce qui reviendrait à tordre la langue d’arrivée. Il faut alors choisir un petit nombre de termes et les indiquer au lecteur. Par exemple, imperium au sens juridico-politique peut être traduit par « État » et « souveraineté ». Et ensuite il faudra éviter de traduire par un même mot français plusieurs mots latins. Sinon le lecteur risque de reconstruire une cohérence fausse en s’appuyant sur une permanence lexicale qui n’existe pas dans le texte latin. À cela s’ajoute la nécessité de constituer un glossaire qui permet d’exposer les choix que le traducteur a faits. Donner au lecteur les clefs et les conditions de sa lecture, c’est lui donner les possibilités d’une lecture scientifique.

La vie des idées : Dans le Traité théologico-politique, Spinoza expose des règles d’interprétation de l’Écriture sainte. Peut-on s’en servir pour établir une édition spinoziste de Spinoza, ou est-ce sans rapport, d’abord parce qu’il ne s’agit pas d’interpréter et ensuite parce que les textes de Spinoza ne sont pas du même ordre ?

Pierre-François Moreau : La question est compliquée. Spinoza ne donne pas de règles d’édition. Certes on peut lire dans ses règles d’interprétation quelque chose comme des règles d’édition. À ce niveau-là, la règle qu’il donne : ne pas intervenir dans le texte, ne pas substituer nos imaginations au texte, c’est évidemment ce que nous tenons dans notre propre édition. De même, les règles de commentaire historique qu’il donne pour la Bible sont valables pour tout type de livre. La différence est que le statut de la Bible n’est pas celui d’un texte comme le Traité théologico-politique. Le point de départ est que la Bible a des auteurs différents, nous ne pouvons donc pas présupposer qu’ils disent la même chose d’un bout à l’autre. Au contraire, les textes de Spinoza sont du même auteur, et nous devons supposer que chacun de ces textes a une cohérence interne. Il y a donc des règles de systématicité qu’on ne peut pas appliquer à la Bible, mais seulement à la lecture de l’Éthique ou du Traité théologico-politique. Maintenant, on pourrait transposer la question de l’hétérogénéité à la biographie intellectuelle et se demander s’il n’y a pas entre les différents ouvrages de Spinoza une évolution, et donc une différence qui correspondrait – à une échelle très limitée – à celle des auteurs de la Bible. D’autre part il y a une différence essentielle : aux yeux de Spinoza la Bible est un ouvrage d’imagination ; ce n’est pas le cas de ses propres écrits.

La vie des idées : Quel rapport y a-t-il entre ce travail d’histoire de la philosophie qui se fonde sur l’établissement des textes et l’actualité du spinozisme aujourd’hui en neurobiologie, en sciences sociales, en politique ? Des penseurs comme Étienne Balibar, Toni Negri, Frédéric Lordon utilisent couramment la référence spinoziste. Y a-t-il une communauté entre ces deux activités ?

Pierre-François Moreau : Je disais tout à l’heure qu’il y avait eu deux révolutions dans la lecture spinoziste, philologique et philosophique. On assiste depuis dix ans à une troisième révolution qui est liée aux deux premières : le fait de relire les textes, de se rendre compte qu’il y a une force productive dans la pensée de Spinoza, cela amène à lire Spinoza en dehors de Spinoza, à se dire que si sa méthode fonctionne, si fonctionne sa façon d’aborder les objets théoriques que sont l’État, les passions, l’Écriture sainte, cela peut aussi marcher pour comprendre ce que c’est que la connaissance, la psychologie, une entreprise, le capital, la société de nos jours etc. De sorte que les chercheurs en sciences sociales ou cognitives s’intéressent effectivement à Spinoza non plus pour le commenter mais aussi pour avoir ce qu’ils pensent être une démarche spinoziste en sociologie, en économie ou ailleurs. Cette troisième révolution me paraît tout à faire cohérente avec les deux précédentes.

Pourquoi maintenant Spinoza sert-il de référence aux sciences humaines ? Même quand elles se proclamaient non philosophiques, elles avaient une philosophie implicite, qui était souvent une philosophie de la causalité simple, de type cartésien, ou encore une philosophie expressiviste, où chaque niveau du social reflète un autre niveau du social, c’est-à-dire de type leibnizien. Les sciences sociales ont très longtemps fonctionné ainsi, sur des modèles analogues. Et puis on s’est rendu compte que ça ne marchait pas et que le modèle spinoziste pouvait non seulement expliquer certains phénomènes, mais aussi, d’abord, tout simplement les faire apparaître. Des choses qui étaient invisibles à partir d’un certain discours devenaient visibles et donc réclamaient une explication. L’intérêt de la démarche spinoziste, c’est non seulement d’expliquer ce qu’on connaît déjà, mais aussi de nous donner à voir ce qu’il faut expliquer, avant même d’expliquer. Cela fait comprendre le renouveau du spinozisme en dehors de l’histoire de la philosophie et des cercles proprement philosophiques.

Ce qui serait intéressant c’est de savoir si les premiers écrits auront un tel effet. Aujourd’hui ces renouveaux se fondent sur l’Éthique (l’illusion, la critique de la finalité, etc.) et les traités politiques. Or, le Traité de la réforme de l’entendement réfléchit non pas tant sur la méthode que sur la fiction, sur la manière de s’en délivrer ou de l’utiliser pour produire des idées justes. Il serait intéressant de savoir si les sciences humaines font le même usage de la fiction. Spinoza se pose la question en ce qui concerne les sciences de la nature : on pourrait exporter ces questions dans les sciences humaines. Dans le Court Traité, on trouve une première réflexion sur l’ontologie de la puissance, qui ne se présente pas encore sous forme géométrique, ce serait intéressant de voir si elle peut engendrer une réflexion sur les formes de puissance à l’œuvre dans le psychisme, dans l’inconscient, dans la société, dans les relations de pouvoir etc. Ce que j’espère, c’est que cette édition qui permet de lire ces textes sous une forme renouvelée, entraîne une nouvelle révolution, par son exportation dans des domaines scientifiques qui sont à la recherche de nouveaux modèles.

La vie des idées : On a aujourd’hui tendance à opposer une histoire de la philosophie qui s’occuperait essentiellement d’exégèse, à une pratique philosophique (notamment la philosophie dite analytique) qui s’occuperait « vraiment » de philosophie. Comment les deux s’articulent-ils ? Faire de l’histoire de la philosophie, est-ce encore faire de la philosophie ?

Pierre-François Moreau : La frontière n’est pas si étanche, d’abord, parce qu’on voit une certaine philosophie analytique se pencher sur l’histoire de la philosophie, et les discussions peuvent être instructives. Mais on peut se demander en effet à quoi sert l’histoire de la philosophie et s’il ne vaudrait pas mieux faire de l’économie ou de l’informatique… Je pense qu’il faut faire de l’histoire de la philosophie. Il me semble qu’on a au moins deux raisons de l’enseigner et de la pratiquer. D’abord, pour savoir ce que nous sommes, d’où nous sortons, quelle est notre identité. On parle beaucoup aujourd’hui d’identité. Mais une identité est produite par l’histoire, en particulier, dans l’histoire européenne qui est la nôtre par ce qui s’est passé entre la Renaissance et la Révolution française, c’est là que s’est mis en place une nouvelle façon de regarder le monde, une nouvelle explication du monde physique, une nouvelle façon de regarder le citoyen et l’État, sur laquelle nous vivons encore. C’est là aussi que s’est fondée notre conception de la religion comme institution privée, relativement séparée de l’État. Tout ce qui s’effectue à l’âge classique, nous vivons encore dessus, que nous le sachions ou non. D’autre part la philosophie de cette époque est faite à partir de la réflexion sur ce qui se passe dans les sciences, et dans les autres secteurs théoriques. La philosophie n’est jamais qu’un des domaines de l’histoire des idées, qui entretient des rapports spécifiques avec les autres domaines, qui les remanie, leur emprunte des concepts, etc. Faire de l’histoire de la philosophie, c’est faire, directement ou indirectement, l’histoire de tout cela. Faire de la philosophie, c’est donc faire de l’histoire de la philosophie. Simplement on le sait ou on ne le sait pas. Je pense qu’il vaut mieux le savoir.

Propos recueillis par Pascal Sévérac & Ariel Suhamy [30-06-2009]

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction. Nous vous répondrons dans les meilleurs délais : redaction@laviedesidees.fr.

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모로의 토젤 새책 소개: 스피노자와 인간의 나약성

Tribune libre - Article paru le 25 juin 2009, l'Humanite - Idées

 

Spinoza et la faiblesse humaine / Pierre-François Moreau

André Tosel publie une nouvelle série d’études sur le penseur révolutionnaire de la finitude du sujet et de l’infinitude de ses réalisations. Spinoza ou l’autre (in)finitude, d’André Tosel. Éditions L’Harmattan, 2009, 282 pages, 26 euros.

 

André Tosel est un de ceux qui, après Alexandre Matheron, ont fait découvrir aux lecteurs français que Spinoza parlait de la politique et de l’histoire. Appuyé sur Gramsci et sur une lecture hétérodoxe de Leo Strauss (qui enseignait comment lire les classiques entre les lignes), il avait publié deux ouvrages (*) qui montraient en Spinoza un pionnier des Lumières révolutionnaires : la lutte du Traité théologico-politique contre la superstition apparaissait comme une réflexion sur l’idéologie et une affirmation des droits de la raison contre tous les obscurantismes. Dans une telle perspective, le sujet historique apparaissait volontiers comme conquérant et maître de ses choix, une fois les illusions du passé rejetées grâce à la connaissance adéquate. Son nouvel ouvrage, qui reprend son travail des quinze dernières années, vient nuancer ces thèses. Il s’agit non pas de revenir sur les acquis des travaux antérieurs, mais de montrer des dimensions qui leur échappaient. Cette fois, Tosel édifie un rationalisme d’autant plus efficace qu’il prend en compte tout ce qui fait obstacle à la raison et qui est lié à la nature humaine par mille liens presque impossibles à dénouer. La raison apparaît dès lors comme fondée sur la connaissance de ses propres limites. Spinoza n’est pas seulement celui qui dénonce les superstitions, il est aussi celui qui démontre l’opacité nécessaire du sujet humain, la puissance que la nature extérieure exerce sur lui, et parfois même en lui, car sa fragilité est constitutive de son être ; croire le contraire, s’imaginer trop vite une raison facilement triomphante, c’est le propre de l’humanisme idéaliste, alors que Spinoza - comme Lucrèce ou comme Marx - est très attentif aux conditions dans lesquelles se dessine l’émancipation humaine, et à la force des entraves ancrées dans la reproduction même de la vie individuelle et sociale. Sa pensée côtoie donc sur certains points toutes les thématiques religieuses ou post-religieuses qui décrivent la finitude de l’homme : l’impuissance et le déchirement des passions, les cycles d’affects négatifs qui opposent les individus entre eux, les échecs et les détours dans la constitution du sujet. Mais cette situation n’est pas déchiffrée ici comme un point d’arrivée ultime. La finitude humaine est une finitude positive, parce qu’elle comprend les éléments qui, dans certaines circonstances, lui permettront d’analyser et de dépasser ses limites : elle est, en ce sens, une infinitude, car elle peut ouvrir à une expérience de sa propre transformation - c’est-à-dire à la modification du rapport de l’homme à la réalité, à son corps et son esprit, au monde physique et social auquel il appartient. Cette transformation n’est justement possible que si on abandonne l’illusion du sujet maître de lui-même et affranchi des lois qui le constituent et si on le réinscrit dans l’ordre commun de la nature qui le produit ; c’est alors seulement que l’on peut remettre le monde à l’endroit et accéder à la connaissance de cet ordre même comme issu d’un système de causes que l’on peut comprendre et modifier. Paradoxalement, c’est l’expérience de la faiblesse humaine qui, parce qu’elle peut écarter le fantasme de la toute-puissance, permet de parvenir à la connaissance efficace du réel.

 

(*) Spinoza et le crépuscule de la servitude. Éditions Aubier, 1984. Du matérialisme de Spinoza. Éditions Kimé, 1994.

Pierre-François Moreau, philosophe

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Spinoza, selon P.-F.Moreau & R.Misrahi

http://hyperspinoza.caute.lautre.net/spip.php?article1934
Qui sont aujourd’hui les admirateurs de Spinoza ? (Publié le 26 avril 2009)
par Moreau, Pierre-François (Interview de Pierre-François Moreau. Propos recueillis par Catherine Golliau)

 

1/ Spinoza est-il spinoziste ?
Pierre-François Moreau : Tout dépend de la définition que vous donnez de cet adjectif ! Le spinozisme, c’est d’abord la doctrine de Spinoza. Définition rigoureuse, mais limitée parce qu’elle ne peut prendre en compte que les domaines sur lesquels Spinoza s’est exprimé. Une deuxième définition possible est celle du professeur américain Jonathan Israel, qui a écrit « Les Lumières radicales » (Editions Amsterdam, 2006). Pour cet auteur, le mouvement des Lumières s’est développé à partir d’Amsterdam, dès les années 1660, pour se répandre ensuite dans toute l’Europe. Spinoza n’y tient qu’une place modeste mais il en est devenu l’emblème : le « spinozisme » désigne alors cette ébullition d’idées radicales - de même que le surréalisme a été incarné par André Breton sans se limiter à lui. Enfin, le spinozisme peut aussi être compris comme l’application des méthodes de Spinoza à des domaines que lui-même ne connaissait pas, par exemple, la psychanalyse (Lacan s’en est réclamé), la sociologie avec Philippe Zarifian ou l’économie avec Frédéric Lordon.

 

2/ Qui se revendique de Spinoza aujourd’hui ?
Beaucoup de gens. Spinoza fascine pour le discours radical qu’on lui a attribué et qui a suscité de nombreux fantasmes, notamment littéraires. Il est aussi revendiqué par les laïques, par exemple, aujourd’hui en Israël ou dans les pays arabes. Certains théologiens s’en inspirent pour renouveler leur vision de l’écriture. Il attire aussi pour l’attention qu’il porte au corps, ce qui le distingue de beaucoup de penseurs classiques. Mais même chez les spécialistes de la philosophie, les approches sont très différentes. En France, où l’on s’intéresse surtout à l’histoire des systèmes, on l’admire parce que sa philosophie est l’un des systèmes les plus structurés. Aux Etats-Unis, où Descartes est le symbole de la « philosophie continentale », Spinoza apparaît comme l’une des évolutions possibles du cartésianisme. En Italie, peut-être le pays où l’on publie le plus sur lui, on le voit d’abord comme un penseur politique que l’on confronte à des auteurs comme Machiavel, Hobbes ou Marx.

[오늘날 스피노자가 요청되는 상황에 대하여, 프랑스에서는 가장 조직적인 시스템의 철학자로, 미국에서는 대륙철학의 상징인 데카르트철학의 발전적 연장으로, 이탈리아에서는(스피노자에 대해 가장 많은 출판을 하는) 마키아벨리-홉스-맑스와 함께 정치사상가로 스피노자가 취급된다 함.]

 

3/ Quel est le point commun des spinozistes ?
On est toujours spinoziste contre quelqu’un. Le spinozisme est la philosophie de la minorité contre la majorité, la pensée alternative contre la pensée dominante. C’est une philosophie qui revendique la controverse en tant que telle. Dans l’« Ethique », Spinoza réfute l’idéologie finaliste, mais seulement après avoir longuement démontré les raisons positives qui rendent la finalité impossible. Le spinozisme n’est pas une pensée de l’aphorisme, de la formule, mais de la démonstration : si je pose que je ne suis pas d’accord, je donne des raisons fortement articulées.

[<윤리학>에서 스피노자는 목적론적 이념을 거부하는데, 그것은 단순한 선호의 차원에서가 아니라, 그 목적론이 불가능한 것으로 돌려질 적극적 이유를 길게 입증한 연후의 거부이다. 스피노자주의는 금언이나 경구에 대한 사상이 아니라, 입증하고 논증하는 사상이다: 즉, 예컨데, 내가 무엇엔가 동의하지 않는 입장을 취한다면, 그 이유를 아주 조목조목 밝히는 사상이라는 말이다.]

 

4/ Le spinozisme est-il de gauche ?
Il est difficile de poser la question en ces termes. Oui, Spinoza est un penseur politique engagé. Le « Traité théologico-politique » est un pamphlet, ce n’est pas un texte abstrait. Mais quelle signification politique peut-il avoir aujourd’hui ? Par la démarche, sa pensée se rapproche de celle de Machiavel ou du Marx de la maturité. Il analyse les institutions et les actes pour eux-mêmes sans jeter sur eux un regard moral. Prenez le cas de la corruption politique : jamais il ne la condamnera comme un vice. Il se demandera si la corruption nuit à la solidité du pouvoir et si elle est nocive pour les citoyens. Il en analysera donc les causes nécessaires et cherchera les moyens efficaces de l’empêcher.

['스피노자주의는 좌파사상인가' 라는 질문에 답: 출발점에서 본다면, 스피노자의 생각은 마키아벨리와 맑스(후기)의 그것들(생각)과 가깝다. 스피노자는 도덕적 시각을 벗어버리고 (정치)기구와 (정치)행위 그 자체를 분석한다. 즉, 예컨데, 만약에 권력의 부패가 사회적 연대를 해치고 시민들에게 해악을 끼친다면, 스피노자는 그렇게 된 필연적 원인들을 분석하고 그것을 방지할 효과적인 수단을 탐색할 것이라는 말이다.]

 

SOURCE : http://www.lepoint.fr/actualites-litterature/2007-07-12/interview-de-pierre-francois-moreau/1038/0/192162

 

 



http://hyperspinoza.caute.lautre.net/spip.php?article1935
"Spinoza et nous", par Robert Misrahi (Publié le 26 avril 2009)

 

Une doctrine libertaire et révolutionnaire. En plein XVIIe siècle, face au calvinisme puritain et au judaïsme orthodoxe, le philosophe d’Amsterdam invente une éthique de la joie de vivre qui reste plus actuelle que jamais par Robert Misrahi (Robert Misrahi est philosophe, auteur de « Spinoza » (Entrelacs, coll. « Sagesses éternelles »), « le Travail de la liberté » (Le Bord de l’Eau, 2008). A paraître : « l’Ombre et le Reflet », photographies de Minot-Gormezano, textes de Robert Misrahi (Skira-Fhmmarwn).)

 

1/ L’éthique humaniste de la joie [생략]
2/ Le pacte social
Avant de décrire ce stade ultime de la joie qu’est la béatitude, nous devons au moins esquisser la politique de Spinoza. Une société démocratique et pacifiée est la condition préalable au déploiement d’une existence personnelle heureuse et d’une sagesse de la joie extrême. C’est pourquoi Spinoza conclut sa morale de l’utile propre par l’analyse du pacte social. Il introduit celle-ci par une réflexion qui devrait impressionner les esprits démunis de notre temps : « L’homme qui est conduit par la raison est plus libre dans la société où il vit selon le décret commun que dans la solitude où il n’obéit qu’à lui-même. » Le pacte, comme accord commun sur les désirs reconnus comme des droits et sur les désirs reconnus comme devant être sacrifiés, permet le passage du droit de nature au droit civil, la loi étant seule garante de la sécurité et de la liberté de tous et de chacun. Sur cette base, Spinoza étudie ailleurs les diverses constitutions possibles et laisse entendre que le gouvernement démocratique est le meilleur des gouvernements. Dans son projet, la souveraineté électorale serait la seule autorité légitime, la terre pourrait être une propriété collective et les citoyens auraient le droit de posséder une arme. Enfin et surtout, « dans une libre République, chacun a toute latitude de penser et de s’exprimer ». On le voit, toutes nos valeurs démocratiques, et notamment la laïcité et la liberté de croyance et d’expression, s’enracinent d’abord chez Spinoza et ensuite seulement chez les philosophes des Lumières. Mais c’est par l’éthique existentielle de la joie que la politique trouve un souffle, une raison d’être et une source d’inspiration. C’est parce qu’ils négligent ce lien fondateur entre l’existentiel et le politique que nos contemporains peinent à construire des politiques qui aient un sens et un avenir.
3/ Une certaine espèce d’éternité [생략]


SOURCE : http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2303/dossier/a391526-spinoza_et_nous.html

 

* 각 항목의 번호는 원문의 것이 아님.

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