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Entretien avec P.-F. Moreau (Spinoza 최고전문가)

Entretien avec Pierre-François Moreau
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À quoi sert l’histoire de la philosophie ?
Entretien avec Pierre-François Moreau

par Pascal Sévérac & Ariel Suhamy [30-06-2009]

Domaine : Philosophie.Mots-clés : spinozisme | livre | histoire

Le tome I de la nouvelle édition intégrale des œuvres de Spinoza, contenant les deux ouvrages de jeunesse, est paru cette année aux Presses Universitaires de France. Pierre-François Moreau, qui dirige cette édition qui fait d’ores et déjà référence, en expose les principes fondamentaux. C’est l’occasion de mettre en lumière ce que l’histoire de la philosophie apporte à la philosophie.
 

À quoi sert l’histoire de la philosophie ?
Entretien avec Pierre-François Moreau / par Pascal Sévérac & Ariel Suhamy

La vie des idées : Le premier tome, dans l’ordre chronologique, paraît des Œuvres complètes de Spinoza au PUF, dans la collection Épiméthée. Deux autres volumes sont déjà parus précédemment : le Traité théologico-politique et le Traité politique. Quels sont les principes de cette nouvelle édition critique ?

Pierre-François Moreau : il s’agit de tenir compte dans cette nouvelle édition de l’ensemble du travail scientifique qui a été fait sur l’œuvre de Spinoza depuis les grandes éditions précédentes qui remontent à près d’un siècle : celle de Van Vloten à la fin du XIXe et celle de Gebhardt dans les années 1920. Depuis, beaucoup d’eau ou plutôt d’encre a coulé sous les ponts. On a d’une part lu autrement un certain nombre de ses ouvrages, et d’autre part la réflexion philologique a évolué d’une façon telle qu’on ne peut plus lire ses textes comme on les lisait dans ce temps-là. En particulier, nous comprenons mieux le latin de Spinoza, qui parle le latin du XVIIe siècle. Or, il règne dans les éditions critiques du début du XXe siècle une normativité du latin cicéronien : le latin de Spinoza est corrigé en fonction de ce latin classique. L’histoire du latin s’étend sur des siècles et continue à vivre en tant que langue philosophique à l’âge classique, à l’époque de Descartes et Spinoza. Ces auteurs utilisent des références lexicales et syntaxiques beaucoup plus larges que les nôtres : ils trouvent normal d’écrire comme Tacite ou Suétone, et non pas seulement comme Cicéron ou César, et ils rendent ce latin vivant parce qu’ils créent de nouveaux termes pour expliquer ce qu’ils ont à dire en métaphysique, en droit, en politique. Essayer de le réduire artificiellement à une norme scolaire sous prétexte de le corriger, cela nous empêche de le lire réellement. La première chose à faire est donc de sauter par dessus un certain nombre d’innovations du XIXe siècle et de revenir aux éditions antérieures. À beaucoup d’égards, notre édition est plus proche des premières éditions que des suivantes, paradoxalement.

Il y a eu deux révolutions dans la lecture spinoziste à partir des années 1960, la révolution philologique (Akkerman, Steenbakkers aux Pays-Bas, Mignini, Proietti en Italie, etc.), et la révolution philosophique qui s’est mise à prendre au sérieux la pensée de Spinoza dans ce qu’elle a de systématique. Un certain nombre de choses qui paraissaient simplement bizarres quand on voulait lire Spinoza comme un cartésien ou comme un néo-platonicien, conduisaient à transformer son texte pour qu’il se conforme à l’idée qu’on se faisait de ce qu’il aurait dû dire, alors que depuis les grands travaux d’Alexandre Matheron, de Sylvain Zac, de Martial Gueroult, et de quelques autres, nous sommes habitués à penser que s’il dit quelque chose qui ne ressemble pas à du Descartes, ce n’est pas forcément une faute, quelque chose qu’il faut essayer d’interpréter autrement, mais que c’est une conséquence de sa pensée, et qu’il faut la prendre au sérieux en tant que telle, dans ce qu’elle peut avoir de massif, d’étonnant, voire de rebutant, parce que lire un auteur c’est cela aussi, l’accepter dans son originalité et sa spécificité.

La vie des idées : Ces grandes interprétations ont renouvelé la lecture même du texte et inspiré cette nouvelle édition. Mais alors, est-il possible de distinguer dans une telle édition l’aspect philologique de l’interprétation ? Peut-on vraiment rester en deçà de l’interprétation ?

Pierre-François Moreau : Oui, c’est relativement possible. Nous avons comme principe de séparer les deux, en particulier nous tenons à ce que les notes soient essentiellement historico-critiques. Il y a l’établissement du texte, puis l’annotation qui vise deux buts : d’une part fournir au lecteur de quoi lire les infra-textes de Spinoza. Spinoza a appris le latin très tard, il l’a appris comme on l’apprenait au XVIIe siècle, en lisant les auteurs classiques. Sa maîtrise du latin est à la fois forte – il arrive à dire ce qu’il veut dire – et compliquée : il a tendance à s’appuyer sur des phrases et des formules toutes faites. Il y a sous son texte toute une culture latine qui lui sert à s’exprimer. Nous qui ne baignons pas dans ce latin-là, nous avons besoin de savoir quelle est la phrase de Térence ou de Tacite qui apparaît sous son texte ; non qu’il veuille dire la même chose, mais il est intéressant de voir comment il modifie la phrase pour exprimer sa pensée, qui arrive à se glisser dans la phrase qu’il emprunte à un auteur. C’est le premier but des notes : fournir cette littérature latine dont se sert Spinoza. Le second, c’est de comparer à d’autres passages qui parlent d’un même thème ; fournir aussi les références aux autres auteurs, en laissant le soin au lecteur d’interpréter les différences. Enfin il y a toutes les allusions historiques et bibliques qu’il n’est pas inutile d’expliquer de nos jours. Tout cela fournit du matériel, ce n’est pas interprétatif. La part de l’interprétation, je dirais qu’elle est négative. Elle consiste à dire : attention, telle phrase qui vous paraît bizarre et qu’en bon cartésien ou lecteur de Thomas d’Aquin vous voudriez modifier, il existe une lecture de Spinoza qui nous apprend que cette phrase peut tenir telle quelle. Ce n’est pas la peine de torturer la phrase pour la faire ressembler à tel auteur antérieur ou contemporain.

Le partage entre philologie et interprétation se fait entre ces deux lignes de démarcation : d’une part séparer matériel et interprétation, et d’autre part usage négatif de l’interprétation, pour dire que le texte de Spinoza offre plus de possibilités que ce qu’ont pu croire les précédents éditeurs.

La vie des idées : Qu’en est-il maintenant des principes de la traduction ?

Pierre-François Moreau : Ils sont très simples. On part du principe que Spinoza, comme tout philosophe, s’exprime dans un lexique relativement stable. Cela ne veut pas dire que tous les textes spinoziens sont de la même intensité lexicale. Il y a deux pôles : un pôle systématique avec une série de termes qui renvoient à un champ sémantique dans lequel est prise une expression de sa pensée. Substantia, imperium, libertas, etc. ont une signification forte, qui n’est peut-être pas constante, mais qui varie dans des limites conceptuelles. À côté de cela, il y a la langue ordinaire. Ce serait trop simple, bien entendu, si l’on pouvait diviser le texte en ces deux catégories : il y a toute une série de degrés. Le rôle du traducteur est de jouer sur ces degrés et d’arriver à rendre au maximum une équivalence. C’est pourquoi le vieil axiome selon lequel le traducteur est un traître est parfaitement faux. C’est là une vision spiritualiste de la traduction. En réalité on peut très bien traduire sans trahir. Le degré de fidélité du traducteur renvoie à son degré de réflexion sur la conceptualité du texte. Celle-ci ne consiste certainement pas à rendre un mot latin par un mot français, car le mot latin peut correspondre à plusieurs mots, par exemple, le mot imperium renvoie à deux champs sémantiques classiques : le champ militaire (le commandement), et un domaine juridico-politique. Il est parfaitement légitime d’utiliser deux termes. Ensuite à l’intérieur d’un même champ sémantique, ce serait une erreur de le traduire par un très grand nombre de mots différents ; mais d’un autre côté ce serait une erreur de le traduire toujours par le même terme, ce qui reviendrait à tordre la langue d’arrivée. Il faut alors choisir un petit nombre de termes et les indiquer au lecteur. Par exemple, imperium au sens juridico-politique peut être traduit par « État » et « souveraineté ». Et ensuite il faudra éviter de traduire par un même mot français plusieurs mots latins. Sinon le lecteur risque de reconstruire une cohérence fausse en s’appuyant sur une permanence lexicale qui n’existe pas dans le texte latin. À cela s’ajoute la nécessité de constituer un glossaire qui permet d’exposer les choix que le traducteur a faits. Donner au lecteur les clefs et les conditions de sa lecture, c’est lui donner les possibilités d’une lecture scientifique.

La vie des idées : Dans le Traité théologico-politique, Spinoza expose des règles d’interprétation de l’Écriture sainte. Peut-on s’en servir pour établir une édition spinoziste de Spinoza, ou est-ce sans rapport, d’abord parce qu’il ne s’agit pas d’interpréter et ensuite parce que les textes de Spinoza ne sont pas du même ordre ?

Pierre-François Moreau : La question est compliquée. Spinoza ne donne pas de règles d’édition. Certes on peut lire dans ses règles d’interprétation quelque chose comme des règles d’édition. À ce niveau-là, la règle qu’il donne : ne pas intervenir dans le texte, ne pas substituer nos imaginations au texte, c’est évidemment ce que nous tenons dans notre propre édition. De même, les règles de commentaire historique qu’il donne pour la Bible sont valables pour tout type de livre. La différence est que le statut de la Bible n’est pas celui d’un texte comme le Traité théologico-politique. Le point de départ est que la Bible a des auteurs différents, nous ne pouvons donc pas présupposer qu’ils disent la même chose d’un bout à l’autre. Au contraire, les textes de Spinoza sont du même auteur, et nous devons supposer que chacun de ces textes a une cohérence interne. Il y a donc des règles de systématicité qu’on ne peut pas appliquer à la Bible, mais seulement à la lecture de l’Éthique ou du Traité théologico-politique. Maintenant, on pourrait transposer la question de l’hétérogénéité à la biographie intellectuelle et se demander s’il n’y a pas entre les différents ouvrages de Spinoza une évolution, et donc une différence qui correspondrait – à une échelle très limitée – à celle des auteurs de la Bible. D’autre part il y a une différence essentielle : aux yeux de Spinoza la Bible est un ouvrage d’imagination ; ce n’est pas le cas de ses propres écrits.

La vie des idées : Quel rapport y a-t-il entre ce travail d’histoire de la philosophie qui se fonde sur l’établissement des textes et l’actualité du spinozisme aujourd’hui en neurobiologie, en sciences sociales, en politique ? Des penseurs comme Étienne Balibar, Toni Negri, Frédéric Lordon utilisent couramment la référence spinoziste. Y a-t-il une communauté entre ces deux activités ?

Pierre-François Moreau : Je disais tout à l’heure qu’il y avait eu deux révolutions dans la lecture spinoziste, philologique et philosophique. On assiste depuis dix ans à une troisième révolution qui est liée aux deux premières : le fait de relire les textes, de se rendre compte qu’il y a une force productive dans la pensée de Spinoza, cela amène à lire Spinoza en dehors de Spinoza, à se dire que si sa méthode fonctionne, si fonctionne sa façon d’aborder les objets théoriques que sont l’État, les passions, l’Écriture sainte, cela peut aussi marcher pour comprendre ce que c’est que la connaissance, la psychologie, une entreprise, le capital, la société de nos jours etc. De sorte que les chercheurs en sciences sociales ou cognitives s’intéressent effectivement à Spinoza non plus pour le commenter mais aussi pour avoir ce qu’ils pensent être une démarche spinoziste en sociologie, en économie ou ailleurs. Cette troisième révolution me paraît tout à faire cohérente avec les deux précédentes.

Pourquoi maintenant Spinoza sert-il de référence aux sciences humaines ? Même quand elles se proclamaient non philosophiques, elles avaient une philosophie implicite, qui était souvent une philosophie de la causalité simple, de type cartésien, ou encore une philosophie expressiviste, où chaque niveau du social reflète un autre niveau du social, c’est-à-dire de type leibnizien. Les sciences sociales ont très longtemps fonctionné ainsi, sur des modèles analogues. Et puis on s’est rendu compte que ça ne marchait pas et que le modèle spinoziste pouvait non seulement expliquer certains phénomènes, mais aussi, d’abord, tout simplement les faire apparaître. Des choses qui étaient invisibles à partir d’un certain discours devenaient visibles et donc réclamaient une explication. L’intérêt de la démarche spinoziste, c’est non seulement d’expliquer ce qu’on connaît déjà, mais aussi de nous donner à voir ce qu’il faut expliquer, avant même d’expliquer. Cela fait comprendre le renouveau du spinozisme en dehors de l’histoire de la philosophie et des cercles proprement philosophiques.

Ce qui serait intéressant c’est de savoir si les premiers écrits auront un tel effet. Aujourd’hui ces renouveaux se fondent sur l’Éthique (l’illusion, la critique de la finalité, etc.) et les traités politiques. Or, le Traité de la réforme de l’entendement réfléchit non pas tant sur la méthode que sur la fiction, sur la manière de s’en délivrer ou de l’utiliser pour produire des idées justes. Il serait intéressant de savoir si les sciences humaines font le même usage de la fiction. Spinoza se pose la question en ce qui concerne les sciences de la nature : on pourrait exporter ces questions dans les sciences humaines. Dans le Court Traité, on trouve une première réflexion sur l’ontologie de la puissance, qui ne se présente pas encore sous forme géométrique, ce serait intéressant de voir si elle peut engendrer une réflexion sur les formes de puissance à l’œuvre dans le psychisme, dans l’inconscient, dans la société, dans les relations de pouvoir etc. Ce que j’espère, c’est que cette édition qui permet de lire ces textes sous une forme renouvelée, entraîne une nouvelle révolution, par son exportation dans des domaines scientifiques qui sont à la recherche de nouveaux modèles.

La vie des idées : On a aujourd’hui tendance à opposer une histoire de la philosophie qui s’occuperait essentiellement d’exégèse, à une pratique philosophique (notamment la philosophie dite analytique) qui s’occuperait « vraiment » de philosophie. Comment les deux s’articulent-ils ? Faire de l’histoire de la philosophie, est-ce encore faire de la philosophie ?

Pierre-François Moreau : La frontière n’est pas si étanche, d’abord, parce qu’on voit une certaine philosophie analytique se pencher sur l’histoire de la philosophie, et les discussions peuvent être instructives. Mais on peut se demander en effet à quoi sert l’histoire de la philosophie et s’il ne vaudrait pas mieux faire de l’économie ou de l’informatique… Je pense qu’il faut faire de l’histoire de la philosophie. Il me semble qu’on a au moins deux raisons de l’enseigner et de la pratiquer. D’abord, pour savoir ce que nous sommes, d’où nous sortons, quelle est notre identité. On parle beaucoup aujourd’hui d’identité. Mais une identité est produite par l’histoire, en particulier, dans l’histoire européenne qui est la nôtre par ce qui s’est passé entre la Renaissance et la Révolution française, c’est là que s’est mis en place une nouvelle façon de regarder le monde, une nouvelle explication du monde physique, une nouvelle façon de regarder le citoyen et l’État, sur laquelle nous vivons encore. C’est là aussi que s’est fondée notre conception de la religion comme institution privée, relativement séparée de l’État. Tout ce qui s’effectue à l’âge classique, nous vivons encore dessus, que nous le sachions ou non. D’autre part la philosophie de cette époque est faite à partir de la réflexion sur ce qui se passe dans les sciences, et dans les autres secteurs théoriques. La philosophie n’est jamais qu’un des domaines de l’histoire des idées, qui entretient des rapports spécifiques avec les autres domaines, qui les remanie, leur emprunte des concepts, etc. Faire de l’histoire de la philosophie, c’est faire, directement ou indirectement, l’histoire de tout cela. Faire de la philosophie, c’est donc faire de l’histoire de la philosophie. Simplement on le sait ou on ne le sait pas. Je pense qu’il vaut mieux le savoir.

Propos recueillis par Pascal Sévérac & Ariel Suhamy [30-06-2009]

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Macherey,90) De Canguilhem à C.~ Foucault

죠져 깡귈렘(G. Canguilhem, 1904~1995)은, 직전의 마셔레(Pierre Macherey) 글목록 코너에서 봤듯이, 마셔레가 스피노자 다음으로 가장 많이 다룬 작가이다. 주지하다시피, 들뢰즈(1925-95),푸코(1926-84)를 비롯하여 마셔레(1938-), 발리바르(1942-), 르꾸르(D. Lecourt,1944~; qsj-GC 저자)등 대부분의 대가들이 깡귈렘에게서 배웠다고 한다. 깡귈렘이 1971년(1955~)까지 소르본느에 머물렀다고 하니, 60년대의 청년 마셔레-발리바르 등은 에꼴노르말의 알튀세르(1918-90)에게서 정치철학-스피노자를 배우고, 동시에 소르본느의 깡귈렘에게서는 과학-인식론을 접하는 행운을 얻었던 것. 고로 '깡귈렘 공부하기'는 후발주자들을 이해하는 바탕이 되겠다는 취지에서, 마셔레의 1990년 논문 한 편을 맛뵈기로 읽어본다. 총 9쪽의 짧은 논문의 제목은 "깡귈렘에서 푸코를 관통한 깡귈렘까지"(De Canguilhem à Canguilhem en passant par Foucault) 이고, 여기서 마셔레는...... [마셔레의 창고는 너무 넓고 빡빡해서 글을 읽기가 불편한고로 퍼다가 읽는다; 밑에는 깡귈렘 자신의 58년 논문인 "심리학이란 무엇인가"를 링크만 걸어 둔다.]

 

 

De Canguilhem à Canguilhem en passant par Foucault

PIERRE MACHEREY

 

 

 

[in : Georges Canguilhem, philosophes et historien des sciences, colloque 1990,

Bibliothèque du Collège international de philosophie, éd. Albin-Michel, p. 286-294]

 

 

 

Indépendamment des considérations personnelles et particulières qui conduisent à rapprocher les démarches théoriques de G. Canguilhem et de M. Foucault, une telle comparaison se justifie surtout par une raison de fond : ces deux pensées se sont développées autour d’une réflexion consacrée au problème des normes ; réflexion, au sens fort de l’expression, philosophique, même si elle a été directement associée chez ces deux auteurs à l’exploitation de matériaux empruntés à l’histoire des sciences biologiques et humaines et à l’histoire politique et sociale. D’où cette interrogation commune qui, en termes très généraux, pourrait être ainsi formulée : pourquoi l’existence humaine est-elle confrontée à des normes ? D’où celles-ci tirent-elles leur pouvoir ? Et dans quelle direction orientent-elles ce pouvoir ?

 

Chez G. Canguilhem, ces questions se nouent autour du concept de « valeurs négatives », retravaillé à partir de Bachelard. Ce point est exemplairement éclairé par la conclusion de l’article « Vie » de l’Encyclopœdia Universalis, qui, à partir d’une référence à la pul­sion de mort, énonce cette thèse : la vie ne se fait connaître, et reconnaître, qu’à travers les erreurs de la vie qui, en tout vivant, révèlent son constitutif inachèvement. Et c’est pourquoi le pouvoir des normes s’affirme au moment où il bute, et éventuellement trébuche, sur ces limites qu’il ne peut franchir et vers lesquelles il est ainsi ramené indéfiniment. Dans ce sens, avant de citer longuement Bor­gès, G. Canguilhem pose la question : « La valeur de la vie, la vie comme valeur, ne s’enracinent-elles pas dans la connaissance de son essentielle précarité ? »

Les problèmes qui sont ainsi en jeu seront ici ramenés dans un cadre étroitement délimité, à partir d’une lecture parallèle des deux ouvrages de G. Canguilhem et de M. Foucault qui abordent précisément cette question : le rapport intrinsèque de la vie à la mort, ou du vivant au mortel, tel qu’il s’éprouve à partir de l’expérience clinique de la maladie. Rappelons brièvement pour commencer dans quel espace chronologique se déploie cette confrontation : en 1943, G. Canguilhem publie sa thèse de médecine Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique ; en 1963, « vingt ans après », il fait paraître dans la collection « Galien », consacrée à l’histoire et à la philosophie de la biologie et de la médecine, qu’il dirige aux Presses Universitaires de France, le second grand ouvrage de M. Foucault après l’Histoire de la folie : Naissance de la clinique ; la même année, il donne à la Sorbonne un cours sur les nor­mes, préparant la réédition, en 1966, de l’Essai de 1943, assorti de Nouvelles réflexions concernant le normal et le pathologique. Reprenons les étapes successives de ce parcours.

 

 

L’Essai de 1943 oppose la perspective objectivante d’une biolo­gie positiviste, alors exemplairement représentée à travers les travaux de Claude Bernard, à la réalité effective de la maladie : celle-ci ayant essentiellement valeur d’un problème posé à l’individu et par l’individu, à l’occasion des ratés de sa propre existence, problème pris en charge par une médecine qui n’est pas d’abord une science, mais un art de la vie, éclairé par la conscience concrète de ce problème considéré en tant que tel, indépendamment des tentatives de solutions qui entreprennent de l’annuler.

Toute cette analyse tourne autour d’un concept central : celui du « vivant », sujet d’une « expérience » – cette notion se retrouve tout au long de l’Essai – à travers laquelle il est exposé, de manière intermittente et permanente, à la possibilité de la souffrance et plus généralement du mal vivre. Dans cette perspective, le vivant repré­sente simultanément deux choses : il est d’abord l’individu ou l’être vivant, appréhendé dans sa singularité existentielle, telle que la révèle de manière privilégiée le vécu conscient de la maladie ; mais il est aussi ce qu’on pourrait appeler le vivant du vivant : ce mouvement polarisé de la vie qui, dans tout vivant, le pousse à développer au maximum ce qu’il est en lui d’être ou d’exister. Dans ce dernier aspect, on peut sans doute retrouver une inspiration bergsonienne ; mais on pourrait également y voir, bien que G. Can­guilhem n’évoque pas lui-même l’éventualité d’un tel rapprochement, l’ombre portée par le concept spinoziste de « conatus ».

 

Ce vivant se qualifie par le fait qu’il est porteur d’une « expé­rience », qui se présente elle-même simultanément sous deux formes : une forme consciente et une forme inconsciente. La première partie de l’Essai, en opposition aux démarches du biologiste qui tend à en faire un objet de laboratoire, insiste surtout sur le fait que le malade est un sujet conscient, s’employant à exprimer ce que lui fait ressentir son expérience en déclarant son mal à travers la leçon vécue qui le lie au médecin ; dans ce sens, G. Canguilhem écrit, en référence aux conceptions de R. Leriche : « Nous pensons qu’il n’y a rien dans la science qui n’ait d’abord apparu dans la conscience, et... que c’est le point de vue du malade qui est au fond le vrai. » (Le Normal et le Pathologique, p. 53 – Le Normal et le Pathologique de G. Canguilhem est ici cité d’après l’édition de 1966, reproduite en 1988 par les PUF dans la série Quadrige. Naissance de la clinique de M. Foucault est cité d’après l’édition originale de 1963 (coll. Galien, PUF)). Mais la seconde partie de l’Essai reprend la même analyse en l’approfondissant, ce qui conduit à enraciner l’expé­rience du vivant dans une région située en deçà ou aux limites de la conscience, là où s’affirme, à l’épreuve des obstacles qui s’oppo­sent à son complet épanouissement, ce qu’on vient d’appeler le vivant du vivant, et que G. Canguilhem désigne aussi comme étant « l’effort spontané de la vie » (Ibidem, p. 77), effort spontané donc antérieur, et peut-être extérieur, à sa réflexion consciente : « Nous ne voyons pas comment la normativité essentielle à la conscience humaine s’expliquerait si elle n’était pas en quelque façon en germe dans la vie. » (Idem). En germe, c’est-à-dire sous la forme d’une promesse qui s’avère surtout comme telle dans les cas où il apparaît qu’elle ne peut être tenue.

La mise en valeur de cette « expérience », avec ses deux dimen­sions consciente et inconsciente, conduit, à l’opposé de l’objectivisme propre à une biologie positiviste volontairement ignorante des valeurs de la vie, à cette conclusion : « Il nous semble que la physiologie a mieux à faire que de chercher à définir objectivement le normal, c’est de reconnaître l’originale normativité de la vie. » (Le Normal et le Pathologique, p. 116). Ce qui signifie que, les normes n’étant pas des don­nées objectives, et comme telles directement observables, les phénomènes auxquels elles donnent lieu ne sont pas ceux, statiques, d’une « normalité », mais ceux, dynamiques, d’une « normativité ». On voit que le terme «expérience » trouve ici encore un nouveau sens : celui d’une impulsion qui tend vers un résultat sans avoir la garantie de l’atteindre ou de s’y maintenir; c’est l’être erratique du vivant, sujet à une infinité d’expériences, ce qui, dans le cas du vivant humain, est la source positive de toutes ses activités.

 

Ainsi est renversée la perspective traditionnelle concernant le rapport de la vie et des normes : ce n’est pas la vie qui est soumise à des normes, celles-ci agissant sur elle de l’extérieur; mais ce sont les normes qui, de manière complètement immanente, sont produites par le mouvement même de la vie. Telle est la thèse centrale de l’Essai : il y a une essentielle normativité du vivant, créateur de normes qui sont l’expression de sa constitutive polarité. Ces nor­mes rendent compte du fait que le vivant n’est pas réductible à une donnée matérielle mais qu’il est un possible, au sens d’une puis­sance, c’est-à-dire une réalité qui se donne d’emblée comme inachevée parce qu’elle est confrontée par intermittence aux risques de la maladie, et à celui de la mort en permanence.

 

Lire Naissance de la clinique, le livre publié en 1963 par M. Foucault sous l’autorité de G. Canguilhem, après l’Essai de 1943, c’est faire le constat d’une communauté de vues n’excluant pas la différence, voire l’opposition des points de vue. Ces deux ouvrages critiquent la prétention d’objectivité du positivisme biologique sur ses deux bords. On vient de voir que G. Canguilhem avait effectué cette critique en s’engageant du côté de l’expérience concrète du vivant, et avait été ainsi amené à ouvrir une perspective qu’on pourrait dire pénoménologique sur le jeu des normes, saisi au point où il est issu de l’essentielle normativité de la vie.

Or, à la considération de cette origine essentielle, M. Foucault substitue celle d’une « naissance » historique, précisément située dans le développement d’un processus social et politique : il est ainsi amené à procéder à une « archéologie » – le contraire d’une phénoménologie – des normes médicales, vues du côté du médecin, et même, en arrière de celui-ci, du côté des institutions médicales bien plus que de celui du malade, qui paraît ainsi le grand absent de cette Naissance de la clinique. De cette manière est expliqué le déploiement d’un espace médical où la maladie est soumise à un « regard » à la fois normé et normant, qui décide des conditions de la normalité en se soumettant à celles d’une normativité commune

« La médecine ne doit plus seulement être le corpus des techniques de la guérison et du savoir qu’elles requièrent ; elle enveloppera aussi une connaissance de l’homme en santé, c’est-à-dire à la fois une expérience de l’homme non malade et une définition de l’homme modèle. Dans la gestion de l’existence humaine, elle prend une posture normative, qui ne l’autorise pas simplement à distribuer des conseils de vie sage, mais la fonde à régenter les rapports physiques et moraux de l’individu et de la société où il vit. » (Naissance de la clinique, p. 35).

On dirait que le vivant a cessé d’être le sujet de la normativité pour n’en devenir plus que le point d’application, si M. Foucault n’effaçait pratiquement de ses analyses toute référence à cette notion de vivant, aussi rare dans Naissance de la clinique qu’elle est fréquente dans l’Essai de 1943. C’est à ce prix que peut être présentée une genèse de la normalité, au double sens d’un modèle épistémologique, réglant les connaissances, et d’un modèle politi­que, régissant les comportements.

Le concept d’« expérience » revient aussi souvent dans les analyses de M. Foucault que dans celles de G. Canguilhem ; mais, en rap­port avec l’exigence formulée par M. Foucault de « prendre les choses dans leur sévérité structurale » (Ibidem, p. 138), ce concept reçoit une signification tout à fait différente. Il ne s’agit plus d’une expérience du vivant, à tous les sens que peut prendre cette expression, mais d’une expérience historique, à la fois anonyme et collective, d’où se dégage la figure complètement désindividualisée de la clinique. Ainsi, ce que M. Foucault appelle « l’expérience clinique » procède simultanément à plusieurs niveaux : elle est ce qui permet au médecin de perfectionner son expérience, en se mettant par l’intermédiaire de l’observation (le « regard médical ») au contact de l’expérience, et ceci dans le cadre institutionnel qui détermine une expérience socialement reconnue et contrôlée. Dans la phrase qui précède, le terme « expérience » intervient en trois positions et avec des significations différentes : la corrélation de ces positions et de ces significations définit précisément la structure de l’expérience clinique.

C’est le triangle de l’expérience : à un sommet, le malade occupe la place de l’objet regardé ; à un autre sommet, on trouve le médecin, membre d’un « corps », le corps médical, reconnu compétent pour devenir le sujet du regard médical ; et, enfin, la troisième posi­tion est celle de l’institution qui officialise et légitime socialement le rapport de l’objet regardé au sujet regardant. On voit donc que le jeu du « dit » et du « vu » à travers lequel se noue une telle « expérience » passe par-dessus le malade et le médecin lui-même, pour réaliser cette forme historique a priori qui anticipe sur le vécu concret de la maladie en lui imposant ses propres modèles de recon­naissance.

Cette analyse diffère profondément, et même peut-être diverge, par rapport à celle présentée par G. Canguilhem dans son Essai de 1943. Et pourtant, d’une manière qui peut paraître inattendue, elle débouche sur des conclusions assez voisines. Car l’expérience clinique telle qu’elle vient d’être caractérisée, en même temps qu’elle offre au malade une perspective de survie en le rétablissant dans un état normal dont elle définit elle-même les critères, ceux-ci n’étant qu’après coup validés par les constructions du savoir objec­tif, le confronte au risque et à la nécessité d’une mort qui apparaît alors comme le secret ou la vérité de la vie, sinon comme son principe. C’est la leçon de Bichat, exposée dans le chapitre 8 de Nais­sance de la clinique, que G. Canguilhem a souvent citée.

 

 

C’est donc la structuration historique de l’expérience clinique qui établit la grande équation du vivant et du mortel : elle insère les processus morbides dans un espace organique dont la représentation est précisément informée par les conditions qui promeuvent cette expérience ; et ces conditions, en raison de leur historicité même, ne sont pas réductibles à une nature biologique immédiatement donnée en soi, comme un objet offert en permanence à une connais­sance dont les valeurs de vérité seraient de ce fait inconditionnées.

C’est pourquoi « il faut laisser aux phénoménologies le soin de décrire en termes de rencontre, de distance ou de « compréhension » les avatars du couple médecin-malade... Au niveau originaire s’est nouée la figure complexe qu’une psychologie, même en profondeur, n’est guère capable de maîtriser ; depuis l’anatomie patho­logique, le médecin et le malade ne sont plus deux éléments corrélatifs et extérieurs, comme le sujet et l’objet, le regardant et le regardé, l’oeil et la surface; leur contact n’est possible que sur le fond d’une structure où le médical et le pathologique s’appartiennent de l’intérieur dans la plénitude de l’organisme... Le cadavre ouvert et extériorisé, c’est la vérité intérieure de la maladie, c’est la profondeur étalée du rapport médecin-malade » (Idem).

Dans les conditions qui rendent possible l’expérience clinique, la mort, et avec elle aussi la vie, cesse d’être un absolu ontologique ou existentiel, et simultanément elle acquiert une dimension épistémologique : si paradoxal que cela puisse paraître, elle « éclaire » la vie.

« C’est du haut de la mort qu’on peut voir et analyser les dépendances organiques et les séquences pathologiques. Au lieu d’être ce qu’elle avait été si longtemps, cette nuit où la vie s’efface, où la maladie se brouille, elle est douée désormais de ce grand pouvoir d’éclairement qui domine et met à jour à la fois l’espace de l’organisme et le temps de la maladie. » (Naissance de la clinique, p. 145).

Remarquons-le, c’est ici, à propos de Bichat, qu’apparaît, en vue d’en relativiser le contenu, une des très rares références que fait Naissance de la clinique à la notion de « vivant » :

« L’irréductibilité du vivant au mécanique et au chimique n’est que seconde par rapport à ce lien fondamental de la vie et de la mort. Le vitalisme apparaît sur fond de ce mortalisme. » (Ibidem, p. 144).

Pour cette raison, décomposer cette expérience clinique en révé­lant la structure qui la supporte, c’est aussi exposer les règles d’une sorte d’art de vivre, en rapport avec tout ce qui est compris sous les notions de santé et de normalité, celles-ci n’ayant plus rien à voir avec la représentation de ce que G. Canguilhem appellerait lui-même une « innocence biologique ». Et on pourrait voir ici l’esquisse de ce que, dans ses derniers écrits, M. Foucault appel­lera « esthétique de l’existence », en vue de faire comprendre com­ment on se joue des normes en jouant avec elles, c’est-à-dire en les faisant fonctionner, et en ouvrant du même coup la marge d’ini­tiative que libère leur « jeu ». Cet art de vivre suppose, de la part de celui qui l’exerce, qu’il se sache mortel et qu’il apprenne à mou­rir : cette idée, M. Foucault l’a aussi développée, la même année 1963, dans son ouvrage sur Raymond Roussel, où l’expérience du langage a pris en quelque sorte la place de l’expérience clinique.

 

En 1963, en même temps qu’il lit le livre de M. Foucault, G. Canguilhem se relit lui-même, et prépare ses Nouvelles réflexions qui seront publiées trois ans plus tard. Dans ce dernier texte, G. Can­guilhem ne cesse d’insister sur le fait qu’il ne voit aucune raison de revenir sur les thèses qu’il avait soutenues en 1943 pour les infléchir ou les écarter. Mais s’il en est réellement ainsi, comment expli­quer la nécessité de présenter ces réflexions, dans lesquelles il faut bien que se fasse jour aussi quelque chose de « nouveau » ?

Or leur nouveauté tient d’abord au fait que ces réflexions repo­sent la question des normes en la déplaçant sur un autre terrain, qui élargit considérablement le champ de fonctionnement des normes. Pour le dire très sommairement, cet élargissement procède du vital vers le social. D’où cette question qui se trouve en fait au centre des Nouvelles réflexions : l’effort de penser la norme sur fond de normativité plutôt que sur fond de normalité, qui avait caractérisé l’Essai de 1943, peut-il être étendu du vital au social, en particulier lorsque sont pris en compte tous les phénomènes de normalisation concernant le travail humain et les produits de ce travail ?

La réponse à cette question serait globalement négative en raison de l’impossibilité démontrée par G. Canguilhem d’inférer du vital au social, c’est-à-dire d’aligner le fonctionnement d’une société en général, en tant que porteuse d’un projet de normalisation, sur celui d’un organisme. Dans cette argumentation, on peut voir une résurgence du débat traditionnel entre finalité interne et finalité externe. Est-ce à dire qu’il faudrait distinguer radicalement deux types de normes, en renvoyant dos à dos le vital et le social?

Or, à cette dernière question, on répondra aussi par la négative, essentiellement pour deux raisons. D’abord les Nouvelles réflexions soulignent le fait que les normes vitales, dans le monde de l’homme tout au moins – et l’homme n’est-il pas l’être qui tend à faire rentrer toutes choses dans son monde propre ? – ne sont pas l’expres­sion d’une « vitalité » naturelle, de fait abstraite parce que strictement cantonnée dans son ordre, alors que ces normes expriment un effort en vue de dépasser cet ordre, effort qui n’a de sens que parce qu’il est socialement conditionné. D’autre part, les Nouvelles réflexions dégagent aussi l’idée d’une normativité sociale, procédant par « invention d’organes » (Le Normal et le Pathologique, p. 189), au sens technique du terme invention. Ceci suggère la nécessité de retourner le rapport du vital au social : ce n’est pas le vital qui impose son modèle indépassable au social, comme voudraient le faire croire les métaphores de l’organicisme; mais c’est plutôt, dans le monde humain, le social qui tire le vital en avant de lui-même, ne serait-ce que parce que l’un des « organes » qui ressort de son « invention » est la connaissance du vital lui-même, connaissance qui est sociale dans son principe.

 

 

Penser les normes et leur action, c’est donc réfléchir un rapport du vital et du social qui ne soit pas réductible à un déterminisme causal unilatéral. Ceci évoque le statut très particulier du concept de « connaissance de la vie » chez G. Canguilhem, qui s’en est servi, on le sait, pour intituler l’un de ses livres. Ce concept correspond simultanément à la connaissance qu’on peut avoir au sujet de la vie considérée comme un objet, et à la connaissance que produit la vie qui, en tant que sujet, promeut l’acte de la connaissance et lui confère ses valeurs. C’est dire que la vie n’est ni totalement objet ni totalement sujet, pas plus qu’elle n’est tout à fait conscience intentionnelle, ni non plus matière à oeuvrer, inconsciente des impulsions qui la travaillent. Mais la vie est puissance, c’est-à-dire, comme on l’a dit pour commencer, inachèvement : et c’est pourquoi elle ne s’éprouve qu’en se confrontant à des « valeurs négatives ».

A la fin des Nouvelles réflexions, on peut lire ceci : « C’est dans la fureur de la culpabilité comme dans le bruit de la souffrance que l’innocence et la santé surgissent comme les termes d’une régres­sion impossible autant que recherchée. » (Ibidem, p. 180). Cette phrase, peut-être M. Foucault aurait-il pu l’écrire pour illustrer les inévitables mythes de la normalité : ces mythes qui, à travers leur expression idéalisée, ne parlent de rien d’autre que de la souffrance et de la mort, c’est-à-dire de la menace qui rappelle tout vivant à soi, à la fois à son individualité de vivant, et à son vivant de vivant.

 

 

 

Georges Canguilhem, 1958) Qu’est-ce que la psychologie ?

I. La psychologie comme science naturelle
II. La psychologie comme science de la subjectivité
   A – La physique du sens externe –
   B – La science du sens interne –
   C - La science du sens intime -
III. La psychologie comme science des réactions et du comportement

 

* Conférence prononcée le 18 décembre 1958 au Collège philosophique à Paris. Parue dans Revue de Métaphysique et de Morale, n°1, 1958, Paris. http://www.psychanalyse.lu/articles/CanguilhemPsychologie.htm

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[on/off line] Pierre Macherey - Ecrits

PIERRE MACHEREY (1938 - )

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I. SOURCES: PRIMARY

Off-Line:

Anthologies:

  • Histoires de dinosaure: faire de la philosophie, 1965-1997.  Paris: PUF, 1999. 
  • In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998. 

Edited Works:

  • Alain Badiou: Philosophy and its Conditions.  Ed. Macherey and Gabriel Riera.  Albany: SUNY Press, 2005.

Selected Individual Works:

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  • "Out of Melancholia: Notes on Judith Butler's The Psychic Life of Power: Theories in Subjection."  Rethinking Marxism 16.1 (2004): .
  • "Review of Michael Hardt/ Antonio Negri, Multitude, guerre et démocratie à l’âge de l’Empire."  November 19, 2004.
  • “Y a-t-il une Philosophie littéraire?”  Bulletin de la Société Française de Philosophie 98.3 (2004):
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  • "Descartes, est-ce la France?  L'Esprit 2 (2002): .

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    • La Nature des choses.  Vol. 5.  1998.
    • La Réalité mentale.  Vol. 4.  1997.
    • La Condition humaine.  Vol. 3.  1996.
    • La Vie affective.  Vol. 2.  1995.
    • Les Voies de la libération.  Vol. 1.  1994.
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  • "Engels (Friedrich)."  By Macherey and Etienne Balibar.  Vol. 8 of Encyclopaedia Universalis.  Paris: Encyclopaedia Universalis, 1989-90.  372-374;
  • "Formalisme et formalisation."  By Macherey and Etienne Balibar.  Vol. 9 of Encyclopaedia Universalis.  Paris: Encyclopaedia Universalis, 1989-90.  707-710;
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  • "La Philosophie de la science de Georges Canguilhem: Épistemologie et histoire des sciences."  La Pensée 113 (1964): 62-74.

    • "Georges Canguilhem’s Philosophy of Science: Epistemology and History of Science."  In a Materialist Way: Selected Essays.  Trans. Ted Stolze.  Ed. Warren Montag.  London: Verso, 1998.  161-187.

Selected Interviews: "Sur l’Histoire de la Philosophie.”  Le Philosophoire 20 (2003): 7-20.

 

On-Line:

Anthologies:

Selected Individual Works:

Selected Interviews: Sur l’Histoire de la Philosophie (2003)

 

 

II) SOURCES: SECONDARY

Off-Line:

Anthologies:

Selected Individual Works:

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  • Eagleton, Terry.  "Macherey and Marxist Literary Theory."  Minnesota Review (1975): .  Rpt. in Against the Grain: Selected Essays 1975-1985.  London: Verso, 1986.  9-22.
  • Goldstein, Philip.  “Between Althusserian Science and Foucauldian Materialism: the Later Work of Pierre Macherey.”  Rethinking Marxism 16.3 (2004): 327-337.
  • Montag, Warren.  "Introduction."  In a Materialist Way: Selected Essays by Pierre Macherey.  Ed.  Warren Montag.  Trans. Ted Stolze.  London: Verso, 1998.  3-14.
  • Montag, Warren.  "Macherey's Intervention."  Louis Althusser.  London: Palgrave Macmillan, 2003.  49-61.

  • Montag, Warren.  "Macherey and Literary Analysis."  Minnesota Review (1986): .
  • Stolze, Ted.  “Macherey and the Becoming-Real of Philosophy.”  Minnesota Review N.S. 26 (1986): .

On-Line:

 

III) UNIVERSITY PROGRAMMES / RESEARCH CENTRES / RESEARCH PROJECTS

 

출처: http://www.phillwebb.net/History/TwentiethCentury/Continental/(Post)Structuralisms/StructuralistMarxism/Macherey/Macherey.htm

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Spinoza, selon P.-F.Moreau & R.Misrahi

http://hyperspinoza.caute.lautre.net/spip.php?article1934
Qui sont aujourd’hui les admirateurs de Spinoza ? (Publié le 26 avril 2009)
par Moreau, Pierre-François (Interview de Pierre-François Moreau. Propos recueillis par Catherine Golliau)

 

1/ Spinoza est-il spinoziste ?
Pierre-François Moreau : Tout dépend de la définition que vous donnez de cet adjectif ! Le spinozisme, c’est d’abord la doctrine de Spinoza. Définition rigoureuse, mais limitée parce qu’elle ne peut prendre en compte que les domaines sur lesquels Spinoza s’est exprimé. Une deuxième définition possible est celle du professeur américain Jonathan Israel, qui a écrit « Les Lumières radicales » (Editions Amsterdam, 2006). Pour cet auteur, le mouvement des Lumières s’est développé à partir d’Amsterdam, dès les années 1660, pour se répandre ensuite dans toute l’Europe. Spinoza n’y tient qu’une place modeste mais il en est devenu l’emblème : le « spinozisme » désigne alors cette ébullition d’idées radicales - de même que le surréalisme a été incarné par André Breton sans se limiter à lui. Enfin, le spinozisme peut aussi être compris comme l’application des méthodes de Spinoza à des domaines que lui-même ne connaissait pas, par exemple, la psychanalyse (Lacan s’en est réclamé), la sociologie avec Philippe Zarifian ou l’économie avec Frédéric Lordon.

 

2/ Qui se revendique de Spinoza aujourd’hui ?
Beaucoup de gens. Spinoza fascine pour le discours radical qu’on lui a attribué et qui a suscité de nombreux fantasmes, notamment littéraires. Il est aussi revendiqué par les laïques, par exemple, aujourd’hui en Israël ou dans les pays arabes. Certains théologiens s’en inspirent pour renouveler leur vision de l’écriture. Il attire aussi pour l’attention qu’il porte au corps, ce qui le distingue de beaucoup de penseurs classiques. Mais même chez les spécialistes de la philosophie, les approches sont très différentes. En France, où l’on s’intéresse surtout à l’histoire des systèmes, on l’admire parce que sa philosophie est l’un des systèmes les plus structurés. Aux Etats-Unis, où Descartes est le symbole de la « philosophie continentale », Spinoza apparaît comme l’une des évolutions possibles du cartésianisme. En Italie, peut-être le pays où l’on publie le plus sur lui, on le voit d’abord comme un penseur politique que l’on confronte à des auteurs comme Machiavel, Hobbes ou Marx.

[오늘날 스피노자가 요청되는 상황에 대하여, 프랑스에서는 가장 조직적인 시스템의 철학자로, 미국에서는 대륙철학의 상징인 데카르트철학의 발전적 연장으로, 이탈리아에서는(스피노자에 대해 가장 많은 출판을 하는) 마키아벨리-홉스-맑스와 함께 정치사상가로 스피노자가 취급된다 함.]

 

3/ Quel est le point commun des spinozistes ?
On est toujours spinoziste contre quelqu’un. Le spinozisme est la philosophie de la minorité contre la majorité, la pensée alternative contre la pensée dominante. C’est une philosophie qui revendique la controverse en tant que telle. Dans l’« Ethique », Spinoza réfute l’idéologie finaliste, mais seulement après avoir longuement démontré les raisons positives qui rendent la finalité impossible. Le spinozisme n’est pas une pensée de l’aphorisme, de la formule, mais de la démonstration : si je pose que je ne suis pas d’accord, je donne des raisons fortement articulées.

[<윤리학>에서 스피노자는 목적론적 이념을 거부하는데, 그것은 단순한 선호의 차원에서가 아니라, 그 목적론이 불가능한 것으로 돌려질 적극적 이유를 길게 입증한 연후의 거부이다. 스피노자주의는 금언이나 경구에 대한 사상이 아니라, 입증하고 논증하는 사상이다: 즉, 예컨데, 내가 무엇엔가 동의하지 않는 입장을 취한다면, 그 이유를 아주 조목조목 밝히는 사상이라는 말이다.]

 

4/ Le spinozisme est-il de gauche ?
Il est difficile de poser la question en ces termes. Oui, Spinoza est un penseur politique engagé. Le « Traité théologico-politique » est un pamphlet, ce n’est pas un texte abstrait. Mais quelle signification politique peut-il avoir aujourd’hui ? Par la démarche, sa pensée se rapproche de celle de Machiavel ou du Marx de la maturité. Il analyse les institutions et les actes pour eux-mêmes sans jeter sur eux un regard moral. Prenez le cas de la corruption politique : jamais il ne la condamnera comme un vice. Il se demandera si la corruption nuit à la solidité du pouvoir et si elle est nocive pour les citoyens. Il en analysera donc les causes nécessaires et cherchera les moyens efficaces de l’empêcher.

['스피노자주의는 좌파사상인가' 라는 질문에 답: 출발점에서 본다면, 스피노자의 생각은 마키아벨리와 맑스(후기)의 그것들(생각)과 가깝다. 스피노자는 도덕적 시각을 벗어버리고 (정치)기구와 (정치)행위 그 자체를 분석한다. 즉, 예컨데, 만약에 권력의 부패가 사회적 연대를 해치고 시민들에게 해악을 끼친다면, 스피노자는 그렇게 된 필연적 원인들을 분석하고 그것을 방지할 효과적인 수단을 탐색할 것이라는 말이다.]

 

SOURCE : http://www.lepoint.fr/actualites-litterature/2007-07-12/interview-de-pierre-francois-moreau/1038/0/192162

 

 



http://hyperspinoza.caute.lautre.net/spip.php?article1935
"Spinoza et nous", par Robert Misrahi (Publié le 26 avril 2009)

 

Une doctrine libertaire et révolutionnaire. En plein XVIIe siècle, face au calvinisme puritain et au judaïsme orthodoxe, le philosophe d’Amsterdam invente une éthique de la joie de vivre qui reste plus actuelle que jamais par Robert Misrahi (Robert Misrahi est philosophe, auteur de « Spinoza » (Entrelacs, coll. « Sagesses éternelles »), « le Travail de la liberté » (Le Bord de l’Eau, 2008). A paraître : « l’Ombre et le Reflet », photographies de Minot-Gormezano, textes de Robert Misrahi (Skira-Fhmmarwn).)

 

1/ L’éthique humaniste de la joie [생략]
2/ Le pacte social
Avant de décrire ce stade ultime de la joie qu’est la béatitude, nous devons au moins esquisser la politique de Spinoza. Une société démocratique et pacifiée est la condition préalable au déploiement d’une existence personnelle heureuse et d’une sagesse de la joie extrême. C’est pourquoi Spinoza conclut sa morale de l’utile propre par l’analyse du pacte social. Il introduit celle-ci par une réflexion qui devrait impressionner les esprits démunis de notre temps : « L’homme qui est conduit par la raison est plus libre dans la société où il vit selon le décret commun que dans la solitude où il n’obéit qu’à lui-même. » Le pacte, comme accord commun sur les désirs reconnus comme des droits et sur les désirs reconnus comme devant être sacrifiés, permet le passage du droit de nature au droit civil, la loi étant seule garante de la sécurité et de la liberté de tous et de chacun. Sur cette base, Spinoza étudie ailleurs les diverses constitutions possibles et laisse entendre que le gouvernement démocratique est le meilleur des gouvernements. Dans son projet, la souveraineté électorale serait la seule autorité légitime, la terre pourrait être une propriété collective et les citoyens auraient le droit de posséder une arme. Enfin et surtout, « dans une libre République, chacun a toute latitude de penser et de s’exprimer ». On le voit, toutes nos valeurs démocratiques, et notamment la laïcité et la liberté de croyance et d’expression, s’enracinent d’abord chez Spinoza et ensuite seulement chez les philosophes des Lumières. Mais c’est par l’éthique existentielle de la joie que la politique trouve un souffle, une raison d’être et une source d’inspiration. C’est parce qu’ils négligent ce lien fondateur entre l’existentiel et le politique que nos contemporains peinent à construire des politiques qui aient un sens et un avenir.
3/ Une certaine espèce d’éternité [생략]


SOURCE : http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2303/dossier/a391526-spinoza_et_nous.html

 

* 각 항목의 번호는 원문의 것이 아님.

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Hobbes & Spinoza, critique de la religion (L.Strauss)

Critique de la religion chez spinoza ou les fonde- ments de la scienLa critique de la religion chez Hobbes : Une contribution à la compréhension des Lumières (1933-1934)

Leo Strauss, Critique de la religion chez spinoza ou les fondements de la science spinoziste de la Bible (1930), Cerf, 1996-ix, 44,10 euros.

Leo Strauss, La critique de la religion chez Hobbes : Une contribution à la compréhension des Lumières (1933-1934), trad. Corine Pelluchon, PUF, 2005-i, 132 pages, 15 euros.

<스피노자의 종교비판>(1930)의 불어번역본는 너무 비싸서 살 수가 없었고, 그 연계작인 <홉스의 종교비판>(1933)은 나온지도 몰랐는데 누군가가 벌써 논문 비슷한 서평(혹은 그 역인지도)을 올려뒀길래, 이 참에 옮겨다가 아쉬운대로 약간만 공부를 해 본다.
 

 

La critique de la religion chez Hobbes de Leo Strauss

8 mai 2008 | Christophe Bardyn

 

Il aura fallu attendre près de trois-quarts de siècle pour disposer enfin de La critique de la religion chez Hobbes de Leo Strauss, d’abord en édition allemande, conformément au texte original de 1933, puis en traduction française [1]. Ce texte constituait en quelque sorte le pendant de La critique de la religion chez Spinoza [2], le premier ouvrage important publié par Strauss en 1930. La petite énigme que pose ce texte est évidemment de savoir pourquoi Strauss ne l’a jamais publié. L’ouvrage est pourtant manifestement achevé. Invoquer les circonstances ou les difficultés éditoriales de Strauss dans les années 30 ne semble pas suffisant, d’autant que son autre ouvrage sur Hobbes fut réédité après la deuxième guerre mondiale, ce qui aurait pu être l’occasion de lui adjoindre le présent essai. Il est plus raisonnable de penser que Strauss était resté insatisfait de son propre travail. Mais sur quel point son insatisfaction pouvait-elle porter, puisqu’il ne l’a pas indiqué ? Il n’y a visiblement rien à rajouter ou à corriger dans les analyses sur le rapport de Hobbes à la tradition (partie A) et à l’Écriture (partie B), qui sont parfaitement maîtrisées. Ces analyses sont effectuées dans le cadre d’une problématique définie dans l’introduction. La question qui intéresse Strauss est celle du « lien entre la science naturelle moderne et la critique de la religion », un lien qui n’est, selon lui, « nullement évident » [3], et qu’il s’agit d’élucider dans le cas particulier de Hobbes. Cette orientation fondamentale de l’ouvrage conduit inévitablement Strauss à réfléchir aux relations entre Hobbes et Descartes, auxquelles il consacre l’avant-dernier chapitre.

 

Strauss entreprend « une comparaison sommaire des réflexions fondamentales des deux philosophes » [4]. Cette comparaison s’appuie principalement sur les Objections de Hobbes contre les Méditations. Strauss commence par remarquer que, concernant la Première Méditation, « Hobbes reconnaît sa vérité aussi résolument que possible » [5]. Mais il précise avec sa finesse habituelle que sa manière d’approuver le doute de Descartes est ambiguë : « Hobbes ne mentionne que les deux premiers arguments. Et, des Objectiones déjà, il ressort qu’il ne considère pas ces arguments comme irréfutables » [6]. Strauss en tire la conclusion que Hobbes « qui n’a jamais élevé le moindre doute à l’égard du troisième argument décisif de Descartes, l’argument du Deus deceptor » a dû « considérer justement ce troisième argument comme décisif. Comme le véritable motif du doute est également pour Descartes la possibilité du Deus deceptor, nous affirmons : Hobbes est tout à fait d’accord avec Descartes sur le fait que la possibilité du Deus deceptor, et elle seule, rend nécessaire le repli sur la conscience » [7]. Cette conclusion est en effet contraignante, mais une fois parvenu à ce point, on est aussi obligé de se demander pourquoi, précisément, Hobbes n’a rien dit de cet argument décisif, le passant sous silence comme s’il n’existait pas.

Strauss a tenté de répondre à cette question dans une note. L’explication qu’il propose est la querelle de priorité qui opposa Descartes et Hobbes « touchant l’explication mécanique de la nature » [8]. Dans la perspective de cette querelle, « il n’y avait pas ici pour Hobbes, bien moins soucieux de son originalité que Descartes, d’autre possibilité que de dévaluer celle de Descartes, de dire que la méditation sur le doute est banale, connue de longue date. Mais cela, il ne put le faire qu’en n’abordant pas l’argumentation originelle de Descartes » [9], c’est-à-dire en passant sous silence l’argument du Dieu trompeur.

 

La raison du silence de Hobbes serait donc sa vanité et son désir de supériorité. Dans une certaine mesure, cette explication s’accorderait avec les propres conceptions de Hobbes sur les rapports entre la science et la vanité. L’inconvénient, dans le cas présent, c’est que cela impliquerait que Hobbes était stupide. En effet, même un lecteur très médiocrement doué est capable de se rendre compte que l’argument du Dieu trompeur est décisif pour le succès du doute hyperbolique, et qu’il est très original. Hobbes ne pouvait pas raisonnablement espérer dissimuler ce fait, encore moins dévaluer le mérite de Descartes sur ce point. En donnant l’impression qu’il essayait de le faire, il aurait paru totalement ridicule, à la manière d’un enfant jaloux mais impuissant qui ne veut pas reconnaître la victoire de son camarade. Il aurait ainsi obtenu le résultat exactement contraire de celui escompté. Étant donné la très grande sensibilité de Hobbes dans ce genre de questions, il est invraisemblable qu’il ne s’en soit pas rendu compte. Cela ne peut donc pas être la cause de son silence. Strauss a dû finalement parvenir à cette conclusion, et il a rayé la note, mais il n’a pas proposé de solution alternative. Ou plutôt, il a préféré passer sous silence la seule explication alternative, qu’il avait lui-même proposée dans cette note, pour la rejeter d’abord : « Est-ce qu’il ne mentionne pas le troisième argument parce qu’il le considère comme nul ? C’est improbable, parce que, comme le prouve le caractère de toute sa critique, il n’aurait pas laissé échapper l’occasion de convaincre Descartes d’une erreur » [10]. Tout le problème est là. La réticence de Strauss à envisager sérieusement cette hypothèse, à cette époque, tenait à sa conviction que la fondation de la science politique par Hobbes était indépendante, et donc en un sens rivale, de la fondation de la science naturelle par Descartes. Cette thèse a été complètement développée dans son ouvrage suivant, qui a été publié : La philosophie politique de Hobbes. Strauss écrivait à l’époque : « La philosophie politique est indépendante de la science de la nature parce que ses principes ne sont pas empruntés à la science de la nature, ne sont, de fait, nullement empruntés à une science quelle qu’elle soit, mais sont fournis par l’expérience que chacun a de soi-même, ou, pour le dire plus précisément, sont découverts grâce aux efforts de connaissance et d’examen de soi de tout un chacun » [11]. Poursuivant dans cette direction, Strauss en venait à soutenir qu’il y aurait une contradiction entre l’orientation morale initiale de Hobbes et l’influence de ses études mathématiques et scientifiques. « La doctrine matérialiste et déterministe de Hobbes, […] non seulement n’est pas exigée par sa philosophie politique, mais, […] en outre, met en péril jusqu’à ses fondements » [12]. La conclusion qu’il en tire, c’est que « la méthode mathématique comme la métaphysique matérialiste ont contribué, chacune à leur manière, à masquer ce réseau de mobiles premiers et, ainsi, à saper la philosophie politique de Hobbes » [13]. Dans les années 30, Strauss considérait donc que les différences entre la pensée de Hobbes et celle de Descartes étaient plus importantes que leurs ressemblances : « L’opposition des deux philosophes tranche d’une manière d’autant plus marquante sur cet accord fondamental » [14].

 

La philosophie politique de HobbesDroit naturel et histoire

Comme il l’a écrit lui-même dans sa Préface à la réédition de La philosophie politique de Hobbes  : « Quant aux défauts qui grèvent le présent ouvrage, je les ai, pour autant que j’en ai pris conscience, implicitement corrigés dans mon livre Droit naturel et histoire (V, a) » [15]. Le chapitre sur Hobbes, dans Droit naturel et histoire, ne signale plus aucune contradiction entre la pensée politique de Hobbes et la science moderne. Au contraire, Strauss affirme désormais que « si nous cherchons à comprendre la philosophie politique de Hobbes, nous ne devons pas perdre de vue sa philosophie de la nature » [16]. Il va jusqu’à dire, dans une note, il est vrai, que « l’importance attribuée par Hobbes au désir de conservation est donc due à sa conception de la nature ou de la science de la nature » [17]. Conformément à cette nouvelle perspective, il invite sobrement, là encore dans une note, à « comparer la position de Hobbes avec la thèse de la Première Méditation de Descartes » [18]. Ce qui a permis à Strauss de reconnaître finalement que l’accord entre les deux penseurs était plus fondamental que leurs divergences, c’est la découverte que le véritable fondateur de la modernité était Machiavel. En conséquence, les efforts de Hobbes aussi bien que ceux de Descartes dépendaient d’une source commune, tout en s’en éloignant quelque peu dans les deux cas. Strauss a omis de préciser la solution du problème qu’il avait lui-même soulevé, relativement à la Première Méditation, entre autres raisons parce qu’il a concentré son attention principalement sur la philosophie politique, en d’autres termes, parce qu’il n’était pas un métaphysicien.

 

Si nous revenons aux Objections de Hobbes, il est manifeste que l’Objection Première avait pour but de faire comprendre à Descartes qu’il n’était pas dupe de l’argument du Dieu trompeur. En insistant lourdement sur les deux seuls premiers arguments du doute, et sur leur absence d’originalité, Hobbes contraignait Descartes à remarquer qu’il ne disait rien du troisième argument. En approuvant bruyamment « la vérité de cette Méditation » [19], et en subordonnant cette approbation à un silence total sur le troisième argument, il indiquait aussi clairement que possible à Descartes qu’il considérait son argument principal comme nul et non avenu. Hobbes avait perçu la faute logique de Descartes [20]. Pourquoi n’a-t-il pas saisi cette occasion remarquable de critiquer ouvertement son adversaire ? Hobbes ne pouvait ignorer qu’en dénonçant l’argument du Dieu trompeur, il démolissait l’ensemble des Méditations. En ruinant la réputation de Descartes, il ne pouvait certainement pas espérer faire avancer la cause qui leur était commune, d’un point de vue philosophique. Hobbes a épargné Descartes parce qu’il était de ce point de vue ce qu’on appelle aujourd’hui un allié objectif de Descartes. Le silence de Hobbes n’était pas un silence jaloux mais un silence complice.

La réponse de Descartes confirme cette interprétation. Si Descartes avait pensé que Hobbes était un piètre lecteur de sa Méditation, il lui aurait sèchement indiqué qu’il y avait effectivement un argument très original dans ses raisons de douter, l’argument du Dieu trompeur. Or Descartes ne dit pas cela. Il fait même quelque chose d’extraordinairement étrange, et même unique dans toute sa carrière d’auteur : il s’excuse publiquement de la faiblesse de ses arguments, sans invoquer la force supposée du troisième. « Les raisons de douter, qui sont ici reçues pour vraies par ce philosophe, n’ont été proposées par moi que comme vraisemblables » [21]. Il est bien dommage qu’aucun commentateur de Descartes ne prenne cet aveu au sérieux, car il en dit long sur la valeur réelle de toute la démarche incluse dans les premières Méditations. Au lieu de défendre la rigueur et le caractère démonstratif du doute, Descartes reconnaît ouvertement que son analyse s’appuyait sur des raisons uniquement vraisemblables, c’est-à-dire rhétoriques. Il est inimaginable que Descartes ait été conduit spontanément à un tel aveu, puisqu’il contredit effectivement toutes ses prétentions. La seule raison qui puisse expliquer cette confession, c’est qu’il a parfaitement saisi le sens caché de l’objection de Hobbes, et par conséquent, il a aussi compris que Hobbes l’épargnait avec une certaine générosité. La réponse de Descartes ne pouvait pas être arrogante, pas même fière. La seule issue qui restait à Descartes était une humiliation volontaire mais discrète, reconnaissant que Hobbes avait bien saisi le défaut du doute hyperbolique.

 

L’autre indice que cette interprétation est correcte, c’est tout simplement le ton de Descartes dans ses Réponses à Hobbes. Il ne faut pas oublier que, très peu de temps auparavant, Descartes écrivait à Mersenne : « Au reste, ayant lu à loisir le dernier écrit de l’Anglais, je me suis entièrement confirmé en l’opinion que je vous mandai, il y a 15 jours, que j’avais de lui, et je crois que le meilleur est que je n’aie point du tout de commerce avec lui, et pour cette fin, que je m’abstienne de lui répondre ; car s’il est de l’humeur que je le juge, nous ne saurions guère conférer ensemble sans devenir ennemis ; il vaut bien mieux que nous en demeurions, lui et moi, où nous en sommes […]. Car je me trompe fort, si ce n’est un homme qui cherche d’acquérir de la réputation à mes dépens, et par de mauvaises pratiques » [22] . Et il ajoute à la fin de sa lettre : « J’aurais honte d’employer du temps à poursuivre le reste de ses fautes ; car il y en a partout de même. C’est pourquoi je ne crois pas devoir jamais plus répondre à ce que vous me pourriez envoyer de cet homme, que je pense devoir mépriser à l’extrême. Et je ne me laisse nullement flatter par les louanges que vous me mandez qu’il me donne ; car je connais qu’il n’en use que pour faire mieux croire qu’il a raison, en ce où il me reprend et me calomnie » [23]. Or, non seulement Descartes a répondu aux Objections de Hobbes, contre sa première résolution, mais il l’a fait avec une retenue et une modération de ton exceptionnelles, qui sont particulièrement frappantes si on les compare avec l’ironie mordante et souvent méprisante des Réponses à Gassendi ou au Père Bourdin.

On ne peut expliquer cette retenue inhabituelle que si Descartes avait perçu à la fois le mal que Hobbes pouvait lui faire, et la grâce qu’il lui avait faite en ne disant rien ouvertement. Descartes s’est donc résolu à user de patience et de politesse avec Hobbes, même lorsque ce dernier faisait manifestement un contresens sur sa pensée, comme c’est le cas dans son Objection Troisième ! Il est même allé un peu plus loin, en fin de compte, en confiant après le parution du De Cive  : « Tout ce que je peux dire du livre De Cive, est que je crois que son auteur est le même que celui qui a fait les troisièmes objections contre mes Méditations, et que je le trouve beaucoup plus habile en morale qu’en métaphysique ni en physique ; nonobstant que je ne puisse aucunement approuver ses principes ni ses maximes, qui sont très mauvaises et très dangereuses, en ce qu’il suppose tous les hommes méchants, ou qu’il leur donne sujet de l’être » [24]. Strauss considérait cette lettre comme un « jugement plutôt favorable » [25] sur l’ouvrage de Hobbes, ce qui est assez raisonnable compte tenu des relations difficiles entre les deux penseurs.

 

[notes]

[1] Leo Strauss, La critique de la religion chez Hobbes, PUF, 2005.

[2] Leo Strauss, La critique de la religion chez Spinoza, Cerf, 1996.

[3] op. cit. p. 20.

[4] Id. p. 105.

[5] Id. p. 107.

[6] Id. p. 108.

[7] Ibid.

[8] Id. p. 129.

[9] Id. p. 129-130.

[10] Id. p. 129.

[11] Leo Strauss, La philosophie politique de Hobbes, Belin, 1991.

[12] Id. p. 238.

[13] Id. p. 241.

[14] Leo Strauss, La critique de la religion chez Hobbes, p. 108.

[15] Leo Strauss, La philosophie politique de Hobbes, p. 11.

[16] Leo Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, 1984, p. 156.

[17] Id. Chap. V, a, note 4, p. 293.

[18] Id. note 7, p. 293.

[19] AT, IX, 133.

[20] Cf. notre article sur le doute hyperbolique de Descartes.

[21] AT, IX, 133.

[22] Lettre à Mersenne, 4 mars 1641, AT, II, 320.

[23] Id. AT, II, 326.

[24] Lettre au Père ***, 1643.

[25] Leo Strauss, La philosophie politique de Hobbes, p. 89, n. 2.
출처: http://www.theolarge.fr/spip.php?article78

 

* 참고로 홉스 일반에 대한 간략하고 믿을만한 글로는 쟝 떼렐(Jean Terrel 은 -내가 보기에- 가장 좋은 시각의 홉스 전문가)의 다음을 참조하라: Hobbes, Thomas, par Jean Terrel http://dictionnaire-montesquieu.ens-lsh.fr/index.php?id=428

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Macherey,2002) Descartes...

직전 포스트에서 홉스에 대해 약간의 언급을 하다보니 갑자기 데카르트가 생각났고, 어디선가 마셔레(P. Macherey)가 데카르트에 대해 쓴 글이 또한 기억나서 까먹기 전에 옮겨다 둔다. 1987년에 A. Glucksman이라는 사람이 쓴  <데카르트, 그것은 프랑스다>(그림) 라는 책에 대하여 2002년에 마셔레가 풀어놓은 비판이다. "아닙니다, 데카르트는 프랑스가 아닙니다"라는 마지막 문장을 이해시키기 위해 마셔레가 펼치는 아주 꼼꼼하고 질긴 논변이 엄청 열정적이다(늘 그렇지만!). 중간 결론으로 내놓은 마셔레의 인상깊은 말씀을 미리 들어보면 : "어떤 생각의 심연을 파고든다는 것, 그것은 그 생각의 근간을 이루는 몇몇 '단순한 생각거리'(idees simples-단순관념)에 올라타고는 [만족할 것이] 아니라, 그 단순한 관념["코기토..." 같은]으로부터 흘러나오는 결과들의 그물망을 펼쳐보는 것이며, 또한 그 결과가 갖는 의미를 설명하고 발전시키는 것이다. 고로 이 단순한 관념이 갖는 의미는 그것들이 작용하여 만들어내는 행위나 사건으로부터 독립된 자기소여-자기귀환적인 것은 분명히 아니다." (Pénétrer au cœur d’une pensée, ce ne peut être seulement remonter aux quelques idées simples qui en constituent le fond, mais c’est aussi déployer tout le réseau des conséquences qui découlent de ces idées et qui, en découlant, les expliquent, développent leur signification, qui n’est certainement pas toute donnée et repliée en elles indépendamment du fait de les faire fonctionner.) 이하 텍스트 전문.  

 

Descartes c'est la France

 

Methodos, 2 (2002), L'esprit. Mind/Geist
Analyses et interprétations


Descartes, est-ce la France ?
Pierre Macherey, 2002


Résumé / Le cas de Descartes présente un intérêt privilégié pour l’examen des conditions dans lesquelles une philosophie vient à être considérée comme représentant un esprit national. Le livre d’A. Glucksman, Descartes, c’est la France, publié en 1987 à l’occasion du 350e anniversaire de la parution du Discours de la méthode, constitue un exemple extrême de ce type d’opération, qui exploite une doctrine en en infléchissant certains enjeux fondamentaux.

Abstract / Descartes’ case is particularly interesting to examine the conditions under which a philosophy comes to the point of being considered to represent a national thought. A. Glucksman’s book, Descartes, c’est la France, published in 1987, for the 350th anniversary of the publication of the Discours de la méthode is an extreme example of that kind of process, which exploits a doctrine inflecting some of its fundamental stakes.

 

Texte intégral

Pour une étude de l’idée nationale en philosophie, Descartes constitue à l’évidence un objet privilégié. Qui, mieux que lui, a symbolisé l’incorporation à la lettre d’une philosophie d’un « esprit national » qui, inversement, s’offre directement à déchiffrer à partir des traits distinctifs de cette philosophie, clarté et distinction en première ligne ? C’est ainsi que Descartes a accédé au statut d’une « figure » dans laquelle se seraient concentrés, incarnés, les éléments épars définissant la conscience propre d’une nation, élevée par l’intercession de cette figure à la conscience de soi, et ainsi rendue à elle-même visible et surtout lisible. François Azouvi, dans une importante étude recueillie dans la troisième série des Lieux de mémoire de P. Nora, a minutieusement reconstitué les étapes de la formation de cette figure, étapes de fait contrastées et jalonnées d’incidents, dont le plus célèbre est celui de la panthéonisation manquée, au cours desquelles les diverses instances qui prétendaient représenter le véritable esprit de « la France » se sont disputé, au nom de cet esprit, et de la manière toujours particulière dont elles le concevaient, le droit de délivrer la bonne interprétation du cartésianisme, celle qui autorisait, soit sa récupération, soit au contraire sa mise en réserve ou à l’index, ce qui, dans tous les cas, qu’on soit pour ou qu’on soit contre, revenait à faire de Descartes un enjeu national, et ceci, finalement, bien au-delà de ce qu’autorise une étude du contenu doctrinal effectif de sa philosophie : l’un des principaux intérêts de l’étude de François Azouvi est justement de montrer que cette opération, quelle qu’en ait été l’orientation, a toujours eu pour préalable que Descartes fût, suivant sa très juste formule, « séparé de sa philosophie », comme si la condition pour qu’une philosophie puisse être identifiée à de l’esprit national, et ainsi devienne une idée nationalement connotée, soit qu’elle ait cessé d’être considérée, non seulement comme la philosophie qu’elle est, mais même tout simplement comme philosophie au sens propre du mot.

 

Tout à la fin de son étude, François Azouvi cite la formule triomphale sur laquelle s’achevait le discours prononcé en Sorbonne par Maurice Thorez, le « fils du peuple », à l’occasion de la commémoration du trois cent cinquantième anniversaire de la naissance de Descartes : « À travers les tempêtes et les nuits qui se sont abattues sur les hommes, c’est Descartes qui, de son pas allègre, nous conduit vers les lendemains qui chantent. » Qui cela, « nous » ? En 1946, la chose paraissait tout à fait claire, davantage sans doute qu’elle ne l’était en réalité : étant relégués à l’arrière-plan tous les relents et les soupçons possibles d’internationalisme, c’était bien l’union sacrée du peuple engagé dans la voie de sa reconstruction nationale qui, en toute responsabilité, était affichée ; et Descartes était utilisé alors comme le ciment de cette union idéale des esprits rassemblés dans la voie commune. On sait ce qu’il en advint dès l’année suivante ! La même année 1946, saisissant également l’occasion de cet anniversaire fort opportun, Sartre écrivait, en introduction à un recueil de morceaux choisis publiés dans la collection « Les classiques de la liberté » dirigée par Groethuysen, sa fameuse étude sur « La liberté cartésienne », qui est sans doute l’une des clés de sa philosophie, au début de laquelle il expliquait : « ...c’est pourquoi, nous autres français qui vivons depuis trois siècles sur la liberté cartésienne, nous entendons implicitement par ‘libre arbitre’ l’exercice d’une pensée indépendante plutôt que la production d’un acte créateur... », ce qui n’était pas fatalement trahir la pensée de Descartes, qui s’est bien fait de la liberté une idée de ce genre, mais était quand même lui conférer ce statut paradoxalement irréfléchi, spontané, et pour ainsi dire transphilosophique, d’un « implicite » dans lequel aient pu se reconnaître, « depuis plus de trois siècles », ces « nous autres Français » portant l’héritage d’une commune façon de concevoir la liberté dans laquelle leur histoire, au cours de ces trois siècles, aurait en dernière instance trouvé la condition de son unité. Le « nous autres Français » dont parle la phrase de Sartre n’était sans doute pas exactement le même que le « nous » mis en avant par Thorez : mais les deux « nous » remplissaient finalement la même fonction, celle d’un signe de reconnaissance scellant une alliance ou, d’un mot qui eut beaucoup cours à l’époque, un « rassemblement ».

Descartes, dont l’entreprise philosophique n’était peut-être pas tout à fait coupée de toute visée politique de reconstruction sociale, bien que l’extrême prudence qui a été la sienne sur ce plan l’ait crédité à l’inverse d’une position de complète indifférence à ce sujet, se serait bien sûr fort étonné de ce rôle circonstanciel de rassembleur qui devait ainsi, lui une fois mort et enterré, lui être assigné. Et lui qui, né en France et y ayant fait ses études, l’avait aussitôt quittée comme peu propice à la poursuite d’études scientifiques et philosophiques, aurait sans doute été amusé de cet acharnement à faire de lui le plus français, bon ou mauvais, des philosophes, alors que, comme le relate sa Vie écrite par Baillet, ses rares essais de retour et d’implantation dans son pays natal ont toujours été manqués, et lui ont laissé au cœur un sentiment d’exaspération et d’amertume, bien rendu dans ce passage de sa lettre du 31 mars 1649 à Chanut, écrite sous le coup de l’affaire de la pension promise et finalement oubliée par Colbert : « En sorte que j’ai sujet de croire qu’ils me voulaient seulement avoir en France comme un éléphant ou une panthère, à cause de la rareté, et non point pour y être utile à quelque chose. » Il ne savait pas alors que, d’animal exotique, il allait bientôt, passé au rang de fétiche politique et ainsi acclimaté et domestiqué, devenir l’hôte familier de la maison France, dont la plupart des joutes allaient se dérouler sous son regard et sous sa caution.

 

Un des épisodes les plus récents de cette acclimatation, et non le moins significatif, et qui, en raison de sa proximité, nous concerne de très près, a été, en 1987, à l’occasion cette fois encore d’une commémoration, celle du trois cent cinquantième anniversaire de la publication du Discours de la méthode, la parution de l’ouvrage d’A. Glucksmann, dont le titre tapageur, Descartes c’est la France, attire immédiatement l’attention, l’étonnement intrigué suscité par cet intitulé étant aussitôt renforcé par l’image entre toutes éloquente exposée sur la page de couverture, celle d’un Descartes bleu blanc rouge, ainsi mis par le biais d’un audacieux montage photographique aux couleurs de la France, comme une sorte d’égal ou de rival de la Marianne de nos mairies, étrange emblème d’une passion nationale dont il prétend délivrer les tenants et les aboutissants. Que dissimule cette opération, beaucoup plus subtile et retorse qu’il n’y paraît au départ, et qui ne fait pas que seulement ajouter un épisode de plus à l’histoire de l’élaboration du mythe Descartes confondu avec le mythe France, mais enrichit significativement le contenu de cette représentation ? C’est ce qu’on voudrait examiner ici, en essayant d’aller un peu plus loin que la surprise provoquée par la couverture du livre, donc en l’ouvrant et en le lisant pour en déchiffrer la ou les significations.

 

Tournons d’abord notre attention du côté du sujet du jugement prédicatif « Descartes c’est la France », et demandons nous qui est, ou plutôt quel est, comment est fait et se présente ce Descartes qui, pour avoir la France à sa mesure, doit être lui-même mesuré, c’est-à-dire lu et interprété, de façon appropriée. Et en particulier, en reprenant le critère dégagé de l’étude de François Azouvi, posons la question : la condition de cette opération d’envergure, puisqu’elle tend à élargir Descartes à l’échelle de la France, est-elle qu’il soit « séparé de sa philosophie » ?

 

Disons-le tout de suite, la lecture que Glucksmann propose de Descartes, qui est tout sauf une lecture faible et de juste milieu, est à la fois passionnante et sidérante. Reprenant l’idée déjà avancée par Heidegger d’un Descartes nihiliste, mais la retournant dans le sens d’un nihilisme actif de conquête, ce qui peut faire penser à la démarche suivie par Péguy relisant Descartes à la lumière de Bergson afin d’en faire apparaître la vraie profondeur, inséparable de la révélation de ses faces d’ombre, il trace la figure d’un Descartes tragique, éclairée, la métaphore est récurrente dans tout l’ouvrage, par une raison non pas rayonnante et diurne, entraînée et possédée par l’ivresse d’Eros, mais nocturne, troublée et troublante, sans cesse relancée en avant d’elle-même par la torsion que lui impose Thanatos et ses interminables tourments. Descartes, explique Glucksmann, en particulier dans les passages de la dernière partie du livre consacrés à une brillante interprétation métaphysique des réquisits de la dioptrique, c’est la raison de l’aveugle qui cherche, en tâtonnant avec son bâton, à se faire un chemin dans la nuit, en sachant que l’idée qu’il peut se faire du monde en déchiffrant les rares signes que celui-ci lui envoie n’aura jamais que la valeur précaire d’une reconstruction provisoire, d’une « fable », selon la métaphore reprise à son compte par Descartes lui-même, qui, on le sait, s’était fait peindre tenant à la main un livre dont le titre était Mundus est fabula. Des nombreux passages du livre qui développent cette idée, ne citons que celui-ci qui les résume tous :

« Ou bien idéaliser, voir au grand jour et voir du jour partout ; avec en annexe la possibilité d’infliger une aussi absolue clarté sous la férule des espèces sensibles (Gassendi), d’une intuition divine (Spinoza) et de la conscience de soi (Hegel, Husserl). Ou bien, voir dans la nuit et déchiffrer les ténèbres en tant que ténèbres. »1

[1] II, chap. 3, «À l’entrée du non-monde», éd. Livre (...)

Cette vision nocturne permet d’effectuer un rapprochement inattendu entre Descartes et Pascal, dont les discours, au-delà de leur opposition de surface, se répondraient et se compléteraient : l’un et l’autre, à l’époque classique, se seraient servis de la raison comme d’une arme pour affronter les puissances de l’inconnu et de l’irrationnel, de manière à en circonscrire la pression, non pas en vue de les exorciser fictivement, car ils ont lucidement et courageusement reconnu que cela était impossible sinon justement de façon fictive et apparente, mais pour apprendre à y résister en connaissance de cause, sachant bien que si la folie est l’Autre de la raison, et là Glucksmann par un biais inattendu rejoint Foucault à qui son livre est dédié, cet Autre est en fait logé au cœur même de la raison, qu’il travaille en permanence de son insuppressible souci. Et ici, par-delà Pascal et sa folie de la croix, et l’éloignement de son Deus absconditus, ce sont, en pleine nuit de Gethsemani, Montaigne et Socrate que rejoint Descartes, emporté par la folie critique du doute et de l’aporie, et qui veut juger de tout par lui-même parce qu’il ne fait confiance à personne pour décider à sa place de la vérité, d’une vérité qui, dès lors, a cessé d’être la vérité des choses, la vérité qu’on prête abusivement aux choses, pour devenir seulement sa vérité, dont il prétend, et là est sa seule prétention, assumer jusqu’au bout l’entière responsabilité. Et, ici encore, c’est le Descartes résolu de Péguy qu’on retrouve, ce Descartes de combat, qui dément les mythologies apaisées et apaisantes de la raison souveraine du monde, alors qu’elle doit sans cesse reprendre contre lui la lutte, une lutte qui n’est jamais gagnée d’avance et où aucune victoire ne peut être considérée comme définitive.

 

Pour accréditer cette lecture indiscutablement décapante, Glucksmann, très normalement, revient en permanence sur ce qui constitue la part cachée, la part maudite de la philosophie de Descartes : cette doctrine de la création des vérités éternelles, que, en raison de son caractère extrême et étrange, il n’a explicitement mentionnée dans aucun de ses ouvrages publiés, ne consentant à lever le voile à ce sujet qu’à l’intention de quelques correspondants triés sur le volet et reconnus aptes à en soutenir le choc sans sourciller. Ici encore, nous trouvons un Descartes, non peut-être revu et corrigé, mais souligné d’un trait d’ombre très noir, comme s’il était illustré par Callot ou par Goya :

« Le doute cartésien dynamite les usines secrètes de la création, en mettant en cause la légitimité éternelle des vérités éternelles... L’esprit les subit mais pas au point de ne pouvoir les supposer truquées... Même les plus transparentes de nos illuminations naissent d’une nuit à laquelle elles menacent sans cesse de retourner... »2

[2] II, chap. 2, id., p. 118.

Qu’il n’y ait de nécessité qu’en fonction et à partir de la toute-puissance divine, donc suspendue à ses libres décrets, et donc que, si nous nous pénétrons à fond de cette idée, nous en venions à comprendre, ou plutôt, car c’est là justement quelque chose qu’il nous est impossible de comprendre, à admettre sans chercher à comprendre que notre raison eût pu être tout autre que telle qu’elle s’impose à nous parce que Dieu en a voulu ainsi, voilà qui reconduit radicalement notre raison à ses infranchissables limites, et lui interdit toute spéculation triomphante quant à sa vocation à éclairer définitivement le monde, un monde qui, elle le voit bien, doit pour toujours rester enfoncé dans la nuit. Et ceci nous ramène à l’image de l’aveugle qui tâtonne, ou du cavalier si courageux perdu dans une forêt, qui n’a d’espoir que dans sa propre force de caractère, car celle-ci lui permet de s’y tracer, sans garantie aucune, une voie dans le maquis de ses fourrés, en ayant la lucidité de reconnaître qu’il y est perdu à tout jamais.

 

Il n’est pas possible de reprendre ici la totalité des analyses, toujours extrêmement concentrées, souvent fulgurantes, libres sans être pour autant désinformées, qui jalonnent la démarche de Glucksmann lecteur de Descartes, démarche qui, par ses excès mêmes, ne peut laisser personne indifférent. Nous tenons là un Descartes on ne peut plus nettement défini et caractérisé, penseur septentrional de l’errance et du doute, dont la figure acérée, comme tracée à la pointe sèche, prend à sa façon place dans une certaine tradition de la philosophie française : celle des philosophes qui, pour nous en tenir au XXe siècle, considèrent, après Alain et Bachelard, que raisonner, c’est d’abord savoir dire non et ainsi, pour reprendre la notion qui est au cœur de la pensée de Canguilhem, se confronter aux valeurs négatives du monde et de la vie. Toute la question est alors de savoir si ce Descartes est Descartes, si c’est tout Descartes, ou bien Descartes séparé, sinon de toute sa philosophie, du moins d’une partie de ce qu’elle est. Nous nous contenterons à ce propos de faire deux remarques.

 

La première est suggérée par le rapprochement qu’on ne peut s’empêcher de faire entre la démarche de Glucksmann et celle de Péguy. Or, chez ce dernier, les choses sont tout à fait claires : comprendre Descartes, c’est-à-dire aller directement au cœur de sa pensée profonde, c’est nécessairement l’amputer de son système, en reprise de la conception défendue par Bergson de l’intuition métaphysique, d’où se dégage immédiatement une méthode de lecture des philosophies. Péguy le déclare en toutes lettres dans sa Note sur la philosophie bergsonienne d’avril 1914 : de l’ensemble de l’œuvre de Descartes, vingt lignes au plus méritent d’être sauvées ; prises dans les 2e et 4e parties du Discours de la méthode, ce sont celles qui exposent les règles de la méthode et les règles de la morale provisoire, le reste devant être abandonné à la poussière des bibliothèques dont se repaissent savants et pions de tout poil ; vingt lignes seulement, mais elles ont, dit Péguy dans des pages dont le lyrisme n’a cessé d’impressionner, changé, révolutionné, la face du monde, en déclarant une nouvelle manière de penser, nous dirions de s’orienter dans la pensée. Glucksmann est moins radical que Péguy : et c’est pourquoi il ne se contente pas, pour dessiner la figure de Descartes, de rédiger une simple note, mais écrit tout un livre qui, par certains côtés, est un livre savant, appuyé sur des références bibliographiques complètes et précises ; et ce livre fait à peu près le tour de la philosophie cartésienne, dans des conditions qui ne sont pas seulement celles propres au journalisme, s’agissant même du très bon journalisme que Péguy essayait de faire dans ses Cahiers. Glucksmann va moins loin que Péguy dans le sens d’une réduction de la pensée cartésienne à son minimum vital, mais il va indiscutablement dans le même sens. Sa lecture, méthodiquement unilatérale, on le dit ici sans polémique, tend à faire de Descartes l’homme d’une seule pensée, préoccupation obsessionnelle vers laquelle l’ensemble de son œuvre converge, et que le mot « critique » résumerait le mieux. Et ainsi la richesse de la pensée de Descartes ne se mesure pas à sa complexité, mais consiste en son essentielle simplicité, telle que celle-ci se donne à lire lorsqu’on entreprend d’aller au fond, tout au fond, de sa philosophie, en renonçant à faire prévaloir la forme sur le fond. Et Péguy ne disait finalement rien d’autre.

 

Ceci conduit à la deuxième remarque qui porte sur un point plus particulier. On l’a dit, l’une des preuves essentielles à l’appui de son interprétation de la philosophie de Descartes, Glucksmann la tire de la doctrine de la création des vérités éternelles. On peut admettre que celle-ci constitue l’une des clés de la pensée cartésienne, mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’on lui fait dire au juste, et se demander si, en la dépouillant de son extraordinaire complexité, de manière à la ramener à une leçon simple sinon appauvrie, on ne lui retire pas une partie, une grande partie, voire la plus grande partie, de sa signification. La thèse étonnante selon laquelle, si Dieu, qui a établi les vérités comme un roi le fait des lois dans son royaume, l’avait voulu, les propriétés des figures et des nombres seraient différentes de celles que nous connaissons, et donc deux et deux ne feraient plus quatre, est-elle compréhensible si on la sépare de l’idée, nettement affirmée par Descartes, selon laquelle, en Dieu, à la différence de ce qui se produit dans l’esprit humain, entendement et volonté ne font qu’un ? Autrement dit, si Dieu a créé librement les vérités, sans avoir pour cela à s’en tenir à une règle préalable que lui aurait fixée son entendement, il n’est pas non plus juste d’avancer que, dans cette affaire, la volonté de Dieu a devancé ce que l’entendement pouvait lui proposer, puisque c’est en même temps, d’un seul et même acte, qu’il a voulu et connu les vérités qui sont les effets de sa toute-puissance, et, en dehors de celle-ci, n’ont aucune réalité, donc aucune force pour se faire reconnaître : et en conséquence, c’est à notre point de vue, par définition limité, que la libre création de Dieu se présente sous le jour de l’arbitraire d’un coup de dés, alors que, à son point de vue à lui, elle a dû être à la fois libre et nécessaire, tout en se présentant à notre point de vue comme indifférente. Or, ceci mis en lumière, on commence à mesurer à quel point la doctrine cartésienne de la création des vérités éternelles a pu nourrir la réflexion philosophique d’un Spinoza qui, en rangeant ces mêmes vérités, comme appartenant aux modes infinis de la substance pensante, dans l’ordre de la nature naturée, en a fait lui aussi des effets de la toute-puissance divine, et non des formes idéales de rationalité préexistant à son action et indépendantes de celle-ci. Et ceci pourrait être une occasion de reprendre à nouveaux frais la question du rapport entre les conceptions de Dieu chez Descartes et Spinoza, qui sont peut-être moins différentes et éloignées qu’on ne le suppose trop souvent, la seule chose qui les sépare réellement étant que, pour Descartes, Dieu est pur esprit, bien que certainement pas esprit personnel. De cette remarque qui n’a pu qu’être esquissée, on tirera la conclusion suivante : pénétrer au cœur d’une pensée, ce ne peut être seulement remonter aux quelques idées simples qui en constituent le fond, mais c’est aussi déployer tout le réseau des conséquences qui découlent de ces idées et qui, en découlant, les expliquent, développent leur signification, qui n’est certainement pas toute donnée et repliée en elles indépendamment du fait de les faire fonctionner. Et, de ce point de vue, la mythologie de la profondeur exploitée par Péguy et par Glucksmann ne peut que laisser insatisfait.

 

Tournons nous à présent du côté du prédicat du jugement « Descartes c’est la France » : cette France que Descartes est, ou plutôt cette France que c’est, Descartes. Car l’assertion que Glucksmann a utilisée pour intituler son livre n’est certainement pas à prendre au premier degré. « Descartes c’est la France », ce n’est pas une constatation, débouchant sur la prise en compte banale de faits du type de ceux-ci : Descartes est français, ou la France est cartésienne ; mais c’est l’affirmation, la revendication critique d’un droit : Descartes, c’est ce que la France, non pas est de fait mais devrait être, si elle était conforme à son idée, à laquelle sa réalité, par définition, se mesure à distance. Ceci est clairement précisé sur la 4e de couverture, où l’esprit de l’ouvrage est ainsi résumé :

« La France, non pas l’Hexagone ni le sang, ni le sol ni la race, mais une civilisation. De la France, Descartes à Amsterdam, comme trois siècles plus tard de Gaulle à Londres, affirme une certaine idée... »

Descartes à Amsterdam, c’est comme de Gaulle à Londres : le porteur de l’idée nationale qui a su prendre ses distances, opérer la rupture nécessaire entre le fait et le droit, entre le pays réel et le pays essentiel, pour faire prévaloir, en disant non, dans le doute et dans l’errance, une certaine idée de la France. Et ceci, une nouvelle fois, nous ramène à Péguy, et à sa conception combattante de la philosophie, au point de vue de laquelle les grands philosophes, avant d’être des penseurs ou des savants, sont comme des capitaines ou des chefs de guerre. Toute la question est alors de savoir à quelle guerre on a affaire ici, étant entendu que celle-ci ne peut être ramenée dans les limites d’une simple dispute d’idées, mais comporte des enjeux vitaux, et précisément des enjeux nationaux, dans la défense desquels la philosophie, lorsqu’elle se sait et se veut responsable, est embarquée. Pour le dire en d’autres termes, la lecture qui nous est ainsi proposée de Descartes est en dernière instance politique : et on n’aurait rien contre, sauf quand même à mieux définir le type de politique qui est ici visé.

 

Il faut donc que nous nous demandions dans quelle sorte de combat Descartes, ce Descartes que c’est, la France, est impliqué. Nous disons bien est impliqué. Car si de Gaulle à Londres disait non à Pétain, faisant ainsi valoir une certaine idée de la France, cela n’aurait bien sûr aucun sens de dire que Descartes à Amsterdam disait non à la monarchie française, l’important étant de savoir, non pas à qui il disait non, à l’imparfait, mais à qui il dit non, au présent, incarnant ainsi une certaine idée de ce que, la France, c’est, et non c’était. Or, sur ce plan encore, les choses sont parfaitement claires, Glucksmann n’étant pas de ceux qui marchent à pas de colombes. Nous, Français d’aujourd’hui lecteurs de Descartes, et qui, en lisant Descartes, nous expliquons à nous-mêmes ce que c’est, la France, nous ne le savions peut-être pas, mais nous sommes en guerre : en guerre avec d’invisibles agresseurs venus de toute part, surgis de la nuit, qui, sous couleur de vouloir notre bien nous veulent en fait le plus grand mal ; mais d’abord et avant tout nous sommes en guerre avec nous-mêmes, et c’est ce conflit intérieur que nous révèle la lecture de Descartes, pourvu qu’elle sache aller droit à l’essentiel. Les protagonistes de ce conflit ? La bonne France, celle qui résiste, en disant non, et apprend à le faire précisément chez Descartes, cet ancien nouveau philosophe, et chez nul autre, et l’autre France, celle qui n’est pas bonne, celle qui, à tous les sens du mot, abuse, en injectant à l’esprit français le poison des mauvaises pensées. Ces mauvaises pensées, on les a immédiatement reconnues : ce sont celles que propagent les « maîtres penseurs », ces voyants illuminés et extralucides qui prétendent détenir le secret radieux des lendemains qui chantent, et nous enfoncent ainsi au plus profond de notre nuit, d’une nuit rendue plus obscure et plus opaque de n’être pas affrontée comme nuit, et d’être travestie en jour, et même en « grand jour », voire en « grand soir ».

 

Ces maîtres penseurs, tout le monde le sait, sont natifs d’Allemagne : entre autres, ils s’appellent Leibniz, avec son optimisme prétendument rationnel, Hegel, avec sa logique de l’histoire, et surtout Marx, avec son idée du prolétariat comme classe universelle capable à elle seule de représenter les intérêts de l’humanité tout entière, et ainsi appelée, par représentants interposés – et comme, le prolétariat, personne ne sait ce que c’est puisque ça n’existe pas, n’importe qui peut s’en prétendre le représentant –, à exercer sur elle une impitoyable dictature. Mais le fait qu’ils soient venus d’Allemagne ne signifie pas qu’il faille recommencer, comme du temps de Péguy, qui, lui, n’aimait surtout pas Kant, et sa raison froidement déracinée, le combat sempiternel de la France et de l’Allemagne. Pas plus que le Descartes que c’est, la France, n’est l’Hexagone, avec ses frontières matérielles qu’il faut défendre contre les agressions de l’ennemi héréditaire, les maîtres penseurs ne sont non plus l’Allemagne si on peut dire physique et organique, qui nous menacerait de l’autre côté du Rhin : mais c’est cette Allemagne intérieure, dont nous sépare seulement une frontière mentale, cette Allemagne qui est dans nos têtes à nous, Français qui nous sommes détournés de la voie ouverte par Descartes, et qui, croyant aux promesses de vérité absolue dispensées par les mages de l’esprit, à qui après tout ça ne coûte rien, avons perdu, ce qui est le fond même de la pensée cartésienne, le sens de l’erreur, et la nécessité d’être en permanence vigilant contre sa menace que nul exorcisme ne peut réellement et définitivement dissiper.

 

Alors, il faut quand même que nous nous demandions si Descartes est effectivement cela que, la France, c’est, avec les résonances très particulières de ce « c’est » qui claque comme un drapeau. Est-ce bien lui rendre service, et surtout est-ce rendre service à la philosophie, que de l’enrégimenter dans cette chasse aux sorcières nouveau style, et de lui faire présider un tribunal d’enquête qui s’apparente fort à une inquisition nourrie de tous les amalgames possibles et imaginables ? Tu t’intéresses à Spinoza, tu lis Hegel, tu travailles sur Marx ? Tu es un mauvais français, complice et collaborateur des bourreaux d’Auschwitz et du goulag, si ce n’est des terroristes islamistes ! Les dernières pages du livre de Glucksmann grondent et menacent :

« ... Les Français ne maintiennent leur originalité historique qu’à décevoir Marx, Khomeiny et autres messies qui prétendent réaliser la philosophie par le politique ou suturer les problèmes politiques en imposant la solution définitive (sic) d’une quelconque prédication théorique ou religieuse. Depuis le XVIe siècle, il existe heureusement des mécréants, qui séparent continûment pour les confronter sans cesse l’actualité qui bouleverse et la pensée qui fait face, la part du malin génie et celle du cogito... Longtemps l’humanité de l’homme fut champ de bataille et enjeu pour diverses persuasions. Descartes change la donne, ôte le trophée, donc transforme le jeu. Le conflit des humanismes positifs devient sans objet ; non seulement Physis et Cosmos sont perdus, mais ils ne sont pas à retrouver ; aucune renaissance ne leur est due ; la persuasion qui animait ces grands englobants est déconnectée, au point que leur harmonieuse existence de jadis paraisse douteuse, sauf sous les traits, illusion par trop rétrospective, d’un adieu rêveur que la Grèce finissante adresse à elle-même. Quant aux contemporains, ils se feront contemporains de la dissuasion cartésienne, ou ils finiront mal à trop vouloir s’entendre sur le Bien, plutôt que sur leur mésentente, ou leur doute. »3

[3] Id., p. 384 s.

On appréciera le ton de prophète adopté par celui qui s’est engagé dans la croisade contre l’esprit de prophétie. On s’étonnera de la ruse de l’histoire qui garantit à ce « dissident » de tomber immanquablement du bon côté. Et on plaindra Descartes d’avoir couvert de son autorité l’imposture d’une revendication de tolérance qui est en fait, très dialectiquement, une manifestation d’intolérance. Non, Descartes c’est pas la France !

 

Notes

1 II, chap. 3, «À l’entrée du non-monde», éd. Livre de poche, p. 130.
2 II, chap. 2, id., p. 118.
3 Id., p. 384 s.


Pour citer cet article Référence électronique

Pierre Macherey, « Descartes, est-ce la France ? », Methodos, 2 (2002), L'esprit. Mind/Geist, [En ligne], mis en ligne le 5 avril 2004. URL : http://methodos.revues.org/document94.html. Consulté le 22 avril 2009.

 

Auteur

Pierre Macherey, Université Lille 3, UMR «Savoirs et Textes»

Articles du même auteur :
Idéologie : le mot, l’idée, la chose. [Texte intégral], Paru dans Methodos, 8 (2008), Chimie et mécanisme à l'âge classique
Une poétique de la science : [Texte intégral], Paru dans Methodos, 6 (2006), Science et littérature NavigationChercher

 

 

[여담] 위의 마셔레 텍스트와는 별개로, 내가 세상 물정을 잘 모르기도 하고, (많이는 아니지만) 데카르트 연구(공부)가 남한에서는 어떻게 이뤄지고 있는지가 약간은 궁금하여 알라딘에 올라와 있는 책들을 대충 훑어봤다. 어떻게 된 심판인지 데카르트의 기본서 외에는 이렇다 할 연구서나 번역서는 눈에 잘 띄지 않는다. 내가 여기서 데카르트의 중요성을 재론할 처지는 아니지만, 김상환이 정통 빠리 4대학에서 데카르트 연구로 학위를 받았고, 그 덕에, 그리고 데카르트의 중요성이 감안돼서 서울대에 들어간 것으로 아는데, 그는 왜 데카르트의 원전이나 연구서를 (재)번역 하지를 않고 이상한(!) 글만 쓰는지 이해할 수가 없다. 김상환이 쓴 책의 주제들을 연대기로 보면 이렇다: 96년-해체론; 99-예술; 2000-문학, 니체, 김수영론; 02-지식인; 05-지젝 (언젠가는 부르디외 책도 번역한 것으로 아는데 안 찾아진다). 누군가의 흥미와 관심을 제3자가 뭐라할 이유야 전혀 없겠지만, 전공자, 그것도 드물고 귀한 정통의 제대로 된 전공자가 맞다면, 전공분야의 원전이나 기본 해설서에 대한 재검토와 번역이 다른 무엇보다 우선한다는 일종의 사회적 책임으로부터 진정 자유로와도 되는지 약간 의문이다. 뭐 첨단 자유주의사회니깐... 되겠지.

데카르트의 기본서라고 해봐야 <성찰>과 <방법서설>의 얇은 두 권이 핵심이겠지만, 이에 딸린 연구서는 중요한 것만으로도 넘치고 넘쳐 제목도 다 기억 못 할 지경인데, 그 중에서 과연 뭐가 번역돼 있는지는 찾기가 어렵다. 나같은 비전공자에게도 아래 사진의 세 연구서는 <성찰> 만큼이나 귀중한 책으로 거의 고전의 반열에 올라있는 것으로 알려져 있는데, 두 저자의 이름은 알라딘에서 찾을 수가 없는 게 좀 이상하다. 아마도 내 검색능력의 부실 탓이라고 믿어본다. 

 

La pensée métaphysique de DescartesLivre - Descartes Au Fil De L'OrdreLa philosophie première de Descartes

Henri Gouhier, La pensée métaphysique de Descartes, Vrin, 1962, 69, 78, 87, 99(4e ed.), 416 p., 34 euros.
Jean-Marie Beyssade, La philosophie première de Descartes, Flammarion, 1979, 377 p.
Jean-Marie Beyssade, Descartes au fil de l'ordre, PUF, 2001, 328 p., 30 euros.

 

 

[참고] Descartes et Montesquieu : de l'objectivité de la nature à l'idée de système politique
Etienne Géhin Revue de sociologie française   Année  1973  Volume  14  Numéro  14-2  pp. 164-179
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1973_num_14_2_2197

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Spinoza & Anthropologie économique (F.Lordon,06)

<최상의 이욕: 스피노자의 경제학적 인류학에 대한 시론>(F.Lordon,2006)라는 책에 대한 서평이다. 스피노자를 경제학적으로 해석해 보려는 시도라니 제목부터 흥미롭다. 물론 '코나투스' 개념에서 충분히 이런 시도의 가능성을 엿볼 수는 있겠지만, 조금은 새롭고 신선한 것은 사실이다. '코나투스'(Conatus)가 "각 사물이 스스로의 역량 속에서 자기 존재를 보존하기 위하여 들이는 노력"(l’effort que fait chaque chose dans la mesure de sa puissance, pour persévérer dans son être -본문에서 발췌)을 의미하니까, 작금의 시대에 '자기보존 노력'이란 쉽게 경제적 국면으로 연계되겠기에 가능한 시론이지 싶다. 참고로, 이 글의 서평자는 빠리 1대학의 스피노자 전공 교수이고, 그가 뽑은 서평 제목은 "[스피노자의] 증여 [개념]에 대항하는 시론" 이다. 두 제목을 언듯 보기에, 스피노자 철학의 두 주요 개념인 '이욕'(사적 이익에 대한 욕망, intérêt)과 '증여'(호의적 기부-선물, don)가 배치를 이루는 것으로 봐서, 상당히 비판적인 서평이 아닐까 싶은데, 더 자세한 것은 본문을 마저 정독한 후에 평가하기로 한다. [웬만하면 불어원문으로 된 포스트는 블로그 홈에 안 보내려고 하는데(이유는..), 이 서평은 링크된 곳에 영어로도 번역돼 있기에(괜찮은 서평이라는 증거가 되려나!), 이번에는 예외로 한다.]

 

[영어] http://laviedesidees.fr/Essay-against-giving.html (Translated from french by Catherine Rushton)

[불어] http://laviedesidees.fr/Essai-contre-le-don.html

 

[서평] Essai contre le don / par Pascal Sévérac [26-03-2008]
[분야] Domaine : Philosophie ; Mots-clés : anthropologie | intérêt | don

[대상] Recensé : Frédéric Lordon, L’intérêt souverain. Essai d’anthropologie économique spinoziste. La découverte, 2006, 235 p., 23 euros.

En utilisant le concept spinoziste de conatus pour analyser la structure intéressée de toutes les figures du don, F. Lordon nous offre une belle alliance de philosophie et de sciences sociales. Grâce au conatus, le don apparaît comme la fiction d’un désintéressement, intéressé en vérité à conjurer la violence originaire des rapports humains. Mais le conatus, tel qu’il est déployé dans la philosophie de Spinoza, ne définit-il qu’une anthropologie guerrière ?L'intérêt souverain : Essai d'anthropologie économique spinoziste 귀여운 스피노자

 

La philosophie spinoziste fait depuis quelques années l’objet d’un vif intérêt, non seulement dans la sphère restreinte de l’histoire de la philosophie, mais aussi, plus largement, dans des champs disciplinaires proches ou éloignés : dans le domaine de la philosophie de l’esprit (autour du fameux mind-body problem), dans le domaine de la psychothérapie (psychanalyse, psychomotricité, pédopsychiatrie…), dans le domaine de la biologie (avec les réflexions de neurobiologistes comme J.-P. Changeux en France ou A. R. Damasio aux Etats-Unis), dans le domaine des sciences humaines enfin, et en particulier des sciences sociales [1]. S’agit-il d’une simple mode ? Il est en tout cas des travaux qui ne trompent pas : le livre de Frédéric Lordon est de ceux-là, par la pertinence de son utilisation des idées spinozistes, par la précision de ses références au texte de Spinoza – en l’occurrence à son ouvrage maître, l’Ethique, achevée en 1675. Le projet général de Frédéric Lordon, directeur de recherche au CNRS, membre du Bureau d’économie théorique et appliquée, est d’élaborer un programme de recherche qui envisage la possibilité de sciences sociales spinozistes : L’intérêt souverain en constitue une étape importante. Non pas la première étape, car Spinoza était déjà la référence centrale de plusieurs de ses articles, et d’un ouvrage sur le capitalisme financier, La politique du capital (Odile Jacob, 2002) ; mais sans aucun doute une étape décisive, en ce qu’elle fait du concept spinoziste de conatus le principe fondamental d’intelligibilité des relations sociales.

[1] Vient de paraître un recueil d’articles, introduit par une riche préface, sous la direction de Yves Citton et Frédéric Lordon : Spinoza et les sciences sociales. De la puissance de la multitude à l’économie des affects, Editions Amsterdam, 2008.


1*/ Le conatus comme intérêt à soi-même
Qu’est-ce que le conatus chez Spinoza, et en quoi son importation dans les sciences sociales est-elle pertinente ? Le conatus désigne chez Spinoza l’effort que fait chaque chose dans la mesure de sa puissance, pour persévérer dans son être. Frédéric Lordon lit le conatus dans le sens de l’intérêt que chacun prend à soi-même : « si le conatus est effort, il est aussi fondamentalement intérêt – l’intérêt de la persévérance dans l’être, c’est-à-dire du maintien dans l’existence et dans l’activité. Le conatus est l’intérêt à effectuer ses puissances et à les augmenter. Il est intérêt parce qu’il est l’expression d’une chose impliquée dans son existence même » [2]. Inutile, comme le précise F. Lordon, d’expliquer ce conatus à partir de l’ontologie de l’activité causale que déploie la première partie de l’Ethique : retenons simplement qu’il peut servir de principe premier à une anthropologie des sciences sociales, et que cette « conation » essentielle qui caractérise chaque chose, et donc chaque individu humain, ou même chaque groupe humain suffisamment soudé pour constituer comme un individu, est un principe de détermination causale, rendant raison des activités multiples et variées d’affirmation de sa propre puissance d’agir et de penser. Parmi ces activités, F. Lordon, dans le premier chapitre de son ouvrage (« Le problème des choses ») en distingue une, qui est logiquement première : l’activité de « pronation », de prise directe – et la plupart du temps violente – sur les choses. Prendre est l’acte premier par lequel s’affirme la puissance égocentrée de chaque conatus : prendre les choses matérielles pour se nourrir, pour se protéger, pour se conserver. On voit dès lors sous quel horizon se déploient les relations inter-individuelles : si de la conation essentielle dérive la pronation caractérisant chaque existence, c’est sur la scène agonistique des rapports de force, et de la violence avant tout physique, que les conatusse rencontrent et partant se combattent. Mais alors, comment comprendre dans cette perspective l’activité qui paraît comme l’envers de la pronation, tant elle paraît pacifique et altruiste : l’activité de donation ? [2] p. 34.

 

2/ L’utilité du don
C’est à cette question centrale qu’est consacré tout l’ouvrage de F. Lordon : le conatus y a une fonction essentielle, montrer en quel sens même le don, dans ses diverses configurations, est l’expression de l’intérêt que chacun prend d’abord à soi-même. L’usage du conatus comme principe d’intelligibilité du monde social permet du coup de marquer sa distance non seulement avec la théorie du choix rationnel, tirée de la science économique utilitariste, largement dominante dans les sciences sociales, mais surtout avec le courant sociologique qui lui fait face et qui, prenant appui sur la pensée de Marcel Mauss, s’est incarné dans une école de pensée éponyme, le Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales, le MAUSS, mené notamment par A. Caillé et J. Godbout. D’un côté, F. Lordon, qui se reconnaît dans l’école dite de la régulation, rejette la fiction de l’homo œconomicus, c’est-à-dire d’un sujet égoïste et calculateur, maître de ses décisions et des mobiles qui les justifie : certes, une telle fiction affirme le caractère intéressé de tout choix, mais la conception de l’intérêt qu’elle sollicite est trop réductrice – intérêt transparent à lui-même, envisagé toujours rationnellement, de manière froide et maîtrisée. Cependant, la véritable cible de l’ouvrage de F. Lordon n’est pas celle-ci ; c’est de l’autre côté qu’il faut se tourner, du côté de ceux qui imaginent des relations sociales « vraies », entre des donateurs altruistes plutôt que des calculateurs égoïstes, œuvrant à une société de solidarité plutôt que de marché : car si l’homo œconomicus est une fiction qui ne prend pas en compte toute la charge passionnelle du conatus, qui en vérité ne raisonne que sous l’affect, la fiction de l’homo donator quant à elle, après avoir comme la première réduit l’intérêt au calcul conscient et méthodique, se présente comme une dénégation pure et simple de ce qui est – selon F. Lordon – au principe du don : l’intérêt lui-même, qui justement ne s’avoue pas comme tel.

 

Il n’est bien évidemment pas question de reprocher à ceux qui donnent d’enchanter leur geste en croyant, ou en faisant croire, au désintéressement des relations qu’ils tissent avec autrui ; mais il est plus étonnant de voir une école de pensée succomber, selon l’auteur, aux sirènes de la wishfull thinking, en estimant que ces relations sont effectivement telles que les acteurs souvent se les représentent. F. Lordon va chercher dans M. Mauss lui-même les premiers arguments pour contester cette position théorique : certes, le don demeure pour l’anthropologue ce roc de la morale éternelle [3] ; mais il affirme également qu’ « au fond, de même que ces dons ne sont pas libres, ils ne sont pas réellement désintéressés » [4]. L’intérêt que vise l’institution du don/contre-don analysée par Mauss et Sahlins est avant tout un intérêt pour la paix : ainsi, chez les Trobriands, comme le rappelle F. Lordon dans son deuxième chapitre (« L’économie : dangereuse et ignoble »), le kula, échange cérémoniel mettant en relation des groupes par la médiation de leur chef, vient pacifier la violence brute de l’échange marchand, le gimwali, face-à-face entre deux individus mus par l’âpreté au gain, et dont l’échange « ne se distingue pas significativement de la prise sauvage » [5]. Le don/contre-don comme refoulement et sublimation du donnant-donnant : le kula déplace le gimwali à la marge du groupe, et ainsi domestique l’activité de pronation, en substituant à la centralité de la chose matérielle à acquérir l’obtention symbolique de prestige. L’échange cérémoniel demeure agonistique, puisqu’il s’agit par le don d’écraser le rival ; mais cette compétition réglée civilise les conatus, en les détournant vers des profits d’honneur.

[3] Essai sur le don, « Conclusions de morale », PUF, « Quadrige », p. 263-264.

[4] Op. cit., p. 268. Cité par Lordon, p. 96.

[5] Lordon, p. 78.

 

F. Lordon distingue, à la fin du chapitre 2, « trois configurations historiques du “prendre” » : l’échange symbolique, qui vise à la perpétuation des relations sociales par l’alliance, et n’autorise le « prendre » que sous la forme du « recevoir » ; l’échange marchand, qui est au plus près de la pronation directe et brutale, même s’il requiert des médiations institutionnelles (la monnaie, le droit…) ; et enfin une figure intermédiaire de l’échange qui, associant les deux premiers, se caractérise par une individualisation et une moralisation des rapports entre donateur et donataire. Le don/contre-don détournait la violence physique vers une violence symbolique, plus pacificatrice ; désormais, par la morale du désintéressement, sont intériorisés un discours et une pratique qui voilent la violence originaire des conatus jusque dans les intentions de la conscience individuelle. Les chapitres 3 et 4 sont alors consacrés à l’examen de ce dernier type d’échange. Dans le chapitre 3 (« Les jeux de l’intérêt »), F. Lordon se démarque de la lecture que propose Bartolomé Clavéro du don [6] : celui-ci nomme antidora la pratique du contre-don conçue, à partir du Moyen Age, en réaction à l’usure, trop visiblement intéressée. L’argent doit être prêté non par calcul mais par amitié ; il doit être rendu non par obligation juridique mais morale – l’antidora relevant d’une morale de l’honneur et de la gratitude, et le surplus éventuellement accordé au donateur par le récipiendaire étant nommé bénéfice, c’est-à-dire originairement bienfait (beneficium) rendu par grâce. [6] Lordon, p. 78.

 

De cette première figure de dénégation collective destinée à recouvrir les échanges intéressés du voile pudique de l’amitié pure, F. Lordon approfondit la logique par l’étude, dans le chapitre 4, « La tragi-comédie des bienfaits », de la doctrine des bienfaits élaborée quelques siècles plus tôt par Sénèque. Pourquoi « tragi-comédie » ? Il s’agit là d’une comédie sociale car, à travers l’hypocrisie de la reconnaissance, qui consiste à « payer d’affect » le donateur, tout est fait pour adoucir la violence symbolique du recouvrement de dettes (l’exaction). Contre l’ingratitude, Sénèque élabore une morale pour le donateur et le donataire ; mais ce faisant, il se montre sensible à ce qui menace de l’intérieur les rapports sociaux : « on peut donc parfois rire du bienfait mais ce contre quoi il tente de se battre n’est pas drôle. Ce que Sénèque veut tenir au loin, c’est le déchaînement des conatus pronateurs, cet état de catastrophe du social […]. Derrière la première obsession, qu’on aurait pu trouver superficielle, de l’ingratitude, il y en a une seconde, autrement plus profonde, celle du chaos social » [7] – la comédie comme antidote au tragique de la situation. [7] p. 145.

 

3/ Le conatus, force antisociale ?
Par cette insistance sur la rémanence du conflit dans le rapport social, le propos de l’auteur est encore plus spinoziste qu’il ne le dit. Spinoza en effet l’affirmait à sa manière, lorsque dans l’une de ses lettres, il définissait ainsi sa différence avec Hobbes : pour moi, il n’y a pas rupture, mais continuité entre l’état de nature et l’état social. Mieux : il y a continuation, persévérance, de l’état de nature à même l’état social. Ce qui signifie, puisque prévaut dans l’état de nature le droit de guerre, c’est-à-dire le conflit des puissances, que la société ne rompt jamais avec cette espèce de « guerre silencieuse », pour employer un mot de Foucault [8], qui caractérise les rencontres passionnelles entre les hommes. Les institutions diverses du monde social (comme la morale ou le droit) ne mettent pas fin aux logiques passionnelles à travers lesquelles s’affirme la puissance de chaque conatus ; elles les expriment de telle sorte que les hommes parviennent plus à se convenir qu’à s’opposer. Les consensus qui forment les communautés ne naissent donc pas moins des affects que les dissensus : une norme, morale ou politique, n’est suivie que par crainte des châtiments qu’encourt la désobéissance, ou par espoir des récompenses que promet l’obéissance. Mais alors, si les consensus comme les dissensus sont affectifs, si le droit positif comme le droit naturel sont des expressions avant tout passionnelles de la puissance de la multitude, on ne saurait réduire le conatus – comme l’auteur le fait parfois pourtant – à une « force fondamentalement antisociale » [9]. Une telle réduction reviendrait à flirter avec une conception qui devrait peut-être plus à Hobbes qu’à Spinoza : ce serait penser la nature humaine comme ce qui nécessairement nous divise et jamais ne peut nous unir ; ce serait penser l’artifice pacificateur du pouvoir du Léviathan comme l’envers de la puissance de division des passions naturelles. Chez Spinoza, la nature des hommes, c’est-à-dire la logique affective des conatus, ne conduit pas seulement au conflit : elle mène aussi à des concordes, à des unions, passionnelles souvent, rationnelles parfois. L’une des grandes difficultés de la pensée spinoziste, qui est aussi l’un des grands foyers d’interprétation de cette pensée aujourd’hui, est de saisir alors cette double articulation entre désunions et unions passionnelles d’une part, et entre compositions passionnelles et possibilité de leur rationalisation d’autre part.

[8] « Il faut défendre la société », Cours au Collège de France, Seuil/Gallimard, 1997, p. 16. Idée que Foucault exprime également en renversant la célèbre formule de Clausewitz : la politique, c’est la guerre continuée par d’autres moyens.

[9] p. 83.

 

Frédéric Lordon, cependant, n’est pas aveugle à ces problèmes, qu’il aborde à sa façon lorsqu’il entreprend la critique de la morale du désintéressement dans les deux derniers chapitres de son ouvrage (chapitres 5 : « Conatus, interesse, timesis  » et chapitre 6 : « Structures sociales et structures mentales de l’intérêt au désintéressement »). Cette critique convoque notamment la proposition 27 de la partie III de l’Ethique, qui porte sur l’imitation des affects : lorsque nous imaginons, dit Spinoza, qu’une chose semblable à nous, à l’égard de laquelle nous n’éprouvons aucun affect, est touchée par un certain affect, nous sommes alors déterminés à éprouver un affect semblable. Cette contagion des affects explique notamment le don charitable, qui provient non pas d’un élan de pur altruisme, mais de phénomènes passionnels qui dérivent directement de l’effort que chacun fait pour persévérer dans son être. Elle naît par exemple de la pitié, par laquelle nous éprouvons la tristesse que nous imaginons autrui éprouver, et qui nous pousse à la chasser – en autrui comme en nous-mêmes, en autrui parce qu’en nous-même. Le conatus affecté est un effort pour détruire toutes nos diminutions de puissance (nos tristesses) et conserver toutes nos augmentations de puissance (nos joies). Mais à cette forme passive de la bienveillance s’ajoute, comme le montre F. Lordon, une forme active : car il existe une véritable générosité, rationnelle, qui n’est autre qu’un intérêt à soi-même bien compris. A l’illusion d’une générosité désintéressée, il oppose les intérêts d’une générosité rationnelle. Le spinozisme est pour lui est un « utilitarisme de la puissance » [10], qui ne nie pas la réalité du don, mais distingue un « don de servitude », qui n’est qu’un marché de dupes, d’un « don de fortitude » [11], fondé sur l’idée qu’il n’y a rien de plus utile à l’homme que l’homme. Être autant que possible utile aux autres pour l’unique et bonne raison d’être le plus utile à soi, telle est la perspective éthique de la philosophie spinoziste. Il serait d’ailleurs intéressant de confronter cette finalité éthique avec celle du stoïcisme, que l’auteur évoque peu lorsqu’il examine la théorie des bienfaits de Sénèque : n’y a-t-il pas également dans cette conception de l’usage réglé du bienfait la recherche d’une certaine coïncidence à soi-même ? La distinction entre d’une part ce qui relève de notre propre liberté et qui seul doit être recherché (l’accord avec autrui pour être en accord avec soi) et d’autre part ce qui est certes préférable mais jamais ne dépend vraiment de nous (la gloire, la reconnaissance) ne fonde-t-elle pas l’éthique stoïcienne des bienfaits ? Il y aurait là quelques pistes de discussion à ouvrir. [10] p. 158. [11] p. 157.

 

Reste toutefois, comme le montre l’auteur, que la plupart des activités donatrices relèvent de mouvements passionnels plutôt que rationnels, en quête de profits de moralité qui tiennent le plus souvent au contentement obtenu par l’approbation du groupe. Comme le rappelle l’auteur à la suite de Bourdieu, « la reconnaissance du groupe va d’abord à ceux qui reconnaissent le groupe » [12] : le conatus individuel participe d’un conatus collectif, d’un effort de persévérance du groupe qui nous permet d’interpréter le don moral à sa juste mesure : ce don unilatéral (sans attente de retour) est non pas la scène où disparaît le public pour faire triompher l’intention pure, comme le pense par exemple M. Hénaff [13] ; mais le résultat d’un travail d’intériorisation des exigences de la société en une conscience morale individuelle. « La coïncidence du payé et du payeur n’est possible que par le branchement de son petit circuit de paiement sur la grande banque centrale du collectif moral. Et les affects de contentement dont il se rémunère en apparence lui-même ont en fait pour condition d’être tirés sur une ligne de crédit abondée par le groupe comme pool de ressources affectives. Le groupe oublié ou passé sous silence, la conscience morale peut se raconter tous les mensonges de l’autonomie et se donner toutes les fausses impressions de la souveraineté judiciaire. Ou bien se contenter de baigner sans autre interrogation dans la félicité des affects joyeux » [14].

[12] p. 82.

[13] Le prix de la vérité. Le don, l’argent, la philosophie, Seuil 2002.

[14] p. 189-190.

 

Qu’il s’agisse de don de pacification (don cérémoniel), de don de coopération (don de sociation) ou de don unilatéral (don de charité), la structure qui se déploie dans l’histoire du don est pour Frédéric Lordon toujours identique : il s’agit d’intéresser le conatus individuel au désintéressement, de le plier aux normes d’un conatus social par un processus qui équivaut – pour reprendre le vocabulaire d’une certaine veine psychanalytique qui irrigue tout l’ouvrage – à une « sublimation » de la violence pronatrice originaire et à une « dénégation » des profits de prestige, extériorisé ou intériorisé. Ce processus, plus que d’une décision individuelle ou collective, relève d’un « procès sans sujet » : il se manifeste, en chaque individu, par une forme mentale de sens pratique, de timesis dit l’auteur, qui est aptitude à apprécier ce qu’il faut donner, recevoir et rendre, et comment il faut le faire, sans avoir à le mesurer. Ainsi est mise au jour, par cette anthropologie spinoziste du don, une rationalité collective sans calcul rationnel : un procès de civilisation du groupe par lui-même.

 

4/ Contre-lecture, par Lorenzo Vinciguerra
Sous l’égide de la définition du conatus spinoziste, le livre de Frédéric Lordon entend établir les fondements scientifiques d’une anthropologie économique. C’est aussi un essai remarquable sur le don, soutenu par une argumentation rigoureuse et cohérente, servie par une écriture vigoureuse et brillante. Proche de la pensée bourdieusienne d’une économie générale des pratiques, sensible aux lectures de Spinoza faites par A. Matheron et par L. Bove, le conatus est ici redéfini comme intérêt, compris comme radical intérêt à être et à persévérer dans son être. De cette forme « matricielle », peuvent alors être tirées comme on le ferait d’une définition adéquate toutes les propriétés de l’intérêt, les figures du calcul utilitariste comme celles du don en apparence désintéressé. Se trouve dès lors reconduite à une seule et même racine la fausse antinomie entre homo economicus et homo donator. C’est le premier apport de ce livre : renvoyant dos-à-dos deux paradigmes anthropologiques, il se dégage d’une polémique destinée à rester sans vainqueurs ni vaincus entre les tenants d’une « anthropologie enchantée du don » et les défenseurs d’une anthropologie utilitariste qui a servi de fondement à théorie standard de l’économie dominante. J’éviterai ici de répondre à la question de savoir si les positions défendues par certains représentants du M.A.U.S.S. ont été bien comprises ou bien caricaturées, d’une part parce que ce débat a déjà eu lieu au sein du M.A.U.S.S. lui-même, d’autre part parce que tel n’est pas l’enjeu principal du livre. Car s’il accepte de se situer dans ce débat, ce n’est pas pour s’y épuiser. Son intention est différente. Il s’agit plutôt de repenser les principes de l’anthropologie à partir de ce lieu théorique, où l’anthropologie prête ses concepts à la sphère des pratiques économiques. Le but est donc de réorienter la pensée économique à partir des principes que celle-ci emprunte à une autre science. Tel est bien l’intérêt proprement philosophique de cet ouvrage qui a attiré à juste titre l’attention autant des anthropologues, des économistes que des philosophes. Je vais donc porter l’accent sur la partie plus conceptuelle de l’essai, le premier chapitre intitulé « le problème des choses ».

 

5/ Le concept de conatus-intérêt
« Chaque chose, autant qu’il est en elle, écrit Spinoza, Ethique III, proposition 6) s’efforce de persévérer dans son être ». C’est en ce lieu que vient s’ancrer le noyau théorique du livre. Si le conatus est essentiellement effort, il est aussi fondamentalement intérêt, au sens d’un intérêt à se maintenir dans l’être, intérêt à effectuer ses puissances et à les accroître. Pour Lordon on ne sort de l’alternative des figures de l’« intérêt utilitaire » et du « désintéressement », du calcul intéressé et de l’altruisme, que par un recentrage métaphysique sur la notion d’intérêt comprise comme égocentrisme radical, au sens où exister c’est être foncièrement intéressé à soi et pour soi (p. 34-35). L’approche est classique : il s’agit de repenser l’articulation entre le plan de l’essence et celui de l’existence. Plongée dans le bain de l’histoire, l’essence métaphysique du conatus-intérêt livre sa première propriété : la pronation violente sans frein ni limites. Mouvement brut de l’intérêt à l’état de nature, le prendre pour soi, conçu ici sur le modèle de l’ingestion, du métabolisme ou de l’égoïsme de la survie, est élu à fondement de tout échange marchand. Aussi, l’effort et le processus de civilisation ne feraient que découler de cette nécessité bien humaine de juguler, aménager, détourner, éduquer cette expression primordiale du prendre, qui risque à tout moment d’éclater en violence. Don et contre-don répondent à ce même impératif de réfrènement, de domestication et de sublimation de la pulsion prédatrice, antidote à une économie générale de la violence, dans laquelle les relations des hommes aux choses précèdent les relations des hommes entre eux. Aussi est-on conduit à admettre que « le problème civilisationnel n’a pas de tâche plus urgente que la mise en forme du prendre » (p. 39), et que « le don ne pas être premier », dans la mesure où le problème primitif c’est le prendre, et que le don est une institution qui suit d’une nécessité antécédente (p. 42). Le cadre théorique s’énonce ainsi clairement : « l’anthropologie historique précède toute praxéologie sociale ».

 

6/ Une perspective spinoziste ?
On peut se demander toutefois si derrière les intentions affichées d’un recours à Spinoza, ce n’est pas plutôt la pensée de Hobbes qui travaille en sous-main la partie plus théorique de l’essai. Notamment par l’idée que la dispute anarchique des choses serait au fondement de la relation entre les humains, autrement dit que « la première réciprocité négative ». Pour Frédéric Lordon c’est l’échange de coups autour d’un objet que deux puissances pronatrices se déchirent, qui inaugure tragiquement la rencontre entre deux individus (p. 52). On retrouve ici dans l’expérience de pensée imaginée pour concevoir l’entrée en société la fiction propre à la pensée politique classique qui va de Hobbes à Rousseau. Sont perceptibles aussi la veine « marxiste » et l’influence de lectures qui dans le sillage de Matheron ont voulu lire dans le conflit passionnel la constitution principielle du lien interhumain. Si l’investiture du prendre pour soi comme attribut principal de l’intérêt a bien le mérite d’indiquer les limites d’une position consistant à élire naïvement le don et la donation comme élan premier (sur cet aspect critique, on ne peut qu’être d’accord avec l’auteur), elle en paye le prix. Affirmer en effet que « dans le monde humain, le problème du social naît au moment où deux conatus se rencontrent et s’affrontent pour la capture d’une proie » (p. 51), c’est décider aussi que la rencontre est d’abord dispute de choses. C’est inévitablement concevoir la nature de la co-existence sur le seul modèle de la concurrence et de la lutte. Il ne s’agit pas de sous-estimer les réalités dramatiques des réciprocités négatives, mais plutôt de se demander si le lien social est pensable à partir de cette seule négativité, autrement dit si l’existence des intérêts individuels est elle-même pensable indépendamment d’un ordre de « relations aux autres », où la « relation aux choses », avancée comme première par Lordon, se trouve toujours déjà prise. Entendons-nous bien : il ne saurait être question d’aller dans le sens de ce dont l’auteur montre parfaitement les limites chez un hégélien comme Kojève, à savoir d’une primauté anthropologique des relations symboliques (le prestige) sur les rapports physiques (la relation aux choses), mais peut-être tout simplement de considérer qu’il n’y a pas l’un sans l’autre, c’est-à-dire que le moment symbolique n’est à penser ni après ni avant, mais avec celui des choses. Ici se joue l’un des enjeux majeurs du livre, qui affecte directement les destins d’un programme spinoziste en sciences humaines, ainsi que Frédéric Lordon entend ambitieusement le développer. Elle concerne la manière de comprendre ce que Spinoza appelait individuum, dont la première particularité est de ne pas être substantiel. Cette question nous ramène à cœur même de la notion d’intérêt individuel. Or, peut-on vraiment s’aider de Spinoza, pour soutenir avec Lordon que « l’intérêt à soi et pour soi » est encore envisageable isolément, c’est-à-dire abstraction faite de la multitude humaine dans laquelle il est non seulement historiquement, mais aussi ontologiquement inséré ? Puisqu’il n’est pas substantiel, ne faut-il pas penser plutôt que chaque conatus individuel se trouve toujours déjà pris et compris dans une vie-à-plusieurs qui en conditionne l’existence jusqu’à celle de son « soi » ? Plutôt que cette chose qui a des relations avec des choses, l’intérêt-conatus ne désigne-t-il pas plutôt un être de relations (inter-esse), notamment avec celles et ceux qui permettent d’en définir l’individualité ? Que l’on relise la définition de l’individuum, on n’y trouvera aucune substance qui précède les relations dont il se constitue, et qui le font tenir à soi comme aux autres. Dans ces conditions, ne faut-il pas penser la multitude comme ce sol d’immanence soutenant l’être des self-interests ? Dès lors il n’y aura plus motif de se demander si le conatus-intérêt est pré- ou a-social (telle est en effet la problématique hobbesienne), car l’individu ne précède pas la multitude. Ce qu’il peut y avoir d’antisocial dans les passions prédatrices et destructrices des conatus-intérêts ne remet pas en cause ses conditions de possibilité au sein d’une vie commune. Au contraire, même l’antisocialité la plus insupportable ne fait que réaffirmer les liens essentiels qui lient les individus entre eux. Quoi qu’il fasse et pense, l’individu humain a beau être de toutes ses forces contre les autres, il ne l’est jamais que tout contre eux. Telle est la condition de son être mode. Il reste que c’est avec une grande cohérence que les figures de l’intérêt sont poursuivies par Lordon jusque dans leurs derniers retranchements, là où, dans les profits déniés de la morale et dans le mensonge à soi-même du désintéressement, elles finissent par se cacher à elles-mêmes. Comme naguère La Rochefoucauld et les moralistes du grand siècle, Lordon démasque avec talent les faux-semblants de la comédie sociale (cf. le chapitre consacré aux Bienfaits de Sénèque), au risque cependant de masquer à son tour la réalité d’un être qui n’est rien sans les autres. Nous sommes singuliers parce que nous sommes plusieurs. La singularité de chacun n’existe que dans le champ d’une vie commune. La multitude est la condition et la limite de notre vouloir être absolument. (par Pascal Sévérac [26-03-2008])

 

* 각 항목에 붙인 번호는 펌자의 것임.

 

Aller plus loin / Cet article est publié en partenariat avec le Collège international de philosophie, qui organise dans le cadre des Samedis du Livre, une matinée sur l’ouvrage de F. Lordon le samedi 29 mars (9h30-12h30). Amphi Stourdzé, Carré des Sciences, 1 rue Descartes, 75005, Paris, sous la responsabilité de Pascal Sévérac. Intervenants : Sophie Audidière, Bernard Gazier, Frédéric Lordon, Pascal Sévérac, Lorenzo Vinciguerra.

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[marx] Macherey,08) Thèses sur Feuerbach

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[marx] Thesen über Feuerbach

a d   F e u e r b a c h
[Thesen über Feuerbach]
Frühjahr 1845

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ad Feuerbach

  1
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Der Hauptmangel alles bisherigen Materialismus (den Feuerbachschen mit eingerechnet) ist, dass der Gegenstand, die Wirklichkeit, Sinnlichkeit, nur unter der Form des Objects oder der Anschauung gefasst wird; nicht aber als sinnlich menschliche Thätigkeit, Praxis; nicht subjectiv. Daher die thätige Seite abstract im Gegensatz zu dem Materialismus von dem Idealismus - der natürlich die wirkliche, sinnliche Thätigkeit als solche nicht kennt - entwickelt. Feuerbach will sinnliche - von den Gedankenobjecten wirklich unterschiedene Objecte: aber er fasst die menschliche Thätigkeit selbst nicht als gegenständliche Thätigkeit. Er betrachtet daher im «Wesen des Christenthums» nur das theoretische Verhalten als das echt menschliche, während die Praxis nur in ihrer schmutzig jüdischen Erscheinungsform gefasst und fixirt wird. Er begreift daher nicht die Bedeutung der «revolutionären», der «praktisch-kritischen» Thätigkeit.

  2
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Die Frage, ob dem menschlichen Denken gegenständliche Wahrheit zukomme - ist keine Frage der Theorie, sondern eine praktische Frage. In der Praxis muss der Mensch die Wahrheit, i. e.. Wirklichkeit und Macht, Diesseitigkeit seines Denkens beweisen. Der Streit über die Wirklichkeit oder Nichtwirklichkeit des Denkens - das von der Praxis isolirt ist - ist eine rein scholastische Frage.

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Die materialistische Lehre von der Veränderung der Umstände und der Erziehung vergisst, dass die Umstände von den Menschen verändert und der Erzieher selbst erzogen werden muss. Sie muss daher die Gesellschaft in zwei Theile - von denen der eine über ihr erhaben ist - sondiren.
Das Zusammenfallen des Ändern[s] der Umstände und der menschlichen Thätigkeit oder Selbstveränderung kann nur als revolutionäre Praxis gefasst und rationell verstanden werden.

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Feuerbach geht von dem Factum der religiösen Selbstentfremdung, der Verdopplung der Welt in eine religiöse und eine weltliche aus. Seine Arbeit besteht darin, die religiöse Welt in ihre weltliche Grundlage aufzulösen. Aber dass die weltliche Grundlage sich von sich selbst abhebt und sich ein selbständiges Reich in den Wolken fixirt, ist nur aus der Selbstzerrissenheit und Sichselbstwidersprechen dieser weltlichen Grundlage zu erklären. Diese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch verstanden als praktisch revolutionirt werden. Also nachdem z. B. die irdische Familie als das Geheimniss der heiligen Familie entdeckt ist, muss nun erstere selbst theoretisch und praktisch vernichtet werden.

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Feuerbach, mit dem abstracten Denken nicht zufrieden, will die Anschauung; aber er fasst die Sinnlichkeit nicht als praktische menschlich-sinnliche Thätigkeit.

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Feuerbach löst das religiöse Wesen in das menschliche Wesen auf. Aber das menschliche Wesen ist kein dem einzelnen Individuum inwohnendes Abstractum. In seiner Wirklichkeit ist es das ensemble der gesellschaftlichen Verhältnisse.
Feuerbach, der auf die Kritik dieses wirklichen Wesens nicht eingeht, ist daher gezwungen:
1. von dem geschichtlichen Verlauf zu abstrahieren und das religiöse Gemüt für sich zu fixiren und ein abstract - isolirt - menschliches Individuum vorauszusetzen.
2. Das Wesen kann daher nur als «Gattung», als innere, stumme, die vielen Individuen natürlich verbindende Allgemeinheit gefasst werden.

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Feuerbach sieht daher nicht, dass das «religiöse Gemüth» selbst ein gesellschaftliches Product ist und dass das abstracte Individuum, das er analysirt, einer bestimmten Gesellschaftsform angehört.

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Alles gesellschaftliche Leben ist wesentlich praktisch. Alle Mysterien, welche die Theorie zum Mysticism[us] veranlassen, finden ihre rationelle Lösung in der menschlichen Praxis und im Begreifen dieser Praxis.

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Das Höchste, wozu der anschauende Materialismus kommt, d. h. der Materialismus, der die Sinnlichkeit nicht als praktische Thätigkeit begreift, ist die Anschauung der einzelnen Individuen und der bürgerlichen Gesellschaft.

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Der Standpunkt des alten Materialismus ist die bürgerliche Gesellschaft; der Standpunkt des neuen die menschliche Gesellschaft oder die gesellschaftliche Menschheit.

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Die Philosophen haben die Welt nur verschieden interpretirt, es kömmt drauf an, sie zu verändern.



 

 

 

D e r   A u t o r
Karl Marx wird 1818 in Trier geboren. 1824 tritt die jüdische Familie zum Protestantismus über. Ab 1835 studiert Marx in Bonn und ab 1836 in Berlin Jura, später unter dem Einfluß Hegels Philosophie und Geschichte. Er promoviert 1841 in Jena. 1842/43 ist er Redakteur bei der «Rheinischen Zeitung». Nach der Heirat mit Jenny von Wetphalen geht er nach Paris, wo er 1844 zusammen mit Arnold Ruge die «Deutsch-Französischen Jahrbücher» herausgibt. Auf Anregung von Friedrich Engels beschäftigt er sich mit dem ökonomischen Werk von Adam Smith und David Ricardo und studiert die Theorien der Frühsozialisten. Gemeinsam mit Engels setzt er sich in der «Heiligen Familie» und der «Deutschen Ideologie» mit den Linksheglianern und den Theorien Feuerbachs auseinander und veröffentlicht mit Engels 1848 das «Kommunistische Manifest». Im gleichen Jahr gibt er in Köln die «Neue Rheinische Zeitung» heraus. Nach deren Verbot geht er 1849 nach London ins Exil. Hier entstehen unter schwierigen Lebensbedingungen seine ökonomischen Hauptschriften. In zahlreichen politischen Schriften und Artikeln beeinflußt er in den folgenden Jahren maßgeblich die sich entwickelnde Arbeiterbewegung. 1883 stirbt er im Exil in London.




 
 
 
D a s   W e r k
 
 
Betrachtung eines Jünglings bei der Wahl eines Berufs (Abituraufsatz 1835)
An principatus Augusti merito inter feliciores
reipublicae Romanae aetates numeretur?
 (Lateinabitur 1835)
De Hemsterhusii moribus (Lateinabitur 1835)
Gedichte (1835/39)
Oulanem. Trauerspiel (Fragment 1837)
Scorpion und Felix. Humoristischer Roman (Fragment 1837)
Brief an den Vater (1837)
Volksliedersammlung (1839)
Über die Differenz der Demokritischen
und Epikureischen Naturphilosophie (Dissertation 1841)
Kritik des Hegelschen Staatsrechts (1843)
Die Judenfrage (1843)
Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie (1843/44)
Ökonomisch-philosophische Manuskripte (1844)
Die Heilige Familie (zusammen mit Engels 1845)
ad Feuerbach [Thesen über Feuerbach] (1845)
Die deutsche Ideologie (zusammen mit Engels 1846)
La misère de la philosophie (1847)
Manifest der Kommunistischen Partei (zusammen mit Engels 1848)
Rede vor den Kölner Geschworenen (1849)
Lohnarbeit und Kapital (1849)
Die Klassenkämpfe in Frankreich (1850)
Der achtzehnte Brumaire des Louis Bonaparte (1852)
On British elections and parties (1852)
Über den Kommunistenprozeß zu Köln (1852)
On China and India (1859)
Zur Kritik der politischen Ökonomie (1859)
The civil war in the United States (1861)
Inauguraladresse der Internationalen Arbeiterassoziation (1864)
Lohn, Preis, Profit (1865)
Das Kapital (1. Band) (1867)
Das Kapital (1. Band) (2. veränderte Auflage 1873) nach der Internet-Ausgabe von Michio Akama
Randglossen zum Programm der deutschen Arbeiterpartei (Kritik des Gothaer Programms) (1875)
Das Kapital (2. Band) (posthum 1885)
Das Kapital (3. Band) (posthum 1894)

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