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lettres a Malesherbes (jjr, 4&12 jan.1762)

말제르브(Malesherbes, 1721~94): 프랑스의 법률가, 정치인.

1750년 그의 아버지인 기욤 드 라무아뇽 드 블랑메닐이 대법관으로 승진하자 말제르브는 조세법원 원장과 출판총감이 되었다. 대법관의 임무 중 하나는 언론을 제어하는 것이었고, 말제르브의 아버지는 이 일을 말제르브에게 맡겼다. 18년의 재임기간동안 말제르브는 법률가로서보다는 공직생활에 더 많이 연관되었다. 효율성을 위해서 그는 파리의 문학지도자들과 교류하였으며, 특히 드니 디드로와 많은 교류를 나누었다. 그림 남작 프리드리히 멜키오르는 '말제르브의 도움이 없었다면 《앙시클로페디》(프랑스어: Encyclopédie)는 출판되지 못했을 것'이라고 말하기도 하였다.

1771년부터 말제르브는 정치에 개입, 1775년에는 국무장관: 국민을 국왕의 뜻대로 채포할 수 있는 봉인장(프랑스어: Lettre de cachet)의 남발을 막았다. 프랑스 혁명기에 루이 16세의 변호, 1794년 4월 23일 단두대에서 처형. -한글 위키 발췌-


이런 맥락에서(문학가들과의 교류, 백과전서파 지원) 말제브르(40세)는 1762년 1월에 루소(49세)와도 편지를 주고받은 모양이다. 루소는 수시로 많이 아프고 가난하고 외로운 교외생활을 하면서 저술활동에 전념했고, 이러한 루소의 덜 행복한 처지를 안타깝게 여긴 말제르브가 먼저 루소에게 안부편지를 보낸다. 편지에서 그는 루소의 극도로 민감한 성격과 어두운 침울(멜랑꼴리-melancolie)이 스스로의 삶을 힘들고 불행하게 하는지도 모르겠다는 류의 걱정을 했고, 여기에 대한 루소의 답장이 1월 한달 사이에 네 번이나 이어진다: 1762년 1월 4,12, 26, 28일 (같은 해 4월과 5월에 <사회계약론>과 <에밀>이 출간되니, 아마도 이 네 편의 편지는 두 대작의 탈고도 끝난, 조금은 한가한 시간의 산물이겠다).


이하 네 편의 편지를 2회에 걸쳐 읽어간다, 아니 '편지 읽어주는 남자'를 따라간다. 편지는 결코 짧지도 가볍지도 않다. 약간은 루소의 전기적 요소도 있지만 그 속에는 -늘 그렇듯(그래서 루소의 <고백>은 단순한 자서전이 아니다)- 루소 철학·사상의 단편·단상들이 행간 곳곳에 녹아있다. 핵심 어휘는 내 나름대로 굵은글씨나 밑줄로 강조하고, 이탤릭은 원문에 있는 그대로를 존중한다. (편지 4편 듣기 출처: http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/jean-jacques-rousseau-lettres-a-malesherbes.html

 

 

ROUSSEAU, Jean-Jacques - Lettres à Malesherbes (Livre audio gratuit posté le 29 mars 2007)
Donneur de voix : Augustin Brunault | Durée : 38min (sur 4 lettres)

 

Première lettre (4 janvier 1762).
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Première lettre à M. de Malesherbes

A Montmorency, le 4 janvier 1762

 

J'aurais moins tardé, Monsieur, à vous remercier de la dernière lettre dont vous m'avez honoré si j'avais mesuré ma diligence à répondre sur le plaisir qu'elle m'a fait. Mais, outre qu'il m'en coûte beaucoup d'écrire, j'ai pensé qu'il fallait donner quelques jours aux importunités de ces temps-ci pour ne vous pas accabler des miennes. Quoique je ne me console point de ce qui vient de se passer, je suis très content que vous en soyez instruit, puisque cela ne m'a point ôté votre estime; elle en sera plus à moi quand vous ne me croirez pas meilleur que je ne suis.

 

Les motifs auxquels vous attribuez les partis qu'on m'a vu prendre depuis que je porte une espèce de nom dans le monde me font peut-être plus d'honneur que je n'en mérite, mais ils sont certainement plus près de la vérité que ceux que me prêtent ces hommes de lettres, qui, donnant tout à la réputation, jugent de mes sentiments par les leurs. J'ai un cœur trop sensible à d'autres attachements pour l'être si fort à l'opinion publique; j'aime trop mon plaisir et mon indépendance pour être esclave de la vanité au point qu'ils le supposent. Celui pour qui la fortune et l'espoir de parvenir ne balança jamais un rendez-vous ou un souper agréable ne doit pas naturellement sacrifier son bonheur au désir de faire parler de lui, et il n'est point du tout croyable qu'un homme qui se sent quelque talent et qui tarde jusqu'à quarante ans à se faire connaître soit assez fou pour aller s'ennuyer le reste de ses jours dans un désert, uniquement pour acquérir la réputation d'un misanthrope.

 

Mais, Monsieur, quoique je haïsse souverainement l'injustice et la méchanceté, cette passion n'est pas assez dominante pour me déterminer seule à fuir la société des hommes, si j'avais en les quittant quelque grand sacrifice à faire. Non, mon motif est moins noble et plus près de moi. Je suis né avec un amour naturel pour la solitude qui n'a fait qu'augmenter à mesure que j'ai mieux connu les hommes. Je trouve mieux mon compte avec les êtres chimériques que je rassemble autour de moi qu'avec ceux que je vois dans le monde, et la société dont mon imagination fait les frais dans ma retraite achève de me dégoûter de toutes celles que j'ai quittées. Vous me supposez malheureux et consumé de mélancolie. Oh ! Monsieur, combien vous vous trompez ! C'est à Paris que je l'étais; c'est à Paris qu'une bile noire rongeait mon cœur, et l'amertume de cette bile ne se fait que trop sentir dans tous les écrits que j'ai publiés tant que j'y suis resté. Mais, Monsieur, comparez ces écrits avec ceux que j'ai faits dans ma solitude : ou je suis trompé, ou vous sentirez dans ces derniers une certaine sérénité d'âme qui ne se joue point et sur laquelle on peut porter un jugement certain de l'état intérieur de l'auteur. L'extrême agitation que je viens d'éprouver vous a pu faire porter un jugement contraire; mais il est facile à voir que cette agitation n'a point son principe dans ma situation actuelle, mais dans une imagination déréglée, prête à s'effaroucher sur tout et à porter tout à l'extrême. Des succès continus m’ont rendu sensible à la gloire, et il n'y a point d'homme ayant quelque hauteur d'âme et quelque vertu qui pût penser sans le plus mortel désespoir qu'après sa mort on substituerait sous son nom à un ouvrage utile un ouvrage pernicieux, capable de déshonorer sa mémoire et de faire beaucoup de mal. Il se peut qu'un tel bouleversement ait accéléré le progrès de mes maux; mais dans la supposition qu'un tel accès de folie m'eût pris à Paris, il n'est point sûr que ma propre volonté n'eût pas épargné le reste de l'ouvrage à la nature.

 

Longtemps je me suis abusé moi-même sur la cause de cet invincible dégoût que j'ai toujours éprouvé dans le commerce des hommes; je l'attribuais au chagrin de n'avoir pas l'esprit assez présent pour montrer dans la conversation le peu que j'en ai, et, par contre-coup, à celui de ne pas occuper dans le monde la place que j'y croyais mériter. Mais quand, après avoir barbouillé du papier, j'étais bien sûr, même en disant des sottises, de n'être pas pris pour un sot, quand je me suis vu recherché de tout le monde, et honoré de beaucoup plus de considération que ma ridicule vanité n'en eût osé prétendre, et que malgré cela j'ai senti ce même dégoût plus augmenté que diminué, j'ai conclu qu'il venait d'une autre cause, et que ces espèces de jouissances n'étaient point celles qu'il me fallait.

 

Quelle est donc enfin cette cause? Elle n'est autre que cet indomptable esprit de liberté que rien n'a pu vaincre, et devant lequel les honneurs, la fortune et la réputation même ne me sont rien. Il est certain que cet esprit de liberté me vient moins d'orgueil que de paresse; mais cette paresse est incroyable; tout l'effarouche; les moindres devoirs de la vie civile lui sont insupportables. Un mot à dire, une lettre à écrire, une visite à faire, dès qu'il le faut, sont pour moi des supplices. Voilà pourquoi, quoique le commerce ordinaire des hommes me soit odieux, l'intime amitié m'est st chère, parce qu'il n'y a plus de devoirs pour elle. On suit son cœur et tout est fait. Voilà encore pourquoi j'ai toujours tant redouté les bienfaits. Car tout bienfait exige reconnaissance; et je me sens le cœur ingrat par cela seul que la reconnaissance est un devoir. En un mot, l'espèce de bonheur qu'il me faut n'est pas tant de faire ce que je veux que de ne pas faire ce que je ne veux pas. La vie active n'a rien qui me tente, je consentirais cent fois plutôt à ne jamais rien faire qu'à faire quelque chose malgré mol; et j'ai cent fois pensé que je n'aurais pas vécu trop malheureux à la Bastille, n'y étant tenu à rien du tout qu'à rester là.

 

J'ai cependant fait dans ma jeunesse quelques efforts pour parvenir. Mais ces efforts n'ont jamais eu pour but que la retraite et le repos dans ma vieillesse, et comme ils n'ont été que par secousse, comme ceux d'un paresseux, ils n'ont jamais eu le moindre succès. Quand les maux sont venus, ils m'ont fourni un beau prétexte pour me livrer à ma passion dominante. Trouvant que c'était une folie de me tourmenter pour un âge auquel je ne parviendrais pas, j'ai tout planté là et je me suis dépêché de jouir. Voilà, Monsieur, je vous le jure, la véritable cause de cette retraite à laquelle nos gens de lettres ont été chercher des motifs d’ostentation qui supposent une constance ou plutôt une obstination à tenir à ce qui me coûte, directement contraire à mon caractère naturel.

 

Vous me direz, Monsieur, que cette indolence supposée s'accorde mal avec les écrits que j'ai composés depuis dix ans, et avec ce désir de gloire qui a dû m'exciter à les publier. Voilà une objection à résoudre qui m'oblige à prolonger ma lettre, et qui, par conséquent, me force à la finir. J'y reviendrai, Monsieur, si mon ton familier ne vous déplaît pas, car dans l'épanchement de mon cœur je n'en saurais prendre un autre. Je me peindrai sans fard et sans modestie, je me montrerai à vous tel que je me vois, et tel que je suis, car, passant ma vie avec moi, je dois me connaître, et je vois par la manière dont ceux qui pensent me connaître interprètent mes actions et ma conduite qu'ils n'y connaissent rien. Personne au monde ne me connaît que moi seul. Vous en jugerez quand j'aurai tout dit.

 

Ne me renvoyez point mes lettres, Monsieur, je vous supplie. Brûlez-les, parce qu'elles ne valent pas la peine d'être gardées, mais non pas par égard pour moi. Ne songez pas non plus, de grâce, à retirer celles qui sont entre les mains de Duchesne. S'il fallait effacer dans le monde les traces de toutes mes folies, il y aurait trop de lettres à retirer, et je ne remuerais pas le bout du doigt pour cela. A charge et à décharge, je ne crains point d'être vu tel que je suis. Je connais mes grands défauts, et je sens vivement tous mes vices. Avec tout cela je mourrai plein d'espoir dans le Dieu Suprême, et très persuadé que, de tous les hommes que j'ai connus en ma vie, aucun ne fut meilleur que moi.

 

 

Deuxième lettre (12 janvier 1762).
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Deuxième lettre à M. de Malesherbes

A Montmorency, le 12 janvier 1762

 

Je continue, Monsieur, à vous rendre compte de moi, puisque j’ai commencé; car ce qui peut m'être le plus défavorable est d'être connu à demi; et puisque mes fautes ne m'ont point ôté votre estime, je ne présume pas que ma franchise me la doive ôter.

 

Une âme paresseuse qui s'effraye de tout soin, un tempérament ardent, bilieux, facile à s'affecter et sensible à l'excès à tout ce qui l'affecte semblent ne pouvoir s'allier dans le même caractère, et ces deux contraires composent pourtant le fond du mien. Quoique je ne puisse résoudre cette opposition par des principes, elle existe pourtant, je la sens, rien n'est plus certain, et j'en puis du moins donner par les faits une espèce d'historique qui peut servir à la concevoir. J'ai eu plus d'activité dans l'enfance, mais jamais comme un autre enfant. Cet ennui de tout m'a de bonne heure jeté dans la lecture. A six ans Plutarque me tombe sous la main, à huit je le savais par cœur; j'avais lu tous les romans, ils m'avaient fait verser des seaux de larmes avant l'âge où le cœur prend intérêt aux romans. De là se forma dans le mien ce goût héroïque et romanesque qui n'a fait qu'augmenter jusqu'à présent, et qui acheva de me dégoûter de tout, hors de ce qui ressemblait à mes folies. Dans ma jeunesse que je croyais trouver dans le monde les mêmes gens que j'avais connus dans mes livres, je me livrais sans réserve à quiconque savait m'en imposer par un certain jargon dont j'ai toujours été la dupe. J'étais actif parce que j'étais fou, à mesure que j'étais détrompé je changeais de goûts, d'attachements, de projets, et dans tous ces changements je perdais toujours ma peine et mon temps parce que je cherchais toujours ce qui n'était point. En devenant plus expérimenté j'ai perdu à peu près l'espoir de le trouver, et par conséquent le zèle de le chercher. Aigri par les injustices que j'avais éprouvées, par celles dont j'avais été le témoin, souvent affligé du désordre où l'exemple et la force des choses m'avaient entraîné moi-même, j'ai pris en mépris mon siècle et mes contemporains; et sentant que je ne trouverais point au milieu d'eux une situation qui pût contenter mon coeur, je l'ai peu à peu détaché de la société des hommes, et je m'en suis fait une autre dans mon imagination, laquelle m'a d'autant plus charmé que je la pouvais cultiver sans peine, sans risque et la trouver toujours sûre et telle qu'il me la fallait.

 

Après avoir passé quarante ans de ma vie ainsi mécontent de moi-même et des autres, je cherchais inutilement à rompre les liens qui me tenaient attaché à cette société que j'estimais si peu, et qui m'enchaînaient aux occupations le moins de mon goût par des besoins que j'estimais ceux de la nature, et qui n'étaient que ceux de l'opinion. Tout à coup un heureux hasard vint m'éclairer sur ce que j'avais à faire pour moi-même, et à penser de mes semblables sur lesquels mon cœur était sans cesse en contradiction avec mon esprit, et que je me sentais encore porté à aimer avec tant de raisons de les haïr. Je voudrais, Monsieur, vous pouvoir peindre ce moment qui a fait dans ma vie une si singulière époque et qui me sera toujours présent quand je vivrais éternellement.

 

J'allais voir Diderot, alors prisonnier à Vincennes; j'avais dans ma poche un Mercure de France que je me mis à feuilleter le long du chemin. Je tombe sur la question de l'Académie de Dijon qui a donné lieu à mon premier écrit. Si jamais quelque chose a ressemblé à une inspiration subite, c'est le mouvement qui se fit en moi à cette lecture; tout à coup je me sens l'esprit ébloui de mille lumières; des foules d'idées vives s'y présentèrent à la fois avec une force et une confusion qui me jeta dans un trouble inexprimable; je sens ma tête prise par un étourdissement semblable à l'ivresse. Une violente palpitation m'oppresse, soulève ma poitrine; ne pouvant plus respirer en marchant, je me laisse tomber sous un des arbres de l'avenue, et j'y passe une demi-heure dans une telle agitation qu'en me relevant j'aperçois tout le devant de ma veste mouillé de mes larmes sans avoir senti que j'en répandais. Oh ! Monsieur, si j'avais jamais pu écrire le quart de ce que j'ai vu et senti sous cet arbre, avec quelle clarté j'aurais fait voir toutes les contradictions du système social, avec quelle force j'aurais exposé tous les abus de nos institutions, avec quelle simplicité j'aurais démontré que l'homme est bon naturellement et que c'est par ces institutions seules que les hommes deviennent méchants ! Tout ce que j'ai pu retenir de ces foules de grandes vérités qui dans un quart d'heure m'illuminèrent sous cet arbre, a été bien faiblement épars dans les trois principaux de mes écrits, savoir ce premier Discours, celui sur l'Inégalité et le Traité de l'éducation, lesquels trois ouvrages sont inséparables et forment ensemble un même tout. Tout le reste a été perdu, e:t il n'y eut d'écrit sur le lieu même que la Prosopopée de Fabricius. Voilà comment, lorsque j'y pensais le moins, je devins auteur presque malgré moi. Il est aisé de concevoir comment l'attrait d'un premier succès et les critiques des barbouilleurs me jetèrent tout de bon dans la carrière. Avais-je quelque vrai talent pour écrire ? Je ne sais. Une vive persuasion m'a toujours tenu lieu d'éloquence, et j'ai toujours écrit lâchement et mal quand je n'ai pas été fortement persuadé. Ainsi c'est peut-être un retour caché d'amour-propre qui m'a fait choisir et mériter ma devise, et m'a si passionnément attaché à la vérité, ou à tout ce que j'ai pris pour elle. Si je n’avais écrit que pour écrire, je suis convaincu qu'on ne m’aurait jamais lu.

 

Après avoir découvert ou cru découvrir dans les fausses opinions des hommes la source de leurs misères et de leur méchanceté, je sentis qu'il n'y avait que ces mêmes opinions qui m'eussent rendu malheureux moi-même, et que mes mai1x et mes vices me venaient bien plus de ma situation que de moi-même. Dans le même temps, une maladie dont j'avais dès l'enfance senti les premières atteintes s'étant déclarée absolument incurable malgré toutes les promesses des faux guérisseurs dont je n'ai pas été longtemps la dupe, je jugeai que, si je voulais être conséquent et secouer une fois de dessus mes épaules le pesant joug de l'opinion, je n'avais pas un moment à perdre. Je pris brusquement mon parti avec assez de courage, et je l'ai assez bien soutenu jusqu'ici, avec une fermeté dont moi seul peux sentir le prix, parce qu'il n'y a que moi seul qui sache quels obstacles j'ai eus et j'ai encore tous les jours à combattre pour me maintenir sans cesse contre le courant. Je sens pourtant bien que depuis dix ans j'ai un peu dérivé, mais si j'estimais seulement en avoir encore quatre à vivre, on me verrait donner une deuxième secousse et remonter tout au moins à mon premier niveau pour n'en plus guère redescendre. Car toutes les grandes épreuves sont faites et il est désormais démontré pour moi par l'expérience que l'état où je me suis mis est le seul où l'homme puisse vivre bon et heureux, puisqu'il est le plus indépendant de tous, et le seul où on ne se trouve jamais pour son propre avantage dans la nécessité de nuire à autrui.

 

J'avoue que le nom que m'ont fait mes écrits a beaucoup facilité l'exécution du parti que j'ai pris. Il faut être cru bon auteur pour se faire impunément mauvais copiste et ne pas manquer de travail pour cela. Sans ce premier titre, on m'eût pu trop prendre au mot sur l'autre, et peut-être cela m'aurait-il mortifié: car je brave aisément le ridicule, mais je ne supporterais pas si bien le mépris. Mais si quelque réputation me donne à cet égard un peu d'avantage, il est bien compensé par tous les inconvénients attachés à cette même réputation, quand on n'en veut point être esclave, et qu'on veut vivre isolé et indépendant. Ce sont ces inconvénients en partie qui m'ont chassé de Paris, et qui, me poursuivant encore dans mon asile, me chasseraient très certainement plus loin pour peu que ma santé vînt à se raffermir. Un autre de mes fléaux dans cette grande ville était ces foules de prétendus amis qui s'étaient emparés de moi, et qui, jugeant de mon cœur par les leurs, voulaient absolument me rendre heureux à leur mode et non pas à la mienne. Au désespoir de ma retraite, ils m'y ont poursuivi pour m'en tirer. Je n'ai pu m'y maintenir sans tout rompre. Je ne suis vraiment libre que depuis ce temps-là.

 

Libre ! Non, je ne le suis point encore. Mes derniers écrits ne sont point encore imprimés, et, vu le déplorable état de ma pauvre machine, je n'espère plus survivre à l'impression du recueil de tous : mais si, contre mon attente, je puis aller jusque-là et prendre une fois congé du public, croyez, Monsieur, qu'alors je serai libre ou que jamais homme ne l'aura été. O utinam ! O jour trois fois heureux ! Non, il ne me sera pas donné de le voir.

 

Je n'ai pas tout dit, Monsieur, et vous aurez peut-être encore au moins une lettre à essuyer. Heureusement rien ne vous oblige de les lire, et peut-être y seriez-vous bien embarrassé. Mais pardonnez, de grâce; pour recopier ces longs fatras il faudrait les refaire et en vérité je n'en ai pas le courage. J'ai sûrement bien du plaisir à vous écrire, mais je n'en ai pas moins à me reposer et mon état ne me permet pas d'écrire longtemps de suite.

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켈젠,1920) <민주주의, 그 성격과 가치>

Livre - La Democratie ; Sa Nature, Sa Valeur

Hans Kelsen, Vom Wesen und Wert der Demokratie (1920, 2. Aufl. 1929)

La Democratie: Sa Nature, Sa Valeur [Vom Wesen und Wert der Demokratie (1920, 1929)], trad. Charles Eisenmann, preface de Philippe Raynaud, Dalloz, 2004 (Sirey, 1932), 122 p., 25€ [민주주의, 그 성격과 가치]
cf.) La notion d'Etat et la psychologie sociale: A propos de la théorie freudienne des foules [국가개념과 사회심리: 군중에 대한 프로이드 이론에 관하여] 
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/2042/15686/1/HERMES_1988_2_134.pdf 

 

[서평] Hans Kelsen, 1929,  <La démocratie, sa nature, sa valeur> / par Jérémie CHIRON-ESCALLIER

 

Le positivisme et la théorie politique

Dans l’une des nombreuses acceptations de ce terme, le « positivisme juridique » est une théorie du droit « volontariste », autrement dit une théorie qui définit le droit comme le seul droit « posé » par des actes de volonté humaine. Au contraire, tout ce qui se présente comme droit mais n’a pas été posé, le droit naturel par exemple, ne peut être considéré comme du droit. Pour reconnaître que les règles sont juridiques, le positivisme n’examine donc pas du tout leur contenu et il lui est tout à fait indifférent qu’elles soient conformes ou non à quelque idéal de justice.  

Une autre version de la thèse de l’incompatibilité entre la philosophie du droit et la théorie politique de Kelsen repose sur une conception différente du positivisme juridique. Selon cette conception, explicitement défendue celle-là par Kelsen, le positivisme juridique est d’abord une méthode d’approche du droit, la volonté de construire une véritable science, sur un modèle des sciences empiriques. Le juriste positiviste doit adopter un point de vue exclusivement descriptif et s’abstenir de toute prescription et de tout jugement de valeur (c’est en ce sens que la théorie doit être « pure »). De même, qu’il doit se borner à décrire ce qui est observable, il lui faut se limiter au droit positif, c’est-à-dire exclusivement au système des normes en vigueur, à l’exclusion des essences et des entités idéales. Le plaidoyer de Kelsen pour la démocratie constituent donc une double rupture avec le positivisme : d’une part, il consisterait nécessairement en jugements de valeur ; d’autre part, s’il porte sur « la nature » de la démocratie, il risque de se transformer en ce discours métaphysique, que le positivisme s’efforce précisément de combattre.  

On pourrait encore ajouter que, selon la version kelsenienne du positivisme juridique, la science doit se limiter à son objet, qui est le droit, et ne peut prétendre décrire ce qui ne se laisse pas appréhender par la méthode spécifique de cette science. Or, en s’aventurant sur le terrain de la politique, Kelsen se donne un objet, que sa théorie du droit ne lui donne aucun moyen d’étudier. La tentation est donc grande, y compris chez ses admirateurs, de considérer que Kelsen, dont les opinions politiques sont connues – il est très proche des sociaux-démocrates – est tout simplement sorti de son domaine d’activité scientifique pour écrire un livre militant, lorsque, au lendemain de la première guerre mondiale, la démocratie libérale faisait l’objet des attaques de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche. Il n’y a là évidemment rien de répréhensible, mais rien non plus qui puisse faire soupçonner que cette œuvre présente une véritable originalité.

 

Résolution du paradoxe 

Si le juriste, qui veut faire œuvre de science, doit s’abstenir de toute prescription, il doit évidemment s’interdire de prescrire l’obéissance à quelque régime que ce soit et ne peut se faire, comme on l’en soupçonne parfois, l’auxiliaire ou le fourrier des régimes autoritaires. Sa théorie politique et plus spécialement sa théorie de la démocratie présentent avec le positivisme des rapports très étroits. Elle n’est guère différente sur ce point de celle des néo-positivistes du Cercle de Vienne, qui cherchaient eux aussi à fonder leurs préférences politiques, notamment leur engagement en faveur du socialisme, sur leur programme philosophique : l’empirisme moderne et la théorie de la science pouvaient constituer des instruments d’émancipation des masses, parce qu’ils permettaient de détruire les bases métaphysiques et théologiques des doctrines conservatrices 

Comme le Cercle de Vienne, Kelsen établit un double lien : d’un côté entre « la conception métaphysico-absolutiste du monde et une attitude favorable à l’autocratie [de l’autre] entre une attitude favorable à la démocratie et la conception critique-relativiste du monde ». Si les valeurs ne sont que relatives, alors chaque homme a le droit de vivre conformément aux normes qu’il a lui-même contribué à poser. L’anti-cognitivisme et le relativisme éthique forment ainsi la justification du principe de « l’autonomie », qui se trouve à la racine de l’idée démocratique. Sur ce point – mais ce n’est pas le seul – Kelsen rejoint Rousseau, « le théoricien le plus considérable de la démocratie », qui place le fondement de ce système politique dans la liberté et non dans l’égalité.

1. 빨간밑줄 대충번역 // 반-인식(지식)론주의와 윤리적 상대주의가 민주주의 이념의 근간인 "자율"의 원칙을 정당화 한다. 바로 이 지점에서 -이게 유일한 지점은 아니지만- 켈젠은, "민주주의에 대해 가장 중요한 이론가"이고 평등이 아니라 자유에 이 정치시스템의 기초를 놓은 루소와 결합 한다. [이렇게 루소는 많은 이들의 생각과는 달리 평등만이 아니라 자유에 기초하여 민주주의를 구상했고, 이런 루소의 민주주의에 대한 고려를 켈젠은 원용하는데, 그들이 말하는 자율의 원칙은 비종속, 비굴종의 다른 말이 아닐테고, 이런 자율성에 의거할 때 가치라는 것은 각자가 스스로에게 부여하는(상대적인) 것이므로 민주주의의 잣대로 삼기에는 부족한 구석이 있고, 고로 켈젠은 "법실증주의"(positivisme juridique)를 주창하는 것이겠다.]

2. 그리고 아래 문단 // 그러므로 자유이념과의 관계에서 봤을 때, 평등이념은 민주주의 이론에서 단지 형식적이고 부수적인 역할만을 수행한다. 평등이념은 '모든 사람은 평등하게 자유로워야 한다' 는 사실만을 의미한다. 민주주의가 평등이나 사회정의와 아무런 관계가 없다는 증거는, 이것들이 독재-전제적 정체에 의해서도 똑같이 잘 실행될 수도 있다는 사실에서 찾아진다.

Démocratie et liberté 

L’idée d’égalité ne joue donc dans la théorie démocratique qu’un rôle formel et secondaire par rapport à celle de liberté : elle signifie seulement que tous doivent être également libres. La preuve que la démocratie n’a rien à voir avec l’égalité ou la justice sociale, c’est que celles-ci pourraient aussi bien être réalisées par des régimes autoritaires 

L’idée de liberté, elle conduit directement au principe majoritaire. A la racine de l’idée démocratique, il y a ce postulat de notre raison pratique, la « protestation contre le tourment de l’hétéronomie » : les individus, ou tout au moins le plus grand nombre possible, doivent être autonomes, soumis à des normes qu’ils ont eux-mêmes posées. Cette idée constitue d’ailleurs un argument très fort contre l’exigence de l’unanimité ou même simplement d’une majorité qualifiée parce que dans tel système, une minorité est capable de s’opposer à la volonté de changement de la majorité. Le principe majoritaire doit donc se comprendre comme principe de décision de la majorité absolue.

 

Le Parlement 

En effet, écrit-il, « on ne saurait douter sérieusement que le parlementarisme soit aujourd’hui la seule forme véritable de réalisation de l’idée démocratique ». Selon cette théorie, le droit est un système de normes hiérarchisées. A chaque niveau les normes sont valides si elles sont produites selon les procédures et avec un contenu prescrit par des normes encore supérieures. Celles-ci sont elles-mêmes valides si elles sont conformes à des normes elles-mêmes supérieures. Chaque norme apparaît ainsi comme la concrétisation d’une autre norme, plus générale et d’un niveau plus élevé. De ce point de vue, le seul problème de l’organisation politique est celui de la production des normes générales, qu’on appelle des lois.  

L’existence d’un Parlement ne se justifie donc pas du tout par l’idée qu’il « représenterait le peuple » - Kelsen rejoint ici tous ceux qui dénoncent le caractère fictif de la représentation – mais par une nécessité fonctionnelle. L’Etat, autre fiction, n’est d’ailleurs que le nom que l’on donne à l’ordre juridique lorsqu’on veut l’hypostasier et l’on appelle « volonté étatique » l’ensemble du procès de formation des normes juridiques, des normes générales et abstraites aux normes individuelles et concrètes. Un autre argument en faveur du parlementarisme est lié au principe majoritaire, dont le jeu au sein d’un Parlement a pour conséquence, non pas comme on le pense généralement, la domination du plus grand nombre sur le plus petit, mais l’influence réciproque de la minorité sur la majorité. C’est qu’une dictature de la majorité sur la minorité serait à la longue impossible, car une minorité dépourvue de toute influence finirait par renoncer à une participation purement formelle, « enlevant par là même à la majorité – laquelle suppose par définition une minorité – son caractère de majorité ». La véritable signification du principe majoritaire est donc qu’il incite aux compromis.  

Au contraire, Kelsen, est résolument partisan de la représentation proportionnelle. Le principal argument découle du principe d’autonomie ou de liberté : « De même que je ne veux obéir qu’à une loi à l’établissement de laquelle j’ai contribué, de même je ne peux reconnaître comme mon représentant dans la formation de la volonté étatique… que quelqu’un qui a été désigné comme tel par moi, et non contre ma volonté ». Or, un Parlement élu à la représentation proportionnelle, l’a été « par les voix de tous et contre les voix de personne, c’est-à-dire à l’unanimité ». Et s’il encourage la fragmentation des partis et la création de petites formations, il ne faut pas y voir un mal social, mais au contraire un progrès, parce qu’il résultera que des coalitions seront nécessaires et que toute décision sera le fruit d’un compromis.  

A ce point, Kelsen entre dans le détail d’un programme très hardi de réforme constitutionnelle : référendum, y compris sur initiative populaire, dissolution automatique du Parlement en cas de rejet par les électeurs d’un projet de loi préparé par lui ; contrôle des élus par les électeurs et suppression de l’immunité parlementaire. Les propositions les plus originales sont celles qui concernent les partis politiques. Il tire toutes les conséquences du principe, qu’il préconise, de l’élection des députés à la représentation proportionnelle. Comme dans un tel système, les électeurs choisissent des programmes et des partis, dont les parlementaires ne sont que les délégués, il faut que les partis puissent contrôler les députés et les révoquer. Kelsen va même jusqu’à envisager de permettre aux partis de déléguer au Parlement en qualité de députés des individus en nombre proportionnel au nombre de voies obtenues, qu’ils changeront selon la nature des lois à discuter, de manière à ce qu’ils soient représentés à chaque fois par des spécialistes compétents et –aurait-il pu ajouter – dociles.

 

L’exécution 

C’est à ce point que cette théorie de la démocratie se heurte à une difficulté considérable, que la propre théorie du droit de Kelsen met en évidence : l’autonomie ne sera réalisée que si les normes auxquelles sont soumis les individus sont ou bien des normes générales qu’ils ont contribué à adopter ou bien des normes individuelles, produites par l’administration ou les tribunaux, mais qui ne sont que la concrétisation des premières. Or, il faut constater que l’exécutif, comme les juges, dispose d’un très large pouvoir discrétionnaire non seulement pour déterminer les normes individuelles, mais aussi pour établir des normes générales. En d’autres termes, la théorie kelsenienne de la démocratie découle bien de l’idée – qu’il soutenait initialement – que le droit est un ordre normatif statique. Elle est difficilement compatible avec l’idée, admise par Kelsen lui-même après 1950, au moment où il cesse d’écrire sur la démocratie, qu’il est un ordre essentiellement dynamique. (par Jérémie CHIRON-ESCALLIER)

Hans Kelsen (1881 à Prague~1973 à Californie) appartient au mouvement du positivisme juridique, qui est un courant dérivé du positivisme fondé par Auguste Comte. Sa pensée est fortement influencée par Kant et Hume.

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개인주의 & 자유주의 (김지석 서평)

기독교-개인주의-자유주의 / 과학-성장-낙관주의

 

"(...) 서구문명의 핵심은 무엇이며 그것은 얼마나 큰 잠재력을 갖는가 (...). 다른 문명과 구별되는 서구의 정체성은 기독교, 낙관주의, 과학, 성장, 자유주의, 개인주의 등 독특한 여섯 가지 사상의 공동 경험에서 찾을 수 있다고 <서구의 자멸>(아래 참조)은 말한다. 이 가운데 개인주의와 자유주의가 가장 중요하다. 모든 개인에게 개성과 깊은 내면, 확고한 자아가 있다는 생각은 서구 정체성을 이루는 기본 요소다. 개인주의의 상승은 기독교에서부터 르네상스, 종교개혁, 현대 경제·사회의 성장에 이르기까지 서구 역사를 관통하는 모티프다. 기독교는 개인의 헌신을 요구하고 개인 책임을 물은 첫 종교라고 한다. 기독교가 보편화시킨 영혼이라는 개념은 세속화해 자아 개념이 됐으며, 이는 노력·자기개발·자기책임 등 개인주의 핵심 요소와 밀접하게 연관된다. 개인주의를 사회적 차원에서 실현하는 유력한 방법이 민주주의에 기초한 자유주의다. 이런 사회는 종교의 자유, 양심, 관용, 협동력, 자신의 행동에 책임을 지려는 시민들의 의지 등을 특징으로 갖는다. 자유주의가 그냥 생겨난 건 아니다. 어느 정도 교육 수준과 독창력, 독립심을 갖춘 자유롭고 자치적인 시민은 자유주의 사회의 결과물이라기보다 전제조건이다. 또한 자유주의는 그에 걸맞은 경제·정치 체제를 요구한다. 과학·성장·낙관주의는 개인주의와 자유주의가 만들어낸 찬란한 승리다. 처음에는 성장이 과학을 이끌어내는 데 도움을 줬으나 지난 3세기 동안은 과학이 성장의 주된 요인 가운데 하나였다. 18~19세기에는 서구의 과학적 주도권이 경제 주도권으로 이어졌고, 경제성장은 낙관주의자들의 힘을 키웠다. 계몽사상가들은 개인의 자율성과 진보를 옹호하면서 낙관주의를 뒷받침했다.

 

하지만 개인주의·자유주의는 지금 위기에 처해 있다. 개인화한 사회는 공동체를 약화시키고 개인의 중압감을 증가시킨다. 한편으로는 사회의 분열, 사회자본과 공동체의식의 붕괴가 나타나고, 다른 한편으로는 개인의 책임과 근심이 엄청나게 높아진다. 서구의 자유주의도 도덕적 기반으로부터 분리, 공동체에 대한 헌신 약화, 열정 부족 등의 문제에 부닥치고 있다. 서구 문명이 앞날은 이런 문제점을 극복하고 개인주의·자유주의의 활력을 되살릴 수 있을지에 달렸다고 해도 지나치지 않다. 국가·종교 권력의 억압에 맞서는 해방의 이념으로 출발한 개인주의와 민주적 자유주의는 자신감과 신뢰, 평등과 솔선, 책임감을 기반으로 아래에서부터 솟아나는 문명을 형성하는 데 크게 기여했다. 서구의 위기는 개인주의와 자유주의의 이런 장점이 침식되고 보수적 성격이 강해졌음을 뜻한다. 그런데 우리 사회는 아직 개인주의·자유주의의 진보적 성격(*)을 충분히 맛보지 못한 상태다. 문명 패권의 향방을 가름할 중요한 열쇠의 하나가 여기에 있다." (김지석 논설위원, "보수화한 자유주의의 운명은"[일종의 서평], 기사등록 : 2009-03-20 오후 07:25:45 ⓒ 한겨레)

 

(*독자註) "개인주의·자유주의"를 아직 우리가 제대로 체험하지 못한 것은 맞지만, 그것이 어떻게 바로 "진보적 성격"이 되는지는 이해하기가 어렵다. 아마도 우리가 못 가진 서구적인 것은 다 '진보적'일지도 모른다는 무의식적 발상이 낳은 실언이 아닐런지... 물론 여기서 또 '진보'의 개념에 대한 왈가왈부가 필요한 시점인데, 거듭 말하지만 진보란 '진보=좌파이념'이지 '전진하는(개혁) 우파'의 그것까지를 말하는 것은 아니다. 그렇다고 좌파가 '개인'과 '자유'를 말살하고자 하는 이념이라는 것이 아니라, 그동안 우리가 익숙해져 있는 '개인주의'와 '자유주의'는 우파-자본주의에 충실히 복무해 온 가면 쓴(거짓으로-빈말로 위장한) '주의'일 뿐이고, 진짜 "개인주의·자유주의"는 좌파와 통하는 것이라는 이해에 기초한다면, 상기 발언이 아주 틀린 것은 아니겠다. 부연하자면, 원래가 "개인주의·자유주의"는 인간의 가치와 존엄을 중세적 종교와 지배의 틀로 족쇄 채운 기존의 시스템으로부터의 '해방'을 의미한다. 그런데 그 해방을 낳은 개인과 자유에 대한 존중의 이념이 다시 인간을 자본주의의 틀에 묶어버리는 과업에 복무했으니, 여기서 개인과 자유에 대한 왜곡이 있었다는 말이다. 고로, 다시 '해방'이 필요한 시점이라는 것, 개인과 자유에 대한 재 점검이 필요하다는 것.

 

서구의 자멸 | 원제 Suicide Of The West 
리처드 코치, 크리스 스미스 (지은이), 채은진 (옮긴이), 말글빛냄, 2009-01-02, 양장본 317쪽, 15000원
Richard Koch &, Suicide of the West (Paperback), Continuum Intl Pub Group, 2007-ix.

 

여섯 가지 키워드 [출판사 책소개 -약간 우습지만-]

 

1. 크리스트교 : 서구의 성공과 부절제, 실패에 있어서 크리스트교만큼 중요한 요인도 없다. 크리스트교는 고대 세계를 세우고 천상과 지상의 관계를 변화시켰으며 현재까지 서구인의 생활양식과 인격을 정의하는데 커다란 영향을 끼쳤다. 크리스트교는 세계 최초의 개인화되고 행동주의적인 자기수양 운동이었다. 모든 서구인들이 크리스트교도나 불가지론자, 무신론자 심지어 다른 종교 신자들도 비서구인들과 다르게 세상을 보고 행동하는 주된 이유가 바로 이것이다. 또한 이는 서구가 지구상의 다른 40∼50개 문명보다 성공한 이유이기도 하다. 크리스트교는 몇 가지 행동효과를 남겼다. 1)개인의 책임, 2)그리스도의 힘을 통한 변화, 3)약자에 대한 원조, 4)저주받은 이들의 구원 또한 변화와 개혁을 불러일으켰다. 그러나 근세기 들어 “신은 죽었다”는 사상이 출현했으며 크리스트교 내의 분열은 오늘날 서구에서 일어나고 있는 모든 분열의 축도라고 볼 수 있다. 초기 크리스트교의 자유로운 정신, 내적 자아라는 개념의 도입, 개별화와 권력에 대한 거부와 개인 관계에서의 사랑을 강조하는 태도, 학대받는 이들에 대한 연민과 평등 요구, 자기수양과 자기개선 장려 등은 서구 전체에 큰 영향을 미쳤다. 그러나 20세기에 들어 서구를 분열시키고 나아가 세계를 분열시켰다. 그리하여 내부에 더욱 강하게 존재하는 위협으로 남아 있다.

 

2,3,4: 낙관주의, 과학, 성장 [생략]

 

5. 자유주의 : 모든 서구사회는 자유주의 원칙과 제도에 따라 구성되어 있다. 비서구사회에서는 이런 경우를 찾아보기가 힘들다. 서구사회가 자유주의적인 것은 정말 다행스러운 일이며, 자유주의는 서구의 고유 역사 속에 깊이 뿌리내리고 있다. 자유주의 사회는 민주적일 뿐만 아니라 자유정신과 공평함, 모든 시민에 대한 존중이 있는 사회다. 자유주의 문명은 다른 문명에 비해 인간 생명의 신성과 존엄, 모든 구성원의 교육, 기회의 균등, 개인의 자유, 과학과 예술 장려, 모든 인류동포의 본질적 평등을 훨씬 더 중요시한다. 이처럼 서구 자유주의 문명은 다른 문명에 비해 훨씬 큰 이익을 시민들에게 제공해준다. 20세기에 서구 자유주의는 서로 경쟁하는 세 가지 이데올로기(민족주의, 파시즘, 공산주의)의 도전으로 거의 사멸할 뻔했다. 현재 자유주의에 대한 외부의 위협들 -이슬람 혁명주의와 수많은 형태의 테러리즘- 은 서구에서 대중적인 호소력을 거의 지니고 있지 못하며 군사적으로도 약하다. 그러나 자유주의 문명은 그 성공과 외부의 적의 약세에도 불구하고 무시무시한 위협을 받고 있다. 가장 심각한 위험들은 모두 자유주의 문명이 자초한 것이다. 20세기 자유주의 어젠다가 서구 시민들의 안전과 복지, 자유를 놀랍도록 효과적으로 증가시켜주었지만 현재 자유주의는 과거에 비해 훨씬 인정받지 못하고 있다. 지속적인 실천과 개선이 필요한 것이다.

 

6. 개인주의 : 서구의 중심적 특징은 개인주의다. 개인주의는 크리스트교에서부터 르네상스, 종교개혁, 현대경제 및 현대사회의 성장에 이르기까지 서구 역사를 관통하는 모티프다. 서구의 개인주의와 비슷한 뿌리는 다른 어떤 문명에서도 찾아볼 수 없다. 개인화된 사회의 문제는, 공동체를 약화시키고 개인의 중압감을 증가시킨다는 것이다. 전통적이고 중앙집권화된 사회는 제도와 권력 관계, 뚜렷한 역할, 다양한 형태의 공동체 정체성을 통해 움직인다. 개인화된 사회는 전혀 다르다. 사회가 개인화되고 우리가 가족, 친구, 이웃, 클럽, 교회, 조합, 공동체집단 등과 단절될수록 ‘사회 자본’이 어떻게 파괴되는지를 보여준다. 정신적 건강과 경제적 성공의 중요한 요소인 신뢰는 우리가 서로에게 낯선 사람이 되어갈수록 붕괴된다. 개인화된 사회는 자유를 가져다주기도 하지만 예전에는 지시되거나 자동으로 결정되던 어려운 선택을 우리에게 요구하기도 한다. 개인주의는 서구의 성공에 있어서 중요한 요소였고 지금은 어느 때보다도 그렇다. 개인주의는 서구의 도덕적 가치관과 낙관주의, 과학, 정치적 안정, 경제적 성장을 뒷받침하고 있다. 그러나 개인주의의 위험요소들은 지나치게 과장되어 있다. 계급사회에서 개인화된 사회로 변화하는 과정에서 개개인은 개인적인 상호관계와 지역공동체를 형성할 수 있고 실제로 그렇게 하고 있다. 계급사회의 종말이 개인적 성공에 대한 피해의식과 냉소주의로 귀결된다면 서구는 더 이상 서구로서 존재할 수 없게 된다.

 

세계의 미국화 : 세계의 평화와 번영을 위해 미국의 활발한 국제적 지휘와 개입이 더 필요한가? 전 세계의 맥도널드화가 더 필요한가에 대해서는 논란의 여지가 많다. 때때로 세계의 미국화는 많은 사람들의 칭송을 받을 만한 방식으로 사용되기도 한다. 예를 들면 보스니아 사람들을 집단학살로부터 구하기 위해 개입한 경우가 그렇다. 그러나 세계의 미국화는 인도주의적인 중재 수준을 훨씬 넘어서는 것이다. 세계은행, GATT, IMF 등 미국이 주도하는 수십 개의 국제기구들이 그리는 것은 대체로 미국의 양식을 따르는 경제적·정치적·인도주의적 세계 질서다. 미국은 세계의 미국화를 위한 기반과 힘을 가지고 있다. 세계의 완전한 미국화가 어떻게 이루어질 수 있는지는 쉽게 알 수 있다. 미국의 경제적·문화적 영향력이 계속해서 널리 퍼져나간다고 생각해보라. 필연적으로 강자에게 유리한 자유무역이 전 세계에 보편화된다고 생각해보라. 군사적·과학적·경제적 주도권을 바탕으로 미국은 새롭고 영속적인 문명을 이루게 될 것이다. 미국은 제국주의 로마만큼이나 무자비하게 세계의 대부분 혹은 전체를 지배하게 될 것이다.

 

자멸은 불가피한가? : 지난 2세기 사이 서구문명은 다른 어떤 문명도 이루지 못한 것을 이루었다. 바로 풍요로운 사회와 문화다. 생활수준이 향상되어 모든 세대가 그 부모 세대보다 풍요로운 생활수준을 기대할 수 있게 되었다. 뿐만 아니라 그보다 훨씬 중요한 자유의 풍요도 이루게 되었다. 서구문명은 많은 것을 소망했고 많은 것을 이룩했다. 그러나 서구문명은 막대한 성공을 가져다준 사상을 이제 단념해버린 것일까? 서구문명은 스스로 만든 한계에 부딪혀 실패하고 말 것인가? 서구문명은 훨씬 덜 매력적인 문명으로 변하기 시작하여 머지않아 훨씬 덜 성공적인 문명이 되고 말 것인가? 서구문명은 지금 갈림길에 서 있다. 걸어가기가 좀 더 쉬운 한쪽 길을 따라 내려가면 냉소주의와 지독한 이기주의, 무관심, 권력의 재집중, 공격성 등이 놓여 있다. 이 길은 무정부주의에서부터 신파시즘, 환경 파괴, 새로운 미제국에 이르기까지 여러 가지 형태를 취할 수 있다. 이러한 형태들은 모두 서구문명을 종말로 인도할 것이다. 다른 한쪽 길을 따라 내려가면 용기의 회복, 서구인들 스스로와 서구 문화에 대한 확신, 미국 내와 유럽 내, 유럽과 미국 간, 다른 유럽인 정착지들과의 감정적 단결, 책임감 있는 수많은 개인들이 권력이나 맹목적인 전통 신념에 의해서가 아니라 개인의 노력, 낙관주의, 이성, 연민, 평등, 개인주의, 상호 동일성 등 스스로 발견하고 스스로 인정한 속성들을 통해 한데 뭉친 사회와 문명이 기다리고 있다. 이 길을 걷는 것은 그리 쉬운 일은 아니지만 이 여행을 위해서는 혁신적인 방향의 전환이 필요하다. 서구의 숙명은 모든 서구인들의 소망과 잠재력과 도덕성을 발휘함으로써, 그리고 인류를 매혹시킬 만한 모델을 제시함으로써 인도적이고 자유롭고 풍요로운 문명을 창조하는 것이다.

 


리처드 코치 (Richard Koch) - 기업가이자 투자가, 경영컨설턴트. 컨설팅, 개인업묵관리, 호텔에서 레스토랑과 주류사업, 변화관리 교육과 같은 다양한 분야의 사업을 하고 있다. 베인&컴퍼니(Bain&Company)의 창립 멤버이자 파트너였으며, 엘이케이컨설팅(LEK Consulting)을 공동 창립했다. 보스턴컨설팅그룹(Boston Consulting Group)의 컨설턴트로도 활동했다. 옥스퍼드 대학교를 졸업하고 펜실베이니아 대학교 와튼 경영대학원에서 경영학 석사학위를 받았다. 지은 책으로 , 등이 있으며 세계적인 베스트셀러 <80/20 법칙>의 저자다. 최근에는 영국의 전 문화부장관 크리스 스미스와 <서구의 자살(Suicide of the West)>을 공저했다. 필로팩스, 벨고, 플리머스 진, 캡스톤 등을 운영하며 기업가로도 큰 성공을 거두었다. 현재 룩셈부르크와 영국의 상장 벤처 캐피탈 회사 등을 포함한 몇 개 기업의 사외 이사로 재직하고 있으며 강의와 방송 활동도 활발히 하고 있다.
크리스 스미스 - 최근까지 영국 하원의원이었고 문화언론체육부 장관을 지냈다. 그는 케임브리지대학교 펨브로크 칼리지의 명예연구원으로, 여러 개의 주요 미술 단체를 이끌고 있다.
채은진 - 서울여자대학교 영문학과를 졸업하고 현재 전문번역가로 활동 중이다. 옮긴 책으로는 <다 빈치의 유산> <권력과 광기> <천재 파티시에, 프랑스 요리의 왕; 앙토넹 카렘 평전> <아인슈타인, 신이 선택한 인간> <누가 달을 만들었는가> <인류의 조상을 찾아서> <무엇이 우리를 인간이게 하는가> 등이 있다. 또한 <여성에게 물어라> <변호사처럼 설득하라> <그레이 매터스> <먹히는 말> 등을 공동 번역했다.

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L'individu contre l'Etat (Spencer,1885)[+Nozick,Bergson]

<국가에 대항하는 개인>*이라는 제목아래 스펜서의 1884년 아티클 네 개를 묶었다는데, 묶은 게 영어책이고 그것을 불어로 번역한 건지, 불어로 번역하면서 네 개를 묶어냈는지는 모르겠지만, 작년 말에 이런 책이 나왔다고 한다. 제목에서 보듯이 스펜서는 국가나 제국주의 등에 반대하는 자유주의의 개척자로서 역사 속에 자리잡고, 나중에 하이예크와 노직을 거치며 작금의 신자유주의를 탄생시키는 데 일조를 했겠고, 그 신자유주의가 작금의 위기에 처한 환경이 다시 이런 책을 환기시킨 모양이다.

책방의 소갯글을 보자니 흥미로운 게, -어쩌면 다 아는 사실이라 안 흥미로울지도- 스펜서는 다윈의 <종의 기원>이 나오기 10여년 전(1850년)에 벌써 '적자 생존 이론' 을 최초로 발전시켰다 함. 그리고 1903년에 죽은 스펜서의 무덤을 런던 하이게이트 묘지의 맑스 무덤 바로 맞은 편에 후세인들이 앉힌 모양인데, 아마도 공산주의와 자유주의가 갖는 대결의 지난한 지속을 상징하기 위함이려나...  이런 책 밖의 요소들을 고려한다면, 이 포스트의 제목과 내용을 '스펜서-다윈-맑스'로 묶을 수도 있겠으나, 여기서는 그러지 않고 '스펜서-하이예크-노직' 노선이 낳은 신자유주의의 맹아 관찰 정도로 키를 조정한다. 더불어 스펜서의 이론이 나중에는 베르크손의 이론과도 무슨 연관이 있는 모양인데, 이건 잘 모르는 만큼이나 궁금하고 흥미롭지만, 간단히 관련 논문이나 하나 훑어보는 정도로 만족해야겠다 (시간이 많지 않은니).

* '국가에 대항하는 개인'이라는 제목을 보니 당연히 <국가에 대항하는 사회>라는 클라스트르(Pierre Clastres)의 아주 훌륭한 1974년 책이 연상된다. 물론 제목만 비슷하지 '근본적' 지향과 성향은 다르겠지만...

 

L'INDIVIDU CONTRE L'ETAT, Herbert Spencer                                                  La société contre l'État

L'individu contre l'Etat (1885) / Herbert Spencer (Auteur)

Editeur : MANUCIUS (26 novembre 2008), 126p., 16 euro (Collection : Le Philosophe)


[책소개1] Herbert Spencer (1820-1903), philosophe, économiste et sociologue anglais fut l'un des premiers théoriciens du libéralisme. Il est aujourd hui presque oublié bien qu'il connût de son vivant une renommée internationale. Après la révolution russe et la Première Guerre mondiale, sa doctrine qualifiée à tort de «darwinisme social», très critiquée par les partisans de l état-providence, tombe peu à peu dans l'indifférence générale. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, ses théories sont redécouvertes par le prix Nobel d'économie, le néolibéral Friedrich Hayek. Aujourd hui Spencer est principalement connu pour ses essais politiques. Il est fréquemment cité par les penseurs libéraux comme Robert Nozick ou Milton Friedmann, et beaucoup de dirigeants politiques et économiques font référence à ses écrits pour légitimer les politiques de déréglementation ou de «réforme de l État».

Récupérée un peu rapidement par les tenants d un libéralisme débridé, la pensée d Herbert Spencer a été souvent caricaturée et mérite une lecture plus attentive. Le texte ici présenté rassemble quatre articles publiés initialement dans la «Contemporary Review» en 1884, aussitôt réunis par Spencer dans un recueil The Man versus the State [L individu contre l État] et complétés par une préface et un post-scriptum. Spencer y développe ses théories antiétatiques ébauchées dès 1842 dans ses lettres rassemblées dans The Proper Sphere of Government, et plaide pour un «État régalien» réduit aux fonctions de police, de justice, de diplomatie et à l armée. Dès sa publication, l'ouvrage fit scandale et provoqua une énorme polémique. À l heure où sont questionnés à nouveau et de manière aiguë, le rôle de l État et son intervention dans l'économie et la société, la pensée de Spencer trouve plus que jamais sa place dans le débat public.

Biographie de l'auteur / par Pierre Musso, professeur à l'université de Rennes 2, est l'auteur de nombreux ouvrages sur la communication, la politique et la philosophie saint-simonienne. Il dirige la collection Europe/Fondations aux éditions Manucius. (http://www.amazon.fr/Lindividu-contre-lEtat-Herbert-Spencer/dp/284578094X)

 

[책소개2] Herbert Spencer (1820-1903), philosophe, sociologue et économiste minarchiste anglais, extrêmement connu en son temps comme théoricien de l'évolutionnisme qu'il appliqua avant l'heure aux sociétés humaines. Il naît dans une famille de radicaux, dissidents de l'anglicanisme, et dont il hérita le refus de l'autorité sous toutes ses formes. Très jeune, il se passionne pour les questions politiques et fait campagne contre les lois protectionnistes sur les importations de céréales. A dix-sept ans, il s'oriente vers la profession d'ingénieur des chemins de fer, qu'il exerce entre 1837 et 1841. Il abandonne rapidement cette voie pour se tourner vers le journalisme alors qu'il a tout juste une vingtaine d'années. Collaborant à The Economist, il y rédige de nombreux articles entre 1848 et 1853 et commence à rédiger de nombreux ouvrages originaux, dont les Social Statics (1851), fortement inspirés par l'utilitarisme benthamien ou A Theory of Population (1852), où il conteste le catastrophisme de Thomas Malthus. Il rédige en 1855 ses Principles of Psychology dans lesquels il attaque les vues de John Stuart Mill. Son grand oeuvre consistera en l'élaboration des Principles of Sociology (dont la publication s'étalera de 1876 à 1897).

Toute sa vie, Spencer fut un ennemi de la guerre et de l'impérialisme, qui sont tous deux les expressions accomplies de l'étatisme. Il meurt en 1903. Son opposition au « monopole » de l'Église anglicane sur le « marché » de la religion lui vaut de ne pas être enterré dans la Cathédrale de Canterbury en raison de l'opposition de l'archevêque du lieu. Il est enterré dans le cimetière de Highgate, juste en face de la tombe de Karl Marx. Connu comme l'un des principaux défenseurs de la théorie de l'évolution au XIXe siècle, sa réputation à l'époque rivalisait avec celle de Charles Darwin (il est l'auteur de l'expression « sélection des plus aptes »). Il a été le premier à développer des positions évolutionnistes, dès 1850, soit une dizaine d'année avant la parution de L'Origine des espèces de Darwin. Spencer appliqua initialement ses théories évolutionnistes à des domaines comme la philosophie, la psychologie et la sociologie, dont il est reconnu comme l'un des fondateurs de la discipline. Sa théorie fut appelée postérieurement, et erronément, « darwinisme social ». Elle a été amplement commentée à l'époque par des auteurs comme John Stuart Mill, Nietzsche, Durkheim ou Bergson.

Herbert Spencer a été extrêmement populaire en son temps, aussi bien dans son pays que dans nombre d'autres pays du monde. Il conseilla l'empereur du Japon et ses livres étaient distribués dans les écoles françaises en récompense lors des cérémonies des prix. Georges Clémenceau se déplaça pour le voir en Grande Bretagne. Aujourd'hui il est surtout connu pour ses essais politiques, ceux-ci sont notamment cités par des penseurs libéraux comme Robert Nozick. L'individu contre l'état correspond à la publication de quatre articles, publiés d'abord dans la Contemporary Review des mois d'avril, mai, juin, juillet 1884, ajouté d'un post-scriptum pour, comme le précise son auteur : « répondre à certaines critiques et pour écarter certaines objections que, l'on ne manquera pas de faire ». Ces quatre articles ont pour titres respectifs : Le nouveau torysme, L'esclavage du futur, Les péchés des législateurs, La grande superstition politique. Spencer y développe ses théories antiétatiques. Selon lui : « l'accroissement de la liberté apparente sera suivi d'une diminution de la liberté réelle. (...). Des mesures dictatoriales, se multipliant rapidement, ont continuellement tendu à restreindre les libertés individuelles, et cela de deux manières : des réglementations ont été établies, chaque année en plus grand nombre, qui imposent une contrainte au citoyen là où ses actes étaient auparavant complètement libres, et le forcent à accomplir des actes qu'il pouvait auparavant accomplir ou ne pas accomplir, à volonté. En même temps des charges publiques, de plus en plus lourdes, surtout locales, ont restreint davantage sa liberté en diminuant cette portion de ses profits qu'il peut dépenser à sa guise, et en augmentant la portion qui lui est enlevée pour être dépensée selon le bon plaisir des agents publics. » Spencer est donc un défenseur de l'État minimal (réduit donc strictement au maintien de la sécurité intérieure et extérieure). Comme John Locke, il défend la contractualisation des relations entre individus et État. Pour lui, le gouvernement est un simple employé que chacun est libre de révoquer, sans que cela attente aux droits d'autrui. Spencer défend par ailleurs une philosophie de l'Histoire selon laquelle les sociétés industrielles (ouvertes, dynamiques, productives, reposant sur le contrat et la liberté individuelle) supplanteront progressivement les sociétés militaires (guerrières, hiérarchiques, figées, fermées sur elles-mêmes). Au final, l'État deviendra lui-même un élément archaïque et obsolète. On peut dire que Spencer est un minarchiste convaincu de la probabilité d'un avenir anarcho-capitaliste. L'individu contre l'état a été publié en France dès 1885 chez Félix Alcan, Éditeur. Les éditions Manucius se proposent de le rééditer aujourd'hui dans le cadre du programme au concours de l'agrégation de philosophie 2008 dont le thème général est celui de l'individu. (http://www.alapage.com/-/Fiche/Livres/9782845780941/l-individu-contre-l-etat-herbert-spencer.htm?donnee_appel=GOOGL)

 

 

[스펜서 개관 -wiki-] La philosophie, la psychologie et la sociologie
Herbert Spencer (Derby 27 avril 1820 - 8 décembre 1903) est un philosophe et sociologue anglais.

 

1/ Biographie
Issu d'une famille de radicaux, il fut très tôt intéressé par les questions politiques. C'est pourquoi il s'affilia à de nombreuses associations. Il devint ainsi membre de l'Anti-Corn Law League, fondée par Richard Cobden. S'il se fit connaître comme sociologue, il exerça cependant la profession d'ingénieur des chemins de fer. Collaborant à The Economist, il rédigea de nombreux ouvrages originaux, dont les Social Statics (1850), fort inspirés par l'utilitarisme benthamien, A Theory of Population (1852), où il contestait le catastrophisme de Thomas Malthus, ou encore ses Principles of Psychology (qu'il commença en 1855). Son grand œuvre consista en l'élaboration des Principles of Sociology (dont la publication s'étala de 1876 à 1897). Toute sa vie, Spencer fut un ennemi de la guerre et de l'impérialisme : c'est pourquoi il s'opposa à la guerre hispano-américaine de 1898 et qu'il tenta de fonder une Ligue contre l'agression.


2/ Darwinisme social
Connu comme l'un des principaux défenseurs de la théorie de l'évolution au XIXe siècle, sa réputation à l'époque rivalisait avec celle de Charles Darwin (il est l'auteur de l'expression "sélection des plus aptes"). Il a notamment étudié son extension à des domaines comme la philosophie, la psychologie et la sociologie, dont il est reconnu comme l'un des fondateurs de la discipline. Sa théorie fut appelée postérieurement, et erronément, "darwinisme social". Or Spencer est resté toute sa vie un disciple de Lamarck : il croyait en l'hérédité des caractères acquis. Appelée également "théorie organiciste" car Spencer considérait la société comme un organisme vivant ou une supra organisation, ses recherches visaient à découvrir les lois d'évolution de la société en se basant sur celles des espèces. Pour lui, la société passe en plusieurs étapes d'un stade primitif où tout est homogène et simple à un stade élaboré, caractérisé par la spécificité, la différenciation, l'hétérogénéité.


3/ Idées politiques
Aujourd'hui il est surtout connu pour ses essais politiques, ceux-ci sont notamment cités par des penseurs libéraux comme Robert Nozick. Son ouvrage le plus connu, Le Droit d'ignorer l'État, publié en 1850, formulation classique du droit de se passer des services de l'État et, donc, du droit de sécession individuelle qu'il légitime lorsque la puissance gouvernante abuse de son pouvoir. Spencer était alors un défenseur de l'État minimal (réduit donc strictement au maintien de la sécurité intérieure et extérieure, ainsi qu'il l'explique dès The Proper Sphere of Government en 1842). Comme John Locke, il défendait la contractualisation des relations entre individus et État. Pour lui, le gouvernement est un simple employé que chacun est libre de révoquer, sans que cela attente aux droits d'autrui. Il se tourna néanmoins petit à petit vers un libéralisme utilitariste de facture plus classique[1].

Spencer défend par ailleurs une philosophie de l'Histoire selon laquelle les sociétés industrielles (ouvertes, dynamiques, productives, reposant sur le contrat et la liberté individuelle) supplanteraient progressivement les sociétés de militaires (guerrières, hiérarchiques, holistes, figées, fermées sur elles-mêmes). Au final, l'État deviendrait lui-même un élément archaïque et obsolète. Selon l'opinion que développe Yvan Blot dans sa thèse de doctorat[2], Spencer est considéré comme un minarchiste convaincu de la probabilité d'un avenir anarcho-capitaliste. Gueorgui Plekhanov, dans son ouvrage Anarchisme et Socialisme, le considéra pour sa part comme un philosophe bourgeois et « anarchiste conservateur[3] »
[2↑ Herbert Spencer, un évolutionniste contre l'étatisme, Les Belles Lettres, 2007. 3↑ Anarchisme et Socialisme, Conclusion [archive*]

 

 

[스펜서 비판 / Plekhanov, 1895, <아나키즘과 사회주의>의 결론]

Anarchism and Socialism / G.V. Plekhanov

[Gueorgui Valentinovitch Plekhanov (en russe : Георгий Валентинович Плеханов) (11 décembre 1856 - 30 mai 1918, ou 29 novembre 1856 - 17 mai 1918 selon le calendrier julien)]

 

CHAPTER VII, Conclusion : The Bourgeoisie, Anarchism, and Socialism.
The “father of Anarchy”, the “immortal” Proudhon, bitterly mocked at those people for whom the revolution consisted of acts of violence, the exchange of blows, the shedding of blood. The descendants of the “father”, the modern Anarchists, understand by revolution only this brutally childish method. Everything that is not violence is a betrayal of the cause, a foul compromise with “authority”. The sacred bourgeoisie does not know what to do against them. In the domain of theory they are absolutely impotent with regard to the Anarchists, who are their own “enfants terribles”. The bourgeoisie was the first to propagate the theory of “laissez faire”, of dishevelled individualism. Their most eminent philosopher of today, Herbert Spencer, is nothing but a conservative Anarchist. The “companions” are active and zealous persons, who carry the bourgeois reasoning to its logical conclusion.

The magistrates of the French bourgeois Republic have condemned Grave to prison, and his book, Société Mourante et l’Anarchie, to destruction. The bourgeois men of letters declare this puerile book a profound work, and its author a man of rare intellect.

And not only has the bourgeoisie no theoretical weapons with which to combat the Anarchists; they see their young folk enamoured of the Anarchist doctrine. In this society, satiated and rotten to the marrow of its bones, where all faiths are long since dead, where all sincere opinions appear ridiculous, in this “monde ou l’on s’ennui”, where after having exhausted all forms of enjoyment they no longer know in what new fancy, in what fresh excess to seek novel sensations, there are people who lend a willing ear to the song of the Anarchist siren. Amongst the Paris “companions” there are already not a few men quite “comme il faut”, men about town who, as the French writer, Raoul Allier, says, wear nothing less than patent leather shoes, and put a green carnation in their button-holes before they go to meetings. Decadent writers and artists are converted to Anarchism and propagate its theories in reviews like the Mercure de France, La Plume, etc. And this is comprehensible enough. One might wonder indeed if Anarchism, an essentially bourgeois doctrine, had not found adepts among the French bourgeoisie, the most “blasée” of all bourgeoisies.

By taking possession of the Anarchist doctrine, the decadent, “fin-de-siecle” writers restore to it its true character of bourgeois individualism. If Kropotkine and Reclus speak in the name of the worker, oppressed by the capitalist, La Plume and the Mercure de France speak in the name of the individual who is seeking to shake off all the trammels of society in order that he may at last do freely what he “wants” to. Thus Anarchism comes back to its starting-point. Stirner said: “Nothing for me goes beyond myself.” Laurent Tailhade says: “What matters the death of vague human beings, if thereby the individual affirms himself.”

The bourgeoisie no longer knows where to turn. “I who have fought so much for Positivism,” moans Emile Zola, “well, yes! after thirty years of this struggle, I feel my convictions are shaken. Religious faith would have prevented such theories from being propagated;but has it not almost disappeared today? Who will give us a new ideal?”

Alas, gentlemen, there is no ideal for walking corpses such as you! You will try everything. You will become Buddhists, Druids, Sars Chaldeans, Occultists, Magi, Theosophists, or Anarchists, which- ever you prefer – and yet you will remain what you are now – beings without faith or principle, bags, emptied by history. The ideal of the bourgeois has lived.

For ourselves, Social-Democrats, we have nothing to fear from the Anarchist propaganda. The child of the bourgeoisie, Anarchism, will never have any serious influence upon the proletariat. If among the Anarchists there are workmen who sincerely desire the good of their class, and who sacrifice themselves to what they believe to be the good cause, it is only thanks to a misunderstanding that they find themselves in this camp. They only know the struggle for the emancipation of the proletariat under the form which the Anarchists are trying to give it. When more enlightened they will come to us.

Here is an example to prove this. During the trial of the Anarchists at Lyons in 1883, the working man Desgranges related how he had become an Anarchist, he who had formerly taken part in the political movement, and had even been elected a municipal councillor at Villefranche in November, 1879. “In 1881, in the month of September, when the dyers’ strike broke out at Villefranche, I was elected secretary of the strike committee, and it was during this memorable event ... that I became convinced of the necessity of suppressing authority, for authority spells despotism. During this strike, when the employers refused to discuss the matter with the workers, what did the prefectural and communal administrations do to settle the dispute? Fifty gendarmes, with sword in hand, were told off to settle the question. That is what is called the pacific means employed by Governments. It was then, at the end of this strike, that some working men, myself among the number, understood the necessity of seriously studying economic questions, and, in order to do so, we agreed to meet in the evening to study together. It is hardly necessary to add that this group became Anarchist.

That is how the trick is done. A working man, active and intelligent, supports the programme of one or the other bourgeois party. The bourgeois talk about the well-being of the people, the workers, but betray them on the first opportunity. The working man who has believed in the sincerity of these persons is indignant, wants to separate from them, and decides to study seriously “economic questions”. An Anarchist comes along, and reminding him of the treachery of the bourgeois, and the sabres of the gendarmes, assures him that the political struggle is nothing but bourgeois nonsense, and that in order to emancipate the workers political action must be given up, making the destruction of the State the final aim. The working man who was only beginning to study the situation thinks the “companion” is right, and so he becomes a convinced and devoted Anarchist! What would happen, if pursuing his studies of the social question further, he had understood that the “companion” was a pretentious Ignoramus, that he talked twaddle, that his “Ideal” is a delusion and a snare, that outside bourgeois politics there is, opposed to these, the political action of the proletariat, which will put an end to the very existence of capitalist society? He would have become a Social-Democrat.

Thus the more widely our ideas become known among the working classes, and they are thus becoming more and more widely known, the less will proletarians be inclined to follow the Anarchists. Anarchism, with the exception of its “learned” housebreakers, will more and more transform itself into a kind of bourgeois sport, for the purpose of providing sensations for “individuals” who have indulged too freely in the pleasures of the world, the flesh and the devil.

And when the proletariat are masters of the situation, they will only need to look at the “companions”, and even the “finest” of them will be silenced; they will only have to breathe to disperse all the Anarchist dust to the winds of heaven.

Last updated on 19.7.2004 (http://www.marxists.org/archive/plekhanov/1895/anarch/ch09.htm)

 


[베르크손과 스펜서의 관계] Sur la relation de Bergson à Spencer / Intervention de Patricia Verdeau
Bergson, La Pensée et le mouvant, chapitres I et II

 

Spencer: Derby, 1820- Brighton, 1903. Philosophe britannique, il caractérise l'évolution par le passage de l'homogène à l'hétérogène, appliquant à la psychologie et à la sociologie les mêmes principes d'évolution. A connu une gloire aussi éclatante qu'éphémère (environ une vingtaine d'années, entre 1860 et 1880), dans son pays l'Angleterre, et jusqu'à la fin du siècle en Europe, aux Etats-Unis et en Asie.

Premiers Principes, 1862, première oeuvre d'un cycle consacré à l'exposé des théories évolutionnistes, et qui comprend, outre ce livre, Principes de biologie (1864-67), Principes de psychologie (1870-72), Principes de sociologie (1877-96), Principes d'éthique (1884-93). 
 

 Ce qui a plus manqué à la philosophie, explique Bergson au début de La Pensée et le mouvant, c'est la précision, et c'est par ce truchement que s'établit une critique de l'idée de système ; en effet, le système, pour Bergson, n'est pas taillé à la mesure de la réalité, en d'autre termes, il ne pourrait appréhender la durée réelle, par les abstractions qu'il pose, au titre desquelles on peut compter par exemple la simultanéité ou le possible. L'explication satisfaisante est celle qui adhère à son objet ; c'est bien le cas de l'explication scientifique, qui " comporte la précision absolue et une évidence complète ou croissante " (PM, p. 1252). En dirait-on autant des théories philosophiques, s'interroge Bergson ? On reconnaît là un philosophe attaché depuis longtemps à la science, et très tôt au positivisme anglais. Il s'agirait en quelque sorte pour la philosophie d'atteindre la rigueur de la science, tout en respectant les faits et détails du réel. Placer sa philosophie au même plan que les sciences positives a toujours été une ambition pour Bergson.  Dans sa jeunesse, deux perspectives philosophiques s'offraient à Bergson: celle des kantiens spiritualistes et celle des positivistes (non des disciples d'Auguste Comte, mais de ceux d'Herbert Spencer et de son disciple français Taine). Trouvant chez les premiers un spiritualisme trop vague, il suit les seconds par respect des faits. Comme l'explique Bergson à la fin de L'Evolution créatrice, il faut renoncer à la méthode de construction, qui fut celle des successeurs de Kant, et faire appel à l'expérience, à une " expérience épurée, je veux dire dégagée (...) des cadres que notre intelligence a constitués au fur et à mesure des progrès de notre action sur les choses " (EC, p. 801). La véritable expérience cherche une durée concrète où " s'opère sans cesse une refonte radicale du tout " ; elle cherche aussi à éclaircir le détail du réel. Le contexte scientifique du XIXe siècle (le progrès de la psychologie, l'évolution de l'embryologie) avait suggéré l'idée d'une réalité qui dure. On comprend alors le succès et la réputation de Spencer, et précisément d'un penseur qui annonce une doctrine d'évolution: " Aussi, quand un penseur surgit qui annonça une doctrine d'évolution, où le progrès de la matière vers la perceptibilité serait retracé en même temps que la marche de l'esprit vers la rationalité, où serait suivie de degré en degré la complication des correspondances entre l'externe et l'interne, où le changement deviendrait enfin la substance même des choses, vers lui se tournèrent tous les regards. " (EC, p. 802). Il faut dire qu'à l'époque, le concept d'évolution était assez récent. L'importance consacrée en cette fin de siècle aux théories de l'évolution en fait un élément prépondérant du cadre idéologique. Dans les Premiers Principes, il écrit: " L'évolution est une intégration de  matière et une dissipation concomitante de mouvement, durant laquelle la matière passe d'une homogénéité indéfinie et incohérente à une hétérogénéité définie et cohérente durant laquelle le mouvement retenu subit une transformation" (trad. Guymiot, 6e édition, p. 469).

 La philosophie de H. Spencer trouvait grâce aux yeux de Bergson. Dans de nombreux passages de son oeuvre ou de ses cours,  les allusions se multiplient au même titre que les signes de reconnaissance: "Il y a quelque cinquante ans, écrivait-il en 1930, j'étais fort attaché à la philosophie de Spencer." (PM, p. 1333) Dans tous les cas où Bergson a eu l'occasion de montrer ses premières recherches, il montre combien la philosophie des Premiers Principes, et notamment l'évolutionnisme, se situe au point de départ de sa pensée. On comprend l'intérêt que Bergson a pu porter à la philosophie de Spencer: " Une doctrine nous avait paru jadis faire exception ": voilà donc une doctrine qui devait donc comporter une " précision absolue et une évidence complète ou croissante " (PM, p. 1253). C'est bien le rapport étroit à la réalité qui est visé là, et qui pourrait s'apparenter à la préfiguration de ce qui sera plus tard l'intuition bergsonienne, comme appréhension de la durée réelle: " La philosophie de Spencer visait à prendre l'empreinte des choses et à se modeler sur le détail des faits " (Ibidem). Nous voyons là l'attention portée à la réalité, au détail, à ce qui échappe ordinairement à la généralité, à ce qui appréhende la réalité au plus près, comme l'indiquent les expressions " prendre l'empreinte " et " se modeler ".  L'effort semblait louable pour l'esprit rigoureux d'un Bergson probablement en admiration devant ce passage des Premiers Principes: " Une philosophie idéalement complète doit formuler la série entière des changements subis par les êtres, isolément et dans leur ensemble, depuis leur passage de l'imperceptible au perceptible jusqu'à leur retour du perceptible à l'imperceptible. Si elle commence ses explications avec des êtres qui ont déjà des formes concrètes, il est manifeste que ces êtres avaient une histoire antérieure ou qu'ils auront une histoire postérieure dont la philosophie ne rend pas compte. D'où nous avons vu que la formule cherchée, également applicable aux êtres pris isolément et dans leur totalité, doit être applicable à l'histoire de chacun d'eux et à l'histoire entière de leur ensemble. Telle doit être la forme idéale de la philosophie, quelle que soit la distance à laquelle on en reste dans la réalité." (trad. Guymiot, 6e édition, p. 1468).

 Or, le problème d'une adhésion à Spencer surgit rapidement dans le texte, et l'on comprend l'inconvénient inhérent aux " généralités vagues ". Le point d'appui, et en d'autres termes, le fondement de cette philosophie restait problématique: " Nous sentions bien la faiblesse des Premiers Principes " (PM, p. 1254). Or, cette faiblesse venait, dit Bergson de ce que l'auteur n'ait pas approfondi les " idées dernières " de la mécanique. On peut conjecturer que pour Bergson, l'auteur des Premiers Principes avait bien tenté d'appréhender la réalité à travers une démarche novatrice et précise, mais qu'il n'était pas allé au bout de ses ambitions premières, tout comme si le système, chez Spencer avait résisté à la particularité et à la durée. Il faut reconnaître la reconnaissance de Bergson, qui aurait voulu reprendre une partie de cette oeuvre, la compléter, la consolider, comme si Spencer avait eu l'ambition de Bergson, mais s'était arrêté en chemin. La déception suit cependant la reconnaissance: " C'est ainsi que nous fûmes conduits devant l'idée de temps. Là, une surprise nous attendait. " (PM, p.1254). En effet, le temps réel échappe aux mathématiques, à la superposition de partie à partie. La ligne immobile qui représente le temps est une manière de représenter la mobilité par l'immobilité, ce qui pour Bergson est absurde, sauf si nous voulons évoquer le temps de la mathématique: " Que la science positive se fût désintéressée de cette durée, rien de plus naturel, pensions-nous: sa fonction est précisément peut-être de nous composer un monde où nous puissions, pour la commodité de l'action, escamoter les effets du temps. Mais, comment la philosophie de Spencer, doctrine d'évolution, faite pour suivre le réel dans sa mobilité, son progrès, sa maturation intérieure, avait-elle pu fermer les yeux à ce qui est le changement même ? " (PM, p.1256). En d'autres termes, Bergson se trouve confronté à un évolutionnisme qui n'évolue pas, qui n'est donc pas fidèle à son ambition première ou qui n'est pas allé au bout de cette ambition-là.

 Cette question engage plus tard chez Bergson l'interrogation sur l'évolution de la vie " en tenant compte du temps réel ", et une reprise radicale de l'évolutionnisme spencérien: " l'"évolutionnisme " spencérien était à peu près complètement à refaire " (PM, p.1256). A l'image des autres philosophies, la philosophie spencérienne ne s'est guère occupée de la vision de la durée, peut-être pour des raisons langagières, explique Bergson. Bergson ne cesse de revenir sur ce problème, qui apparaît comme le point de départ de la philosophie de l'Essai. La critique de Spencer est sévère:  " il ne s'était pas plutôt engagé, explique Bergson dans l'Evolution créatrice qu'il tournait court. Il avait promis de retracer une genèse, et voici qu'il faisait tout autre chose. Sa doctrine portait bien le nom d'évolutionnisme ; elle prétendait remonter et redescendre le cours de l'universel devenir. En réalité, il n'y était question ni de devenir ni d'évolution ". Le projet de Spencer n'a pas atteint le but qu'il visait: il ne peut y avoir, bien sûr, de critique pire de l'évolution que celle qui l'accuse de non-évolution ! La " surprise " devient " artifice ": " L'artifice ordinaire de la méthode de Spencer consiste à reconstituer l'évolution avec les fragments de l'évolué." (EC, p. 802) Tout se passe alors comme si l'illusion suprême consistait à montrer le geste et le devenir là où il n'y a que juxtaposition de positions. Autrement, ce que Bergson perd dans le temps, c'est le mouvement du devenir: l'acte de dessiner n'a aucun rapport avec celui d'assembler les fragments d'une image déjà dessinée. Dans un certain sens, Spencer a repris le chemin de Kant. A la fin de L'Evolution créatrice, Bergson montre l'ampleur de l'illusion spencérienne: il fragmente la réalité, puis intègre ces fragments. Les concepts d'intégration de la matière et de dissipation du mouvement sont relus par Bergson. A partir de la réalité, Spencer construit une mosaïque, et s'imagine " en avoir retracé le dessin et fait la genèse " (EC, p. 803). L'illusion spencérienne touche plusieurs domaines au rang desquels on peut trouver la matière, l'esprit, la correspondance entre l'esprit et la matière.

 En ce qui concerne la matière, voilà ce que dit Bergson: : " Ce n'est pas en divisant l'évolué qu'on atteindra le principe de ce qui évolue. Ce n'est pas en recomposant l'évolué avec lui-même qu'on reproduira l'évolution dont il est le terme " (EC, p. 803): " S'agit il de la matière ? Les éléments diffus qu'il intègre en corps visibles et tangibles ont tout l'air d'être les particules mêmes des corps simples, qu'il suppose d'abord disséminées à travers l'espace. Ce sont, en tout cas des " points matériels " et par conséquent des points invariables, de véritables petits solides: comme si la solidité, étant ce qu'il y a de plus près de nous et de plus manipulable par nous, pouvait être à l'origine même de la matérialité ! " (EC, p. 803). En réalité, Spencer est victime de la représentation, s'apparentant chez Bergson à un découpage au service de mon action. D'une part, Spencer évoque des étapes de l'évolution (ce qui déjà fait problème pour Bergson) (comment passe-t-on en effet de l'évolution à la dissolution ? ), et d'autre part, il transforme la réalité, en l'appréhendant sous formes de morceaux et d'agglomération progressive. Il y aurait donc une double schématisation inhérente à cette représentation faussée. Cela dit, pour Spencer, l'intelligence et l'expérience nous confrontent à l'inconnaissable. Est-ce qu'alors Spencer est aussi éloigné qu'on le penserait de Bergson ? En réalité, il manquait à Spencer l'appréhension de la durée et de l'intuition En ce qui concerne les illusions spencériennes liées à l'esprit, Bergson montre l'erreur de Spencer qui pense la composition du réflexe avec le réflexe permet d'engendrer tour à tour l'instinct et la volonté raisonnable: " S'agit-il de l'esprit ? Par la composition du réflexe avec le réflexe, Spencer croit engendrer tour à tour l'instinct et la volonté raisonnable. Il ne voit pas que le réflexe spécialisé, étant un point terminus de l'évolution au même titre que la volonté consolidée, ne saurait être supposé au départ. Que le premier des deux termes ait atteint plus vite que l'autre sa forme définitive, c'est fort probable ; mais l'un et l'autre sont des dépôts du mouvement évolutif, et le mouvement évolutif lui-même ne peut pas plus s'exprimer en fonction du premier tout seul que du second uniquement. (...) Mais sur tout cela Spencer ferme les yeux, parce qu'il est de l'essence de sa méthode de recomposer le consolidé avec du consolidé, au lieu de retrouver le travail graduel de consolidation, qui est l'évolution même. " (EC, p. 804). La critique de Bergson vise la méthode spencérienne elle-même: au lieu d'envisager une progression graduelle de l'évolution, où interviendraient donc des moments que nous ne connaissons pas forcément dans la réalité actuelle, mais qui l'annoncent, Spencer envisage la réalité actuelle, accomplie et effective, la déconstruit pour la reconstruire: ainsi ni la genèse ni l'évolution dans leur dynamique ne sont véritablement pensées.

 En ce qui concerne la correspondance entre l'esprit et la matière, même si Bergson reconnaît que Spencer a raison quand il définit l'intelligence comme le terme de l'évolution, celui-ci ne peut appréhender cette évolution, puisqu'il se place a posteriori: " (...) quand il vient à retracer cette évolution, il intègre encore de l'évolué avec de l'évolué sans s'apercevoir qu'il prend ainsi une peine inutile: en se donnant le moindre fragment de l'actuellement évolué, il pose le tout de l'évolué actuel, et c'est en vain qu'il prétendrait alors en faire la genèse " (EC, p. 804). Qu'en est-il des rapports entre l'esprit et la réalité extérieure ? Pour Spencer, les phénomènes qui se succèdent dans la nature projettent dans l'esprit humain des images qui les représentent. Les relations entre les phénomènes engagent, de manière symétrique des relations entre les représentations. En d'autres termes, l'évolution des phénomènes engage l'évolution de nos représentations:  " Et les lois les plus générales de la nature, en lesquelles se condensent les relations entre les phénomènes, se trouvent ainsi avoir engendré les principes directeurs de la pensée, en lesquels se sont intégrées les relations entre les représentations. La nature se reflète donc dans l'esprit. La structure intime de notre pensée correspond, pièce à pièce, à l'ossature même des choses. " (EC, p. 804). Que répond alors Bergson à Spencer ?  "  Je le veux bien; mais, pour que l'esprit humain puisse se représenter des relations entre les phénomènes, encore faut-il qu'il y ait des phénomènes, c'est-à-dire des faits distincts, découpés dans la continuité du devenir. Et dès qu'on se donne ce mode spécial de décomposition, tel que nous l'apercevons aujourd'hui, on se donne aussi l'intelligence, telle qu'elle est aujourd'hui, car c'est par rapport à elle, et à elle seulement, que le réel se décompose de cette manière. " (EC, p. 805). Spencer est victime, pour Bergson, d'une illusion inhérente au mouvement rétrograde du vrai. Pour que l'esprit distingue des phénomènes, il faut que que l'intelligence soit déjà présent. C'est parce que je découpe la réalité pour les besoins de mon action que les phénomènes apparaissent.

 C'est vraiment avec ce grand livre de 1907 que Bergson prend congé de Spencer. La question des rapports entre esprit et réalité est d'autant plus importante qu'elle engage la question fondamentale, tant pour Spencer que pour Bergson, de l'évolution: " Dès lors, au lieu de dire que les relations entre les faits ont engendré les lois de la pensée, je puis aussi bien prétendre que c'est la forme de la pensée qui a déterminé la configuration des faits perçus, et par suite leurs relations entre eux. Les deux manières de s'exprimer se valent. Elles disent, au fond, la même chose. Avec la seconde, il est vrai, on renonce à parler d'évolution. Mais, avec la première, on se borne à en parler, on n'y pense pas davantage. " (EC, p. 806). Le problème de l'évolution se pose dans un cas comme dans l'autre, puisque d'un point de vue comme de l'autre on pose respectivement la fragmentation de la réalité comme effective, et l'intelligence comme effective. La position de Bergson se profile à l'horizon de ces considérations. Le véritable évolutionnisme est celui qui va prendre en considération une progressive élaboration de l'intelligence, de la fragmentation, et de leurs rapports mutuels: " Car un évolutionnisme vrai se proposerait de rechercher par quel modus vivendi graduellement obtenu l'intelligence a adopté son plan de structure, et la matière son mode de subdivision. Cette structure et cette subdivision s'engrènent l'une dans l'autre. Elles sont complémentaires l'une de l'autre. Elles ont dû progresser l'une avec l'autre. (EC, p. 806). Par ailleurs, Bergson avance des arguments émanant  du domaine de la physique: " Déjà, dans le domaine de la physique elle-même, les savants qui poussent le plus loin l'approfondissement de leur science inclinent à croire qu'on ne peut pas raisonner sur les parties comme on raisonne sur le tout, que les mêmes principes ne sont pas applicables à l'origine et au terme d'un progrès, que ni la création ni l'annihilation, par exemple, ne sont inadmissibles quand il s'agit des corpuscules constitutifs de l'atome. (EC, p. 806). Nous voyons là une philosophie attachée à la démarche scientifique, et à sa tendance à considérer une évolution de durée. Le rapport à Spencer pose le problème des fins de la philosophie: " Le philosophe doit aller plus loin que le savant. Faisant table rase de ce qui n'est qu'un symbole imaginatif, il verra le monde matériel se résoudre en un simple flux, une continuité d'écoulement, un devenir. Et il se préparera ainsi à retrouver la durée réelle là où il est plus utile encore de la retrouver dans le domaine de la vie et de la conscience. Car, tant qu'il s'agit de la matière brute, on peut négliger l'écoulement sans commettre d'erreur grave: la matière, avons-nous dit, est lestée de géométrie, et elle ne dure, elle réalité qui descend, que par sa solidarité avec ce qui monte. Mais la vie et la conscience sont cette montée même. Quand une fois on les a saisies dans leur essence en adoptant leur mouvement, on comprend comment le reste de la réalité dérive d'elles. (EC, p. 807)

 Bergson substitue à un évolutionnisme qui n'évolue pas une évolution créatrice. Comprendre le mouvement de l'évolution créatrice, c'est s'y insérer. C'est à cette condition que la philosophie peut penser le mouvant. La durée devient alors un principe d'explicitation de la réalité, ainsi que des différents degrés de réalité. L'absolu bergsonien répond alors à l'inconnaissable spencérien: " Ainsi comprise, la philosophie n'est pas seulement le retour de l'esprit à lui-même, la coïncidence de la conscience humaine avec le principe vivant d'où elle émane, une prise de contact avec l'effort créateur. Elle est l'approfondissement du devenir en général, l'évolutionnisme vrai, et par conséquent le vrai prolongement de la science, - pourvu qu'on entende par ce dernier mot un ensemble de vérités constatées ou démontrées " (EC, p. 807). (http://pedagogie.ac-toulouse.fr/philosophie/forma/verdeaubergsonspencer.htm)

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