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  1. 2009/01/07
    스티글레르, 기술(technique)과 삶의양식[音,서평fr.]
    tnffo

스티글레르, 기술(technique)과 삶의양식[音,서평fr.]

<<21세기 진보 지식인 지도>> 라는 기획물이 이번 주 토요일(1/10일)부터 격주로 한겨레에 연재된다는 소식이 있다. 총 27~8명 정도의 세계적 진보 지식인을 소개할 모양인데, 다른 세계는 잘 모르겠고 일단 프랑스의 경우를 보면 총 6명이 선정됐다. 그 중 어느정도 잘 알려진 바디우, 발리바르, 랑시에르 등 3명은 일단 건너뛰기로하고, 나머지 잘 모르는 3명에 대한 예비조사를 조금만 해본다. 장-뤽 낭시, 브뤼노 라투르, 베르나르 스티글러, 이 세 사람이 그들이다. 미리 듣는 소개자의 설명에 의하면, "낭시는 하이데거와 마르크스, 데리다, 블랑쇼의 유산을 독창적으로 종합하여 ‘무위(無爲)의 공동체’라는 독자적인 사상의 경지를 이룩했다. 라투르와 스티글러는 각각 현대과학기술의 발전을 추적하면서 그것이 인간의 삶의 형식을 어떻게 변형시키고 있는지, 또한 비자본주의적인 과학기술 발전의 길은 어떤 것인지 탐색하고 있다."(인용처

 

이 3명 중 낭시(1940~)와 스티글러(1952~)는 데리다의 제자였고, 라뚜르(1947~)는 미셀 쎄르의 제자인 듯하고, 모두가 -시대가 시대였던 만큼- 들뢰즈적 연구풍토에 많이 영향을 받은 것으로 보여진다. 내가 데리다와 들뢰즈를 많이 좋아하지도 않고, 그들이 얼마나 적극적 좌파(현실 기술-상업-자본주의를 비판만 하는 그런 좌파 말고 공산주의의 건설을 '욕망'하는 좌파) 였었는지도 모르겠기에, 그 제자들에 대해서도 전혀 모른다. 그래도 세계적 진보 지식인 프랑스편 6명에 뽑힌 사람들인데, 내가 모르거나 좋아하지 않는 계보를 가진 사람들이라고 마냥 무시할 수는 없고, 그래봤자 나만 손해겠기에, 이 참에 아주 약간만 공부를 해본다. 낭시와 라뚜르에 대해서는 위키의 간단한 소개와 주요 저작만 살펴보고(*1) 기타 자세한 정보나 대표적 논문 같은 것은 다음 포스트에서 구체적으로 다루기로 한다. 낭시는 지난해에 교수신문의 '세계의 지성 10인'인가의 편에서 한 번 소개되기도 했다. 생각보다 나이가 많네, 발리바르보다 2살이나 더 많은 40년 생이니. 그리고 라뚜르는 '씨앙스뽀'(빠리정치학교)의 선생이고 쎄르(Michel Serres)의 영향을 받았다니 꼭 그 만큼이나 덜 인용되는 사람인 듯하다 (엄청난 다작가인 쎄르도 그렇지만 씨앙스뽀에서 나오는 연구물들은 ENS계열 주류 학계에서는 거의 완벽히 외면된다는...).

 

(*1) Jean-Luc Nancy (né en 1940 à Bordeaux) Il sera marqué par l'œuvre de Jacques Derrida, dont il fut l'élève, et deviendra l'ami. Tenté par la théologie, sa rencontre de Derrida, ses lectures de Althusser, Deleuze, Heidegger, Blanchot, Hölderlin, le conduisent à penser un monde fragmenté, irréductible à la systématicité moderne. 

[주요저작] La Remarque spéculative (Un bon mot de Hegel), Paris, Galilée, 1973. 

L'absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme allemand, Paris, Seuil, 1978 (avec Philippe Lacoue-Labarthe). Vérité de la démocratie, Paris, Galilée, 2008.

Bruno Latour (né en 1947 à Beaune, en France) est un sociologue, anthropologue et philosophe des sciences français. Après avoir enseigné à l'École des mines de Paris, il est depuis septembre 2006 professeur à l'Institut d'études politiques de Paris (dit Sciences Po). Ses ouvrages les plus connus sont La Vie de laboratoire (1979), La Science en action (1987) et Nous n'avons jamais été modernes (1991). Parmi ses principales influences, on peut mentionner Ludwik Fleck, Michel Serres, Harold Garfinkel (ethnométhodologie), David Bloor, Gilles Deleuze et Gabriel Tarde.]

 


고로 이 포스트는 스티글러 편이다. [지금까지는 '스티글러'라고 했는데, 여기서부터는 '스티글레르'로 수정한다. 2009/03/27일자 한겨레에 실린 관련 글을 읽고, 다시 이름을 자세히-정신차리고 보니 '스티글레르'가 맞네... (관련글은 링크만: 이지훈, "은행강도 출신 철학자의 소비욕망 탈출전략" /21세기 진보 지식인 지도 ⑥ 베르나르 스티글레르 http://www.hani.co.kr/arti/culture/culture_general/346563.html) -이상 3/27일 추가부분-]

 

 

Bernard Stiegler, né en 1952, est philosophe de formation.

Principaux intérêts : Technique, Politique, Esthétique
Idées remarquables : Organologie générale, transidividuation, rétentions tertiaires


Influencé par : Jacques Derrida, Michel Foucault, Sigmund Freud, Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Martin Heidegger, Edmund Husserl, André Leroi-Gourhan, Platon, Jeremy Rifkin, Gilbert Simondon
Docteur de l'École des hautes études en sciences sociales, il est actuellement directeur du département du développement culturel au Centre Georges-Pompidou, où il dirige également l'Institut de recherche et d'innovation (IRI), créé à son initiative en avril 2006. Préalablement, il a été directeur de recherche au Collège international de philosophie, professeur et directeur de l'unité de recherche qu'il a fondée en 1993 « Connaissances, organisations et systèmes techniques » à l'Université de technologie de Compiègne (UTC), directeur général adjoint de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) puis directeur de l'Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) jusqu'en fin 2005. Œuvres / La Technique et le temps. Tome 1: La faute d’Epiméthée (1994). La Technique et le temps. Tome 2: La désorientation (1996). La Technique et le temps. Tome 3: Le temps du cinéma et la question du mal-être (2001). La Télécratie contre la Démocratie (2006). De la démocratie participative : Fondements et limites (03/2007, avec Marc Crépon). Économie de l'hypermatériel et psychopouvoir (2008, avec Philippe Petit et Vincent Bontens).  

 

스티글레르는 EHESS(*2)에서 데리다 밑에서 공부를 한 듯하고, 주관심사는 들뢰즈에 의해 가치가 발견됐다는 질베르 시몽동(*3)의 전통을 잇는 '기술'(technique)인 것으로 보인다 (하이데거도 '기술'에 대해 다룬 소논문도 상기하자). 그렇다고 여기서의 기술이 공업적 기술류만을 뜻하는 것은 아닐테고, 아마도 현대 기술문명의 발달과 심리학-존재론 등이 좀 복잡하게 얽혀 형성되는 상관적 권력관계의 정치-경제적 양상 속에서 기술이 갖는 위상(적극적 작용) 정도이지 싶다. 아래에 옮기는 지난 여름 '프랑스공산당 여름학교'에서 스티글레르가 발표한 글과 영상물도, TV로 대표되는 현대 기술문명이 프로이드의 심리학과의 관계 속에서 파악되는 맑시즘의 재구성 필요성 정도를 말하는 듯하다. 하여튼 기술, 심리 등의 문제는 시몽동의 핵심 관심사 였으니, 스티글레르는 데리다의 제자였지만 시몽동-들뢰즈적 연구 영역에 치중하는 것으로 보인다. [위의 간단한 소갯글은 위키에서 발췌, 밑의 영상물(사실은 오디오)과 긴 발표 텍스트는 뤼마니떼에서 퍼옴.]

(*2) EHESS는 '고등 사회과학 연구학교'의 약칭으로 학부는 없고 대학원 과정만 있으며, 여기에 몸 담았으면서 성공한 대표적인 사람은 데리다와 부르디외 정도가 되겠다. 역시나 '씨앙스뽀' 처럼 이 곳도 ENS파들(주류학계)로부터는 덜 인정되는(인용하기에는 상당히 머뭇거려진다는) 것도 사실이겠다. 

(*3) Gilbert Simondon, né le 2 octobre 1924 à Saint-Étienne et mort le 7 février 1989. Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958 (trad.anglais en 1980 : [archive]; éd.augm. en 1989) Sa pensée a été très tôt considérée comme importante par Gilles Deleuze mais est restée longtemps méconnue. [시몽동 관련 아티클은 네그리 네 '뮐티튀드'에 가면 많이 찾을 수 있음.] 

 

Bernard Stiegler est président de l’association Ars Industrialis :www.arsindustrialis.org
http://www.humanite.fr/2008-09-18_Medias_Bernard-Stiegler-Le-chantier-du-XXIe-siecle-Inventer-un-nouveau 

 

Bernard Stiegler (2008-9-18) :

« Le chantier du XXIe siècle ? Inventer un nouveau mode de vie… » 

Médias - Article paru le 18 septembre 2008, les débats de la fête de l’Humanité 

Bernard Stiegler. Pendant la Fête, le philosophe a prononcé au stand des Amis de l’Humanité

une conférence intitulée « Pour une nouvelle critique ».

 

« En préparant cette conférence, j’ai beaucoup pensé à la Nouvelle Critique (1), une grande revue où, dans les années soixante, j’ai découvert Jacques Derrida, Jacques Lacan, Sigmund Freud, Ferdinand de Saussure. Je me suis donc rendu à la Bibliothèque nationale, j’ai compulsé les numéros de l’année 1968. Dans un numéro d’avril, il y a une déclaration d’Alexander Dubcek (2) devant le plénum du Comité central du Parti de Tchécoslovaquie et une réponse de Waldeck Rochet (3). J’ai dédié cette conférence à la mémoire de ces deux hommes courageux. Il est intéressant aussi de relire le courrier des lecteurs. La Nouvelle Critique était lue par toute sorte de gens. À cette époque, au Parti communiste, on se targuait d’être le parti des intellectuels. Et les intellectuels, c’était tout le monde. Être, c’était être intellectuel - et cela allait de soi. [(1) Revue éditée par le PCF jusqu’en 1980. (2) L’un des initiateurs du Printemps de Prague comme secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque en 1968. (3) Sécrétaire général du PCF de 1964 à 1970.]

 

« Tant de gens ont renoncé à la critique » 

Marx a écrit il y a cent cinquante ans et publié il y a cent quarante-neuf ans, au mois de janvier 1859, sa Contribution à la critique de l’économie politique. Huit ans avant le premier livre du Capital, il jette les bases de sa pensée révolutionnaire. Il faut relire ces textes pour tenter d’élaborer une nouvelle critique du capitalisme. Mais il faut les relire avec distance car depuis cent cinquante ans toutes sortes de choses se sont passées que Marx, Engels et bien d’autres ne pouvaient pas imaginer. Marx n’aurait pas pu imaginer que ce qu’on a appelé le « temps de cerveau disponible » devienne une marchandise. Il ne pouvait pas imaginer non plus que, derrière la conscience, il y a l’inconscient. Marx reste au fond un philosophe de la tradition allemande idéaliste : comme tous les idéalistes, il croit que la conscience est maîtresse d’elle-même. Et il se trompe. C’est Freud qui, dix ou vingt ans plus tard, montre que l’inconscient est la clé de l’appareil psychique - et qu’il est manipulable. 

Je plaide pour une nouvelle critique du capitalisme intégrant ces questions. Et, du même coup, pour une nouvelle critique de la raison au sens de la Critique de la raison pure écrite par Kant quatre-vingts ans avant Marx. Tant de gens ont renoncé à la critique, tant d’artistes, de philosophes, d’écrivains, d’hommes et de femmes politiques, y compris à la direction du Parti communiste français ! Pourquoi ? Parce que nous avons sous-estimé les incroyables capacités de transformation du capitalisme et en particulier l’effet des technologies de communication dont Marx ignora pour essentiel l’enjeu, réduit à ce qu’on appelait dans le marxisme orthodoxe les superstructures. André Lange, un professeur de l’université de Liège, a essayé de montrer qu’on avait tort d’accuser le marxisme d’être incapable de comprendre l’importance des télécommunications et il montre que, dans le Livre I du Capital, Marx analyse l’importance du télégraphe dans les rapports de production par ce qu’il décrit comme des rapports de communication. Mais en aucun cas André Lange ne se rend compte de l’énormité de la question posée. Le problème n’est pas de savoir que le télégraphe va servir à piloter la circulation des marchandises, mais comment le télégraphe, le téléphone, la radio et la télévision transforment la conscience en marchandise. Les effets de tous ces médias sont colossaux et le pouvoir du capitalisme repose sur la maîtrise et l’intelligence de ces effets. C’est là qu’intervient un personnage que j’ai découvert il y a quelques années. Il s’appelle Edward Bernays. C’était le neveu de Sigmund Freud. En 1917, le gouvernement américain veut s’engager dans la Première Guerre mondiale, mais pas avant de gagner à cette idée une opinion publique isolationniste. Il lance donc une campagne dans l’opinion publique. Elle ne fonctionne pas. C’est alors que Bernays explique que, comme son oncle Sigmund Freud l’enseigne à Vienne, si on veut convaincre quelqu’un, il ne faut pas s’adresser à sa conscience mais à son inconscient. Car là résident des processus profonds de la volonté qui peuvent être captés, manipulés. Bernays est le premier théoricien du marketing. Contrôler l’inconscient des individus pour développer un pouvoir de conviction plutôt que de coercition, cette théorie est à la base du « soft power » développé ensuite par Joseph Nye comme étant la stratégie américaine par excellence.

 

« Une télévision par enfant » 

Pendant ce temps le marxisme décrétait que la psychanalyse était une théorie « bourgeoise ». La découverte fondamentale de Freud était refoulée, reniée par les partis communistes du monde entier tandis que le capitalisme l’utilisait pour ses propres intérêts. Tant et si bien que nous vivons aujourd’hui dans le monde du psychopouvoir. Bien sûr, il y a le FBI, les renseignements généraux, le fichier Edvige, Échelon, ce système mondial de surveillance de télécommunications, et il y a eu le Guépéou, le KGB et la Gestapo. Mais aujourd’hui, ce qui fait le pouvoir, c’est le psychopouvoir, un pouvoir pris sur nos consciences par les médias, par tout un dispositif qui est devenu le nerf du capitalisme. Le psychopouvoir est le coeur de l’infrastructure de production et de logistique du capitalisme industriel. Il s’est développé tout au long du XXe siècle, dans les années vingt avec la radio et à partir des années cinquante avec la télévision. En 1952, 0,1 % des Français ont la télévision, en 1960, 13 %, et en 1970, 70 %. L’explosion de 1968 procède fondamentalement du développement de la télévision - j’en ai parlé dans un de mes livres récemment. La Ve République est basée sur la montée en puissance de la télévision. Aujourd’hui les gens la regardent plus de 3 heures et demie par jour en moyenne et le taux d’équipement des ménages est de 98 %. Dans beaucoup de familles, surtout les plus pauvres, il y a une télévision par enfant. Une enquête de l’Institut de criminologie de Hambourg vient de montrer qu’il y a une corrélation étroite entre le taux de télévision par famille et les actes de délinquance juvénile. Le développement de ces médias a provoqué une perte de conscience, une fascination qui fait qu’aujourd’hui il n’y a plus de conscience politique.

Face à cette instrumentalisation, les partis de gauche ont une responsabilité écrasante. Ils n’en ont pas développé la moindre critique parce que les hommes et femmes politiques ont peur des médias : ils sont soumis au psychopouvoir. La Nouvelle Critique chercha dans les années soixante à introduire la question de la psychanalyse. Le premier article qu’elle a consacré à Jacques Lacan date de 1964. Dans les statuts du PCF à cette époque, il est écrit que « le PCF fonde son action sur le marxisme-léninisme qui généralise les connaissances philosophiques, économiques, sociales et politiques les plus avancées. Cette doctrine s’enrichit sans cesse des acquis de la science ». Ces statuts sont rappelés dans un numéro qui explique, parce qu’il y a un débat au sein du PCF, pourquoi il faut discuter avec tous les auteurs qui publient alors dans la revue Tel Quel. Dans cette période la France est le site d’une formidable ébullition intellectuelle. Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Louis Althusser sont connus dans le monde entier. Ils représentent un pouvoir intellectuel extraordinaire qui a été aujourd’hui dilapidé par la gauche.

 

« Marxisme et psychanalyse »

Dans le numéro 13, d’avril 1968 de la Nouvelle Critique, un lecteur issu du milieu psychiatrique écrit : « Ne serait-il pas possible d’instaurer dans la Nouvelle Critique un débat entre marxisme et psychanalyse ? Les jeunes psychiatres communistes ne comprennent pas les positions des camarades soviétiques de condamnation totale de cette importante partie de la psychiatrie qu’est le freudisme. » Quelques mois plus tard, ce genre de question n’aura plus cours. Mai 68 sera passé par là. Un article qualifiera les gauchistes de petits-bourgeois. Sans doute. Mais Marx était un bourgeois ! Et l’idéologie gauchiste sera analysée sans aucune référence à Herbert Marcuse, dont l’influence était pourtant notable parmi les acteurs du mouvement étudiant. Or Marcuse écrit en 1954 que les technologies de communication provoqueront un processus de désublimation et qu’avec la télévision se développera un surmoi automatique. Ce surmoi automatique, c’est le radar de M. Sarkozy, c’est le fichier Edvige, c’est ce que Gilles Deleuze appellera en 1990 les sociétés et technologies de contrôle, dont il dira que le marketing est le principal dispositif. Tout cela a été étudié, pensé, débattu - mais pas dans les partis politiques de gauche. Aujourd’hui il est temps d’ouvrir cette discussion.

 

« La perte du savoir-vivre »

Je me considère héritier du marxisme, mais je ne me considère plus comme marxiste. Ce qu’on appelle le marxisme a rendu Marx illisible et n’est pas du tout sa pensée. Par exemple, dans le Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels expliquent que le prolétariat, cette nouvelle classe sociale, n’est pas la classe ouvrière : ils expliquent au contraire que les ouvriers, qui ont un savoir-faire, vont disparaître pour être remplacés par les prolétaires qui, eux, n’ont que leur force de travail. Pourquoi ? Parce que le savoir est passé dans la machine. Et comme tout le monde a une force de travail, la concurrence va faire baisser le prix du travail et conduire à la paupérisation. Marx ajoute que tous les employés de la société industrielle deviendront des prolétaires. C’est ce qui arrive aujourd’hui aux ingénieurs des usines de sous-traitance automobile, qui ont perdu l’intelligence des processus. 

Or la prolétarisation devient au XXe siècle la perte du savoir-vivre qui affecte les consommateurs. Nous ne savons plus faire à manger, préparer nos vacances, nous savons de moins en moins nous occuper de nos enfants, entourer nos parents. Des sociétés de services le font à notre place. Bientôt nous n’aurons même plus à conduire nos voitures : elles se conduiront toutes seules sur des autoroutes électroniques. Marx ne pouvait pas voir venir le consumérisme du XXe siècle. Cette société de consommation a été orchestrée par le marketing pour lutter contre une grande découverte du marxisme : la baisse tendancielle du taux de profit. En 1867, Marx explique que le capitalisme atteindra rapidement sa propre limite. Selon lui, le taux de profit diminuera obligatoirement, entraînant l’effondrement de la rentabilité des investissements, un processus de surproduction et du chômage. Et il croit qu’à la faveur de cette crise économique le prolétariat renversera le capitalisme. Or il y a bien eu une crise économique à la fin du XIXe siècle, mais le capitalisme l’a surmontée par deux voies. La première, la plus horrible, fut la guerre de 1914-1918 : quand le capitalisme rencontre ses limites, cela se termine en guerre. Il faut donc penser ces limites pour tenter, comme le voulait Jaurès, d’éviter les guerres. La deuxième voie est le marketing et le fordisme. Henry Ford n’a pas seulement utilisé la théorie de Taylor pour l’appliquer au travail à la chaîne dans ses usines, il a aussi découvert les techniques de consommation. Il a compris que Marx avait raison et qu’il fallait trouver une solution à la baisse tendancielle du taux de profit. Pour élargir le marché, il a inventé des modes de production, de distribution et de commercialisation tels que ses propres ouvriers puissent acheter les voitures qu’ils fabriquaient. Jamais au XIXe siècle la bourgeoisie n’avait imaginé que les prolétaires pourraient acheter ce qu’ils produisaient. Pour cela il fallait développer le consumérisme, et mettre la consommation au coeur de l’existence. Cela s’appellera « the american way of life ». Au moment où Ford construit ses usines, à Los Angeles s’ouvrent les premiers studios de ce qu’on a appelé l’usine à rêves d’Hollywood. C’est aussi à ce moment qu’Edward Bernays explique au gouvernement américain comment manipuler l’inconscient. Et cela va mener dans les années vingt à la naissance de ce que le philosophe allemand Adorno nommera les industries culturelles, dont il dira qu’elles font système avec les industries de production matérielle. À quoi servent ces industries : cinéma, radio, télévision ? À capter le temps de notre attention pour mettre nos comportements au service de la consommation. Et nous adorerons consommer de plus en plus, et passer la grande part de notre existence devant la télévision, dans les embouteillages et au supermarché.  

Le capitalisme du XXe siècle a capté notre libido et l’a détournée des investissements sociaux. Or c’est par la sublimation que notre libido fait de nous des êtres sociaux plutôt que des barbares. C’est l’énergie libidinale qui est à l’origine de ce qu’Aristote appelait la philia, l’amitié entre les individus (philia, en grec, veut dire amour). Aristote dit que pour vivre en société il faut que nous nous aimions, que nous ayons de l’estime les uns pour les autres, et d’abord pour nous-mêmes. Aujourd’hui nous n’existons plus : nous subsistons. Exister, c’est être reconnu par les autres à travers des relations sociales. Il n’y a plus de relations sociales, d’échange symbolique, de libido. Le marketing a exploité la libido des parents puis celle des enfants et les a détruites. Or, quand on détruit la libido, il reste les pulsions qui donnent al Qaeda aussi bien que Richard Durn, cet homme qui a assassiné la moitié du conseil municipal de Nanterre en 2002. Tous, nous sommes pulsionnels mais, en principe, notre éducation transforme nos pulsions en libido. Par exemple quand on tombe amoureux d’un homme ou d’une femme, on ne lui saute pas dessus. Cela existe, s’appelle le viol, et c’est réprimé. Quand on tombe amoureux on socialise la pulsion sexuelle et on cultive dans le temps une relation où l’on considère que l’objet de son amour n’a pas de prix. C’est ce sentiment que le capitalisme détruit peu à peu. Il est ainsi en train de détruire la parentalité. Avec d’autres j’ai lutté contre la chaîne de télévision Baby First. Elle n’a malheureusement pas été interdite, mais le CSA a recommandé aux parents de ne pas laisser leurs enfants la regarder. Pourquoi cette chaîne est-elle apparue ? Freud explique que, quand on a moins de cinq ans, on s’identifie à ceux qui nous éduquent de façon indélébile. Tout ce qui est alors transmis est inscrit dans l’inconscient et surdétermine le comportement. Le marketing américain en a déduit il y a une trentaine d’années qu’il fallait que la télévision s’adresse le plus tôt possible aux enfants car, comme l’a montré une enquête récente, 61 % des actes d’achats sont prescrits aux parents par leurs enfants.

 

« Le capitalisme est en train de s’autodétruire » 

Le capitalisme a connu deux limites. La première : la baisse tendancielle du taux de profit. La deuxième : la baisse de l’énergie libidinale. Une troisième a été annoncée par René Passet dès 1979 dans l’Économique et le vivant. Il montrait que le capitalisme s’autodétruirait en épuisant ses propres ressources : pétrole, eau, motivation, etc. En 2008, nous vivons cette crise colossale. Aujourd’hui, le danger n’est pas la bourgeoisie, mais un devenir mafieux qui se généralise dans tous les pays, y compris démocratiques. Qu’est-ce que la mafia ? C’est une organisation pulsionnelle où tous les coups sont permis. Or le capitalisme financier tend à devenir mafieux. Le capitalisme est en train de s’autodétruire et ce n’est pas une bonne nouvelle : cela pourrait être bien pire que la Première Guerre mondiale. Il n’y a pas aujourd’hui d’alternative crédible au capitalisme. Alors que faire ? Il faut poser sérieusement la question de la reconstruction d’une économie libidinale capable de produire de la sublimation et un changement de modèle industriel. Comment une société industrielle pourrait-elle se développer qui permettrait aux Indiens, aux Chinois, aux Brésiliens, etc., de rentrer dans un nouveau mode de vie où la subsistance de tous soit assurée sans détruire la planète ? C’est le vrai sujet. Le XIXe siècle a été régi par le productivisme, le XXe par le consumérisme. Aujourd’hui nous savons que ces modèles sont ruineux. Du coup, quand nous disons qu’il faut défendre le pouvoir d’achat des travailleurs, réfléchissons bien : Nicolas Sarkozy dit la même chose. Est-ce qu’il faut défendre le pouvoir d’achat des travailleurs, ou est-ce qu’il ne faut pas plutôt défendre leur savoir d’achat ? À quoi cela sert d’avoir du pouvoir d’achat pour acheter de la bouffe qui nous empoisonne ? À quoi cela sert de développer des comportements de consommation qui détruisent la planète ? Il faut inventer un nouveau mode de vie. Les gens ne veulent pas être gavés de crétineries mais ils sont pris dans un piège. Ils sont intoxiqués, devenus dépendants de l’automobile, de la télévision… Le capitalisme consumériste du XXe siècle a développé cette addiction et fonctionne sur cette base. Il a développé la capacité de contrôler notre inconscient et de nous manipuler. Tout cela peut et doit changer : tel sera le chantier politique du XXIe siècle. (Compte rendu réalisé par Jacqueline Sellem)

 

 

[스티글레르의 주저(La technique et le temps,1,2,3(94,96,01))에 대한 서평]

DE LA FINITUDE RETENTIONNELLE (sur La technique et le temps de Bernard Stiegler)[1]
par Jean-Hugues Barthélémy
« Quel sera exactement le sort de la raison désormais liée à la machine d’une manière étroite ? Nul ne peut
le dire exactement – mais c’est dans cet avenir que le kantisme agonisera »
Alexis Philonenko.


La question d’une « nouvelle critique »
Dans les trois tomes pour l’instant publiés de son grand œuvre La technique et le temps[2], Bernard Stiegler développe d’une part une pensée de la technique comme devenir, pensée qui redéfinit l’homme et qui s’offrirait presque comme un nouveau Discours sur l’origine…, n’était le « défaut d’origine » en vertu duquel cette pensée se dit, conformément à l’injonction de Gilbert Simondon, « non-anthropologique »[3]. Or Stiegler, lorsqu’il en vient d’autre part dans son tome 3 à poser la question d’une « nouvelle critique », achève son propos par une analyse de la science contemporaine qui lui fournit l’occasion de renvoyer à nos travaux antérieurs en vue d’une « Relativité philosophique » après la « révolution copernicienne » de Kant, dans lesquels nous citions une prédiction faite en 1969 par Alexis Philonenko. Prédiction d’autant plus troublante qu’elle constitue à nos yeux une désignation, par le plus grand spécialiste français de la pensée kantienne et néo-kantienne, du lieu où cette pensée doit aujourd’hui livrer son sens autotranscendant[4]. Nous introduirons, présenterons et discuterons la pensée de Stiegler à partir de cette référence, qui nous est désormais commune, à ce que nous nommerons ici l’anticipation de Philonenko. A la dernière page du premier tome de son Œuvre de Kant, ce dernier écrivait en effet :
« Si le kantisme toutefois a signifié l’agonie du platonisme, il est à craindre que notre époque n’assiste à une grande agonie du kantisme, qui sera tout autre que ne l’imaginent les philosophes qui tantôt réfutent Kant, tantôt le dépassent. Il y a tout d’abord une chose que personne n’ignore : le kantisme est tombé des sciences dans l’histoire des sciences. En dépit des louables efforts d’E. Cassirer il n’apparaît plus possible de lier le kantisme avec la science physique moderne [...]. En un siècle où la machine tient une place de plus en plus grande dans la constitution de la connaissance, la raison humaine se complique et se transforme. Quel sera exactement le sort de la raison désormais liée à la machine d’une manière étroite ? Nul ne peut le dire exactement – mais c’est dans cet avenir que le kantisme agonisera [...] et si la lecture de Kant demeure nécessaire c’est en un sens très précis : nous devons savoir d’où nous partons [...] et l’on pourra se consoler en songeant que Kant lui-même ne serait plus de nos jours tout à fait kantien »[5].

[1] Ce texte, prononcé en séminaire au Collège International de Philosophie, est à paraître in P-A. Chardel (dir.), Phénoménologie(s) et techniques(s), Le Cercle Herméneutique, 2008.
[2] Bernard Stiegler, La technique et le temps, t. 1, 2 et 3, Paris, Galilée, respectivement 1994, 1996 et 2001.
[3] Sur l’idée de non-anthropologie chez Simondon, voir notre article « La question de la non-anthropologie », in J-M. Vaysse (éd.), Technique, monde, individuation. Heidegger, Simondon, Deleuze, Olms, 2006.
[4] Sur le concept d’auto-transcendance du sens, voir J-H. Barthélémy, Penser l’individuation. Simondon et la philosophie de la nature, Paris, L’Harmattan (préface de Jean-Claude Beaune), 2005, Introduction, 2., et « Husserl et l’auto-transcendance du sens », Revue philosophique, n°2/2004.
[5] Alexis Philonenko, L’œuvre de Kant, t.1, Paris, Vrin, 1969, pp. 335-336 (souligné par l’auteur).
(이하 생략: 총 34쪽 PDF --> http://liris.cnrs.fr/enaction/docs/documents2008/JHB2.pdf)

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