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  1. 2009/02/16
    라비카(G.Labica) 타계2 [폭력,혁명,민주주의..]
    tnffo

라비카(G.Labica) 타계2 [폭력,혁명,민주주의..]

[속보] 라비카(G.Labica) 타계(09/02/12), 2009년 02월 16일 02:42, http://blog.jinbo.net/radix/?pid=86

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1/3) Georges Labica
Par Denis Collin • Actualités • Dimanche 15/02/2009 • 0 commentaires  • Lu 30 fois • 


Notre ami Georges Labica nous a quittés jeudi 12 février, victime d'une hémorragie cérébrale. Né en 1930, il fut une des grandes figures intellectuelles du marxisme. Longtemps professeur à l'université de Nanterre, il avait contribué à en faire un lieu vivant de la philosophie. Outre ses très nombreux travaux sur Marx et le marxisme - dont l'indispensable Dictionnaire critique du marxisme (co-dirigé avec Bensussan, republié en PUF-Quadrige), il était un connaisseur érudit du monde arabe, de son histoire, de la politique, et de sa culture (il est l'auteur, par exemple, de Politique et religion chez Ibn Khaldoun. Essai sur l'idéologie musulmane, Alger, Société nationale d'édition et de diffusion, 1968). Son dernier ouvrage, Théorie de la violence mettait une fois de plus sa vaste érudition au service d'un appel à la résistance et à une stratégie combinant révolution et démocratie en vue d'une « paix libératrice en lieu et place de la violence systémique. »

J'ai connu Georges en passant ma thèse doctorat dont il présidait le jury.  Nous nous sommes ensuite un peu fréquentés dans divers lieux de recherche et séminaires autour de l'oeuvre de Marx. Nous nous sommes retrouvés autour de la revue Utopie Critique où il continuait de tenir régulièrement les "Brèves". Dans le numéro 47 de cette revue (à paraître le 15  février), on trouvera la première partie de son étude "Le carrefour de mai 1968". À "La Sociale", il avait confié encore récemment une petite nouvelle, La Supérette, qui se terminait par un appel à l'insurrection contre cette société capitaliste insupportable. Georges Labica est resté jusqu'au fidèle à l'esprit de révolte, fidèle à ses idéaux... Un exemple à suivre.

 

Pour retrouver les travaux de Georges Labica, on peut consulter son site WEB. Il avait aussi enregistré des cours qu'on peut retrouver sur le site de l'Encyclopédie Sonore: sur "la République" de Platon, sur les classes sociales chez Marx, sur le concept d'égalité, sur le concept de révolution, sur le marxisme, sur Marx et Engels, sur philosophie et politique, sur "les Lois" de Platon. (Denis Collin)

 

Parmi ses oeuvres je retiendrais:

Politique et religion chez Ibn Khaldoun. Essai sur l'idéologie musulmane, Alger, Société nationale d'édition et de diffusion, 1968.
Le Statut marxiste de la philosophie, Bruxelles, Éditions Complexe ; Paris, Presses universitaires de France, « Dialectique », 1976.

Dictionnaire critique du marxisme, avec Gérard Bensussan (dir.), en collaboration avec la revue Dialectiques, Paris, Presses universitaires de France, 1982 ; 3e éd., 1999, coll. « Quadrige ».
Karl Marx : les « Thèses sur Feuerbach », Paris, Presses universitaires de France, 1987.

Le Paradigme du Grand-Hornu. Essai sur l'idéologie, Montreuil-sous-Bois, PEC-la Brèche, 1987

Robespierre : une politique de la philosophie, Paris, Presses universitaires de France, « Philosophie », 1990.
Politique et religion, avec Jean Robelin, (dir.), Paris, Éditions l'Harmattan, 1994.

(dir.), Friedrich Engels, savant et révolutionnaire, actes du colloque international de Nanterre, 17-21 octobre 1995, organisé par le Centre de philosophie politique, économique et sociale du CNRS, publié par Mireille Delbraccio, Paris, PUF, « Actuel Marx confrontation », 1997.

Théorie de la violence, Naples, la Città del sole ; Paris, J. Vrin, «  La pensée et l'histoire », 2007.

http://la-sociale.viabloga.com/news/georges-labica

 

 

2/3) Théorie de la violence
Par Denis Collin • Bibliothèque • Mardi 24/06/2008 • 0 commentaires  • Lu 833 fois • 

 

La violence a partie liée avec l’histoire humaine. Problème complexe pour les philosophes qui ont tendance à la penser comme l’impensable rationnellement à moins que la rationalisant trop, ils la fassent disparaître en tant que telle, transformée en « ruse de la raison ». Georges Labica évite ces deux écueils avec sa Théorie de la violence. L’entreprise de Georges Labica pourrait étonner de la part de quelqu’un qui a voué une partie de sa vie à Marx, Engels et à la défense du marxisme : Engels n’avait-il pas réfuté la théorie de la violence de Dühring ? En vérité, Georges Labica n’a nullement l’intention de se livrer à l’art des généralités creuses sur la violence dont toute une littérature contemporaine nous abreuve.  Alors que les classes dominantes usent de la « crainte de la violence », de la « montée de la violence », de la chasse aux « terroristes » comme autant d’arguments-massue pour amener les dominés à renoncer à la lutte et à faire bloc derrière l’appareil d’État, l’exploration des figures de la violence, à travers les récits religieux, les mythes, l’art, mais aussi l’analyse de la violence structurelle des sociétés modernes permet de mettre à distance ce discours idéologique et de revenir à la réalité, c’est-à-dire, selon le titre du chapitre de conclusion aux « résistances ».

La violence se conjugue d’abord du côté de ceux qui subissent la violence injuste, le malheur sans explication. On lira avec bonheur ce chapitre premier, « du coté du livre de Job », où Labica fait de Job le héros qui capitule pas. Il a été juste et le malheur qui l’accable est sans raison. Ensuite elle est du côté des martyrs et il faudrait, à partir du livre de Labica, confectionner un ouvrage reproduisant tous les tableaux qu’il évoque ou qu’il analyse plus longuement. « Avec le martyre, dit Labica, nous nous trouvons en présence d’un véritable compendium des violences, infligées ou subies, cruelles ou modérées, délibérées et improvisées, inventives et banales, et des émotions qu’elles provoquent, écartelées entre le paroxysme de la douleur et sa volupté, et déclinant la gamme contradictoire de la soumission, de la résignation, de la jouissance, de la stupeur, de l’incompréhension, de l’imprécation, de la colère, de la haine, de l’allégresse et de la révolte qui emporte les protagonistes – donneurs d’ordre, bourreaux, victimes proches, témoins, spectateurs dont la postérité sera inépuisable. » (p. 55). Après les martyrs, les déments et là encore Labica puise abondamment dans la tradition culturelle, dans le théâtre de Shakespeare si riche en tyrans, assassins, bourreaux et fous.

Cette réflexion conduit évidemment à interroger « l’épouvantable XXe siècle » qui, loin de réaliser les promesses des utopistes ou les rêveries des théoriciens de la paix perpétuelle, semble avoir battu tous les records, notamment grâce aux progrès des moyens d’extermination mais aussi de surveillance, de contrôle social et d’asservissement des hommes. Il y a cependant une véritable difficulté à déterminer un sens précis à la violence, la distinction entre violence et pouvoir et leurs rapports complexes, d’autant que les formes de la violence sont multiples et souvent même pratiquement ignorées : les relations de travail sont marquées presque toujours par une violence ouverte ou souterraine dont ne parlent guère ceux qui font profession de nous alerter contre la montée de la violence.

Labica interroge naturellement la non-violence. Sans oublier de saluer le courage d’un certain nombre de figures héroïques de la non-violence, il en montre les ambigüités – ces non-violents qui n’hésitent pas à faire la guerre – et aussi le caractère souvent velléitaire. La non-violence s’insère dans l’arsenal des armes de combat dont disposent les opprimés mais elle ne peut nullement être l’arme suprême. La non-violence ne l’emporte que sur des dominants affaiblis, des dominants peu sûrs de leur bon droit. Bref la non-violence est une solution à un problème déjà presque résolu. Par contraste la position de Labica à l’égard de la théologie de la libération est plus enthousiaste. Contre ceux qui dénoncent en bloc la violence, Labica entend réhabiliter la violence libératrice, celle qui permet de s’attaquer au système du capitalisme mondialisé. Il montre vigoureusement les tartufferies de la « pacification » libérale du monde et nous invite à comprendre les manifestations de violence réactionnelle, y compris les plus contestables : « nous sommes tous responsables : depuis Bandoeng, la conjonction des menées de l’impérialisme, du vie politique opéré par les régimes réactionnaires dans le monde arabe et les échecs des forces progressistes (communistes, socialistes, nationalistes, républicaines ou laïques), a fait le lit des radicalismes de substitution, et pas uniquement au Proche-Orient et au Moyen-Orient. » (p. 257) La violence n’est cependant pas une politique et même la violence des opprimés peut se révéler contre-productive.

Reste donc à élaborer une stratégie qui combine révolution et démocratie. La violence n’en sera supprimée mais fortement diminuée. Labica conclut en appelant à une « paix libératrice en lieu et place de la violence systémique. » (p.262)

Georges Labica, Théorie de la violence, Jean Vrin, Paris, La Città del sole, Naples, 2007, 264 pages
http://denis-collin.viabloga.com/news/theorie-de-la-violence

 

http://www.nodo50.org/cubasigloXXI/congreso/labica_15abr03.pdf

RENDRE SON ACUITE AU CONCEPT DE REVOLUTION / GEORGES LABICA
“Ils sont bien trop nombreux ceux qui attendent leur tour” (Ernst Bloch)
INDICE
I. Introduction: la thèse.............................................................................................................................. 1
1. UN MONDE DE VIOLENCE...................................................................................................................2
2. LA GUERRE COMME POLITIQUE........................................................................................................4
3. LE CONSTAT DES FAILLITES..............................................................................................................6
4. L'ALTERNATIVE RÉVOLUTIONNAIRE ...............................................................................................10
5. DES RÉSISTANCES ...........................................................................................................................15
6. CONCLUSION : PERSPECTIVES.......................................................................................................20

 

3/3) Intervenir en marxiste: Sur le livre de Georges Labica Démocratie et Révolution
Par Stathis Kouvélakis* (Paris, Le Temps des cerises, 2003)
http://semimarx.free.fr/IMG/pdf/KOUVELAKIS_Intervenir_en_marxiste_sur_Labica_.pdf

* Texte d’un communication présentée le 1er octobre 2004 au Congrès Marx International IV (Université de Paris X Nanterre). Texte publié dans Contretemps n° 13, « Cité(s) en crise. Ségrégations et résistances dans les quartiers populaires », mai 2005, p. 178-184.

Il n’a jamais été simple d’être, ou, pour paraphraser l’un des adages préférés d’Althusser
d’essayer d’être, marxiste en philosophie, ou ailleurs du reste. Pour dire les choses d’une
manière simplifiée, avancer à contre-courant n’est jamais allé de soi, et a rarement facilité la
vie de ceux qui s’y sont essayés autrement qu’au titre d’un éphémère péché de jeunesse. Cela
même si une telle entreprise n’a pas toujours eu à se mesurer à des rapports de forces aussi
défavorables qu’aujourd’hui, dans un pays comme la France, et dans un lieu institutionnel
comme celui dans lequel nous nous trouvons actuellement, l’Université. Pourtant, si essayer
d’être marxiste en théorie n’a jamais été facile, cela ne l’a pas toujours été exactement pour
les mêmes raisons. Là encore, pour parer au plus pressé, il me semble qu’on peut distinguer
deux configurations historiques, que sépare cet événement terminal du « court vingtième
siècle », la fin de l’URSS et du mouvement communiste international tel que nous le
connaissions. Dans la configuration précédente, essayer d’être marxiste en théorie ne signifiait
pas seulement affronter la société capitaliste dans ses mécanismes de légitimation et ses
appareils idéologiques, avec leur formidable capacité d’intimidation et aussi de digestion et
d’intégration des forces de contestation. Cela signifiait aussi, si du moins on tenait à une
certaine unité de la théorie et de la pratique politique qui censé être l’affaire du marxisme,
faire face à une version « officielle » de cette théorie, le marxisme-léninisme ou
« matérialisme dialectique » ou diamat, qui réalisait justement à sa façon cette unité sous une
forme très particulière. La difficulté était donc, en fin de compte, celle d’une « lutte sur deux
fronts », contre l’idéologie et la pensée des dominants bien sûr, et avant tout, mais aussi
contre la dégénérescence du marxisme en simple discours de légitimation d’Etats et
d’appareils contradictoirement issus des expériences révolutionnaires du siècle et les ayant
conduit à l’échec.
Or, l’effondrement de l’URSS s’est également traduit par l’échec de ce pari. Pour le dire
autrement, les orthodoxies ont d’une certaine façon emporté dans leur naufrage les
hétérodoxies, et, de manière encore plus éclatante, les diverses tentatives de réforme interne
que le communisme critique avait entrepris. Ou, pour le dire encore plus brutalement, aucun
« antistalinisme » ne peut survivre à la fin du « stalinisme », sauf à devenir lui-même autre
chose. La réalité massivement vécue comme telle du présent est donc celle d’une défaite non
simplement du stalinisme ou du socialisme soviétique mais de la révolution et du socialisme
tout court.

Le deuil du deuil
C’est ici qu’il faut en venir à une première thèse du livre de Labica. Cette thèse consiste à
dire qu’il faut saluer l’effondrement du socialisme soviétique et de son orthodoxie comme une
libération. Cette thèse est, à mon sens, une thèse forte : elle est forte parce qu’elle est tout
d’abord contre-intuitive. Pourquoi en effet faudrait-il saluer comme une libération ce qui se
présente comme la plus grande défaite des classes dominées depuis plus d’un siècle, défaite
dans laquelle culminent une série d’échecs et de reflux sans précédent pour le mouvement
populaire ? En quoi cette défaite, qui signe à l’évidence la fin de tous les paris théoriques et
politiques qui ont été ceux du « marxisme underground » [1] du siècle passé, peut-elle être
identifiée à une libération ? Mais justement, une thèse n’est pas un constat. Elle a quelque
chose du performatif, de l’acte de parole comme disent les linguistes. Pour le dire autrement,
transformer, ou renverser, pour le dire dans un langage plus dialectique, la défaite en
libération, voilà ce dont il est question dans l’acte de formuler, ou de reprendre, cette thèse.
La proposition peut paraître déroutante, mais, d’une certaine façon, être dérouté est nécessaire
quand il s’agit de produire une possibilité nouvelle, interne au réel mais qui, en même temps,
le dépasse. Quand on y réfléchit, cette proposition est tout simplement la seule qui permette
une rupture avec ce qui, dans une défaite, devient élément de blocage, de régression. Et je ne
parle pas ici des attitudes de démission ou du reniement, mais de tout ce qui, y compris parmi
celles et ceux qui ont refusé de baisser les bras, contribue à maintenir la tête sous l’eau. A
savoir toutes les attitudes de culpabilité, d’autoflagellation et, surtout, de deuil interminable,
qui devient complaisance dans l’attitude du vaincu. Bref de tout ce que le marxiste lacanien
Slavoj Zizek a à mon sens correctement désigné comme le « narcissisme de la défaite »,
particulièrement répandu dans une certaine gauche.
Pour soutenir cette thèse, le livre de Labica offre un certain nombre d’outils ou de
munitions, comme on voudra. Je commencerai tout d’abord par ce qui ne me semble pas la
moindre, mais que d’aucuns auront certainement trouvé incommodante, voire inconvenante, à
savoir sa forme. D’abord il y a le style, familier à ceux qui connaissent Labica, mais qu’on
trouve ici dans une version radicalisée, à savoir un mélange de gouaille et d’élégance, un sens
de la formule joint à une bonne dose d’ironie, une rigueur conceptuelle entremêlée à un
lyrisme contenu. Puis, il y a l’organisation à proprement parler du matériau, la structure
disons de l’ouvrage. Précisons-le immédiatement, pour celles et ceux qui n’en auraient pas
pris connaissance, qu’il s’agit d’un ensemble d’articles et de textes écrits à des occasions et
des dates diverses, sans l’intention préalable d’en faire un ouvrage. Simple assemblage donc
de fragments disjoints ? Pas exactement, car, sans vouloir forcer le trait, toutes les pièces ont
ceci de commun, qu’elles sont conçues comme autant d’interventions dans des conjonctures
déterminées, visant à produire quelques effets particuliers sur lesquels nous dirons quelques
mots dans un instant. Relevons toutefois qu’une conception bien précise de la théorie, plus
exactement de la philosophie, se trouve en jeu ici. Une conception qui hérite de l’acquis du
marxisme underground de la période précédente, et qui consiste à dire que la philosophie n’a
pas d’objet, qu’elle n’est pas l’énoncé des lois universelles de la nature et de l’histoire comme
le prétendait le diamat, ni même une ontologie critique ou une entreprise systématique de
refonte dialectique de catégories déjà existantes comme l’ont tenté par exemple, et
respectivement, Lukacs et Sartre. Elle n’est pas autre chose qu’une intervention dans une
situation précise, qui vise à en déplacer les lignes de démarcation pour contrecarrer les effets
de l’idéologie dominante et ouvrir sur des possibilités nouvelles, dont l’enjeu est clairement
politique et le terrain celui de la lutte idéologique.
[1] Cf. Pour reprendre une expression d’un autre ouvrage G. Labica, Le marxisme léninisme, Bruno Huisman, Paris, 1984.


A ceci, qui est un héritage d’Althusser, vous l’aurez sans doute compris, il convient sans
doute d’apporter une rectification, que Labica a formulée dans ses écrits antérieurs [2] et qui
constitue, me semble-t-il, la toile de fond, de ce livre : le statut de l’intervention en question,
contrairement à ce qu’Althusser a jusqu’au bout maintenu, n’est pas celui d’une philosophie
marxiste ou pour le marxisme, mais celui d’une « sortie de la philosophie », l’Ausgang dont
parlent Marx et Engels dans l’Idéologie allemande. Une sortie que je comprends pour ma part
comme une traversée de la philosophie orientée vers son dépassement. Dépassement non pas
dans le sens d’une transcroissance de la philosophie en science universelle, car cela ne ferait
que reconduire le phantasme traditionnel de la métaphysique, mais en tant que reprise de tous
les éléments de fracture, de toutes les limites et les béances internes au champ de la
philosophie. Cette reprise s’opère à partir d’une position théorique qui lui demeure
irréductible, celle du matérialisme historique, mixte radicalement inédit et hybride de théorie
et de pratique, ou, si on veut de production de connaissance, sous condition d’intervention
dans le terrain de la lutte idéologique, à partir donc d’une position nécessairement,
inévitablement, partiale et partisane.
Venons en à présent aux axes de l’intervention théorique tels que nous propose cet
ouvrage : j’en distinguerai trois, qui correspondent, grosso modo, aux trois parties qui le
composent : le langage, les notions clé de l’idéologie dominante, l’hypothèse politique.

[2] Cf. plus particulièrement G. Labica, La statut marxiste de la philosophie, Paris, PUF, 1976.


Intervenir dans le langage
Commençons part le langage, point de départ obligé d’une certaine façon d’une
intervention marxiste en théorie, telle qu’elle a été esquissée auparavant. Pourquoi ? Tout
d’abord, parce que, pour un marxiste, le langage n’est pas un instrument neutre, ni comme le
veut Habermas, un médium orienté, sur un plan transcendantal, vers l’intercompréhension et
le consensus entre les humains. Le langage, dans la moindre de ses unités et de ses
articulations, est la cristallisation la plus évidente du « sens commun » (Gramsci) d’une
époque et d’une culture. Il véhicule une multiplicité contradictoire et incohérente de
conceptions du monde en leur permettant de se déposer, de se sédimenter dans toute son
épaisseur matérielle. Mais par là même, le langage rend ces conceptions du monde actives, il
leur confère d’emblée un statut pratique, agissant, conflictuel. C’est pourquoi le langage est
de part en part idéologique, enjeu et terrain primordial donc de l’intervention théoricopolitique.
Car, on l’aura compris, la théorie, la théorie marxiste en l’occurrence, n’est pas
extérieure à l’idéologie. C’est en intervenant justement dans le terrain conflictuel du langage,
pour en déplacer les lignes de force, que la théorie peut produire de la connaissance. Ou, pour
le dire autrement, on n’accède pas à la connaissance, ni à la pratique politique
« directement », mais bien à travers le langage et à travers l’idéologie.


Voilà donc pourquoi dans cet ouvrage Labica s’acharne, avec les armes à la fois du
concept et du style, sur les mots. Voilà pourquoi distinguer ou opposer, par exemple,
« américain » à « étatsunien » n’est pas un simple jeu. Pourquoi parler de « frappes
chirurgicales », de « dommages collatéraux » ou de « sécurisation d’objectifs » est en soi un
acte violent et une déclaration de guerre. Pourquoi s’en prendre à la prolifération incontrôlé
du vocabulaire « citoyen », aux anglicismes et à toutes ces euphémisations qui transforment,
comme par magie, un « ouvrier » en « opérateur de saisie » et un balayeur en « technicien de
surface » ne relève pas du fétichisme des mots, et ne se laisse pas réduire à une affaire de goût
et d’opinion. C’est une intervention proprement théorique, visant un effet de vérité et que tous
les militants font du reste dans leur pratique quotidienne, en cela qu’elle attaque les
fondements de l’hégémonie idéologique actuelle, c’est-à-dire la manière dont les rapports
sociaux les plus quotidiens sont dits. Et pour être agis, et éventuellement transformés, ces
rapports doivent nécessairement être dits. Cette hégémonie a aujourd’hui un nom, c’est le
libéralisme, économique et politique. Or, la langue de cette hégémonie a ceci de particulier,
qu’elle vise, à travers le vocabulaire omniprésent du consensus, à rendre impossible la diction,
et donc l’expression, du conflit et du clivage social. Elle initie en ce sens la destruction du
politique, qui est, comme le souligne avec force Labica, la marque distinctive de la victoire du
libéralisme, à laquelle elle fournit un formidable fondement pratique. Elle détruit la politique
pour lui substituer la gestion, ou la « gouvernance » comme on dit aujourd’hui, de même
qu’elle détruit la pensée pour lui substituer la « pensée unique », c’est-à-dire la non-pensée.
Inversement, la lutte contre cette hégémonie, commence par la lutte dans et contre ce
langage. La lutte contre certains mots, et pour certains autres, que les précédents ont pour
fonction d’éliminer, comme bien entendu, les mots de « classes », d’« ouvrier », de
« peuple », d’« impérialisme ». Mais dans cette lutte dans les mots, il n’y pas simplement
l’attaque frontale, il y a aussi le détournement, l’ironie, le retournement des mots contre euxmêmes,
bref il y a tout une guérilla linguistique qui se met en place. C’est pourquoi on
trouvera dans ce livre également des poèmes, des rengaines, voire de véritables catalogues à
la Prévert comme le morceau d’anthologie titré « consensus », qui d’une certaine façon
résume tout.


Intervenir dans et contre le droit
L’intervention théorique dans l’idéologie ne se résume pas, toutefois, au langage
« ordinaire », qui reste marqué par les contradictions et les incohérences du sens commun.
Elle nécessite un niveau supérieur, plus abstrait et plus systématique, qui unifie les formes
idéologiques, leur permet de communiquer et de concentrer leurs effets. Ces formes
idéologiques plus sophistiquées cimentent l’hégémonie d’un groupe déterminé et elles sont
l’affaires de spécialistes, qui sont les intellectuels organiques propres à ce groupe. Dans la
société capitaliste, c’est le droit qui fournit cette matrice idéologique. C’est pourquoi critiquer
le droit c’est s’en prendre au point fort, au cœur de l’idéologie dominante. Là encore, critiquer
le droit en marxiste, ce n’est pas le dénoncer comme un entreprise de manipulation, c’est s’en
prendre à ses prétentions fondatrices, fondées sur le mythe d’une société civile autonome et
d’une sphère privée dont il censé garantir l’inviolabilité. Cela revient à révéler le caractère
étatique du droit, et le caractère proprement politique de ses enjeux, qu’il dissimule tout en les
formulant, au sens strict : en leur donnant forme. C’est comprendre, plus précisément, que, du
fait de son caractère étatique et de sa subordination politique, le droit n’est pas l’opposé de
l’illégalité, mais le moyen même de sa constitution et de sa transformation en fonction des
conjonctures. Qu’il n’est pas l’opposé de la violence mais sa codification, le traçage et le
déplacement continu de ses frontières ainsi que sa captation « légitime » par les appareils
d’Etat. Que l’existence d’un Etat dit de droit ne met donc pas un terme à la question de la
contre-violence des dominés mais qu’il en modifie les formes et les conditions, depuis les
divers illégalismes populaires, tantôt individuels tantôt plus collectifs, jusqu’à la violence de
masse qui est le signe infaillible des situations révolutionnaires. Non pas, il faut le souligner,
parce que tel serait le choix des acteurs de la révolution, mais parce qu’elle est imposée par la
violence des classes menacées dans leur domination et par l’action des appareils répressifs qui
en concentrent l’usage.


L’hypothèse politique
Cette question de la violence, grand refoulé de l’actuelle domination libérale, m’amène
tout naturellement à celle de l’hypothèse politique qui sous-tend cette intervention théorique.
Car la reconnaissance du caractère pratique de l’intervention dans l’idéologie, dans la langue
et les catégories de l’hégémonie dominante, demande à être conduit à son terme, c’est-à-dire à
sa traduction politique comme formulation des conditions de la contre-hégémonie des classes
dominées. C’est ainsi en effet que se comprend l’« effectivité », la « réalité ou la puissance de
la pensée » pour reprendre les formulations de Marx dans les Thèses sur Feuerbach [3]. Cette
hypothèse politique est simple à énoncer, comme toutes les thèses fortes, mais ses
implications et conséquences sont nombreuses. Je la formulerai pour ma part en ces termes :
avec l’effondrement de l’URSS et la défaite des expériences révolutionnaires du 20e siècle, il
n’y plus désormais qu’un seul adversaire, dépourvu de contrepoids, brisant ses régulations
internes et libérant ses pulsions les plus meurtrières et destructrices. Contre cet adversaire se
lèvent donc des forces immenses, mais diverses, multiformes et même hétérogènes, dont la
convergence ne saurait en aucun cas être considérée comme spontanément acquise ou
garantie. Tel est justement l’objet de l’hypothèse politique à proprement parler, penser les
modalités de cette convergence, les conditions de leur constitution en bloc hégémonique
capable de remporter la victoire.
Sur quoi peut donc s’appuyer cettte hypothèse ? Quels sont, pour le dire autrement, à
l’intérieur même de l’hégémonie libérale actuelle les lignes de fractures, les éléments présents
à l’intérieur même du sens commun des dominés qui permettent de formuler une proposition
contre-hégémonique ? C’est, nous dit Labica, la montée de l’exigence démocratique, de
manière à la fois diffuse et universelle, et qui est la grande et dure leçon des expériences
passées, y compris de l’échec des régimes issus des révolutions populaires. C’est pourquoi,
affirme Labica cette exigence est plus instruite et plus consciente qu’elle ne l’a jamais été
auparavant. Or, le néolibéralisme, même s’il feint d’en respecter, voire d’en étendre les
formes, est l’ennemi et le fossoyeur de la démocratie et même de la politique en tant que telle.
La reprise et la consolidation des processus de démocratisation ne sont pas simplement des
moyens de résister. Ce sont aussi les voies de la contre-offensive car, pour rester effectif, le
processus démocratique doit s’attaquer à la propriété privée et à l’Etat qui en concentre
politiquement le pouvoir social. Poser la question de la démocratie, d’une démocratie
effective et victorieuse, c’est donc, immanquablement, poser la question du pouvoir, et cela
contre toutes les thèses libertaires aujourd’hui en vogue, qui ne peuvent se passer de ce même
« pouvoir » oppresseur face auquel elles en appellent à l’affirmation des « contrepouvoirs » et
autres « désirs » des « multitudes .
C’est sur le terrain mais aussi dans la finalité de la démocratie que peuvent converger les
forces sociales multiples que l’emprise du capital dresse contre elle, et qu’aucune forme
organisationnelle ne peut à elle seule contenir. C’est enfin sur ce terrain que se décide en fin
de compte la question de la violence révolutionnaire, non pas simplement de manière
défensive, comme moyen de défense contre la violence des minorités exploiteuses mais aussi
comme rupture de légalité, moment de suspension du droit, qui marque l’instauration d’un
ordre nouveau, comme Kant l’avait déjà fort bien dit à propos de la Révolution française. Une
démocratie donc, on l’aura compris, qui émerge entièrement refaçonnée du processus même
de son déploiement concret, non pas donc, à la manière des libéraux, comme régime politique
ou règles procédurales mais comme ensemble de pratiques traduisant la capacité expansive de
la politique.
Démocratie et révolution, pour reprendre le titre de l’ouvrage, sont donc inséparables en
ce qu’elles sont distinctes, non parce qu’elles seraient deux choses différentes, mais parce
qu’elles désignent le même processus sous une double modalité, c’est à dire dans le
mouvement même de son déploiement.
[3] Auxquelles Labica a consacré un ouvrage entier ; cf. G. Labica, Karl Marx. Les Thèses sur Feuerbach, Paris, PUF, 1987.

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