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  1. 2009/04/10
    lettres a Malesherbes (jjr, 4&12 jan.1762)
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lettres a Malesherbes (jjr, 4&12 jan.1762)

말제르브(Malesherbes, 1721~94): 프랑스의 법률가, 정치인.

1750년 그의 아버지인 기욤 드 라무아뇽 드 블랑메닐이 대법관으로 승진하자 말제르브는 조세법원 원장과 출판총감이 되었다. 대법관의 임무 중 하나는 언론을 제어하는 것이었고, 말제르브의 아버지는 이 일을 말제르브에게 맡겼다. 18년의 재임기간동안 말제르브는 법률가로서보다는 공직생활에 더 많이 연관되었다. 효율성을 위해서 그는 파리의 문학지도자들과 교류하였으며, 특히 드니 디드로와 많은 교류를 나누었다. 그림 남작 프리드리히 멜키오르는 '말제르브의 도움이 없었다면 《앙시클로페디》(프랑스어: Encyclopédie)는 출판되지 못했을 것'이라고 말하기도 하였다.

1771년부터 말제르브는 정치에 개입, 1775년에는 국무장관: 국민을 국왕의 뜻대로 채포할 수 있는 봉인장(프랑스어: Lettre de cachet)의 남발을 막았다. 프랑스 혁명기에 루이 16세의 변호, 1794년 4월 23일 단두대에서 처형. -한글 위키 발췌-


이런 맥락에서(문학가들과의 교류, 백과전서파 지원) 말제브르(40세)는 1762년 1월에 루소(49세)와도 편지를 주고받은 모양이다. 루소는 수시로 많이 아프고 가난하고 외로운 교외생활을 하면서 저술활동에 전념했고, 이러한 루소의 덜 행복한 처지를 안타깝게 여긴 말제르브가 먼저 루소에게 안부편지를 보낸다. 편지에서 그는 루소의 극도로 민감한 성격과 어두운 침울(멜랑꼴리-melancolie)이 스스로의 삶을 힘들고 불행하게 하는지도 모르겠다는 류의 걱정을 했고, 여기에 대한 루소의 답장이 1월 한달 사이에 네 번이나 이어진다: 1762년 1월 4,12, 26, 28일 (같은 해 4월과 5월에 <사회계약론>과 <에밀>이 출간되니, 아마도 이 네 편의 편지는 두 대작의 탈고도 끝난, 조금은 한가한 시간의 산물이겠다).


이하 네 편의 편지를 2회에 걸쳐 읽어간다, 아니 '편지 읽어주는 남자'를 따라간다. 편지는 결코 짧지도 가볍지도 않다. 약간은 루소의 전기적 요소도 있지만 그 속에는 -늘 그렇듯(그래서 루소의 <고백>은 단순한 자서전이 아니다)- 루소 철학·사상의 단편·단상들이 행간 곳곳에 녹아있다. 핵심 어휘는 내 나름대로 굵은글씨나 밑줄로 강조하고, 이탤릭은 원문에 있는 그대로를 존중한다. (편지 4편 듣기 출처: http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/jean-jacques-rousseau-lettres-a-malesherbes.html

 

 

ROUSSEAU, Jean-Jacques - Lettres à Malesherbes (Livre audio gratuit posté le 29 mars 2007)
Donneur de voix : Augustin Brunault | Durée : 38min (sur 4 lettres)

 

Première lettre (4 janvier 1762).
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Première lettre à M. de Malesherbes

A Montmorency, le 4 janvier 1762

 

J'aurais moins tardé, Monsieur, à vous remercier de la dernière lettre dont vous m'avez honoré si j'avais mesuré ma diligence à répondre sur le plaisir qu'elle m'a fait. Mais, outre qu'il m'en coûte beaucoup d'écrire, j'ai pensé qu'il fallait donner quelques jours aux importunités de ces temps-ci pour ne vous pas accabler des miennes. Quoique je ne me console point de ce qui vient de se passer, je suis très content que vous en soyez instruit, puisque cela ne m'a point ôté votre estime; elle en sera plus à moi quand vous ne me croirez pas meilleur que je ne suis.

 

Les motifs auxquels vous attribuez les partis qu'on m'a vu prendre depuis que je porte une espèce de nom dans le monde me font peut-être plus d'honneur que je n'en mérite, mais ils sont certainement plus près de la vérité que ceux que me prêtent ces hommes de lettres, qui, donnant tout à la réputation, jugent de mes sentiments par les leurs. J'ai un cœur trop sensible à d'autres attachements pour l'être si fort à l'opinion publique; j'aime trop mon plaisir et mon indépendance pour être esclave de la vanité au point qu'ils le supposent. Celui pour qui la fortune et l'espoir de parvenir ne balança jamais un rendez-vous ou un souper agréable ne doit pas naturellement sacrifier son bonheur au désir de faire parler de lui, et il n'est point du tout croyable qu'un homme qui se sent quelque talent et qui tarde jusqu'à quarante ans à se faire connaître soit assez fou pour aller s'ennuyer le reste de ses jours dans un désert, uniquement pour acquérir la réputation d'un misanthrope.

 

Mais, Monsieur, quoique je haïsse souverainement l'injustice et la méchanceté, cette passion n'est pas assez dominante pour me déterminer seule à fuir la société des hommes, si j'avais en les quittant quelque grand sacrifice à faire. Non, mon motif est moins noble et plus près de moi. Je suis né avec un amour naturel pour la solitude qui n'a fait qu'augmenter à mesure que j'ai mieux connu les hommes. Je trouve mieux mon compte avec les êtres chimériques que je rassemble autour de moi qu'avec ceux que je vois dans le monde, et la société dont mon imagination fait les frais dans ma retraite achève de me dégoûter de toutes celles que j'ai quittées. Vous me supposez malheureux et consumé de mélancolie. Oh ! Monsieur, combien vous vous trompez ! C'est à Paris que je l'étais; c'est à Paris qu'une bile noire rongeait mon cœur, et l'amertume de cette bile ne se fait que trop sentir dans tous les écrits que j'ai publiés tant que j'y suis resté. Mais, Monsieur, comparez ces écrits avec ceux que j'ai faits dans ma solitude : ou je suis trompé, ou vous sentirez dans ces derniers une certaine sérénité d'âme qui ne se joue point et sur laquelle on peut porter un jugement certain de l'état intérieur de l'auteur. L'extrême agitation que je viens d'éprouver vous a pu faire porter un jugement contraire; mais il est facile à voir que cette agitation n'a point son principe dans ma situation actuelle, mais dans une imagination déréglée, prête à s'effaroucher sur tout et à porter tout à l'extrême. Des succès continus m’ont rendu sensible à la gloire, et il n'y a point d'homme ayant quelque hauteur d'âme et quelque vertu qui pût penser sans le plus mortel désespoir qu'après sa mort on substituerait sous son nom à un ouvrage utile un ouvrage pernicieux, capable de déshonorer sa mémoire et de faire beaucoup de mal. Il se peut qu'un tel bouleversement ait accéléré le progrès de mes maux; mais dans la supposition qu'un tel accès de folie m'eût pris à Paris, il n'est point sûr que ma propre volonté n'eût pas épargné le reste de l'ouvrage à la nature.

 

Longtemps je me suis abusé moi-même sur la cause de cet invincible dégoût que j'ai toujours éprouvé dans le commerce des hommes; je l'attribuais au chagrin de n'avoir pas l'esprit assez présent pour montrer dans la conversation le peu que j'en ai, et, par contre-coup, à celui de ne pas occuper dans le monde la place que j'y croyais mériter. Mais quand, après avoir barbouillé du papier, j'étais bien sûr, même en disant des sottises, de n'être pas pris pour un sot, quand je me suis vu recherché de tout le monde, et honoré de beaucoup plus de considération que ma ridicule vanité n'en eût osé prétendre, et que malgré cela j'ai senti ce même dégoût plus augmenté que diminué, j'ai conclu qu'il venait d'une autre cause, et que ces espèces de jouissances n'étaient point celles qu'il me fallait.

 

Quelle est donc enfin cette cause? Elle n'est autre que cet indomptable esprit de liberté que rien n'a pu vaincre, et devant lequel les honneurs, la fortune et la réputation même ne me sont rien. Il est certain que cet esprit de liberté me vient moins d'orgueil que de paresse; mais cette paresse est incroyable; tout l'effarouche; les moindres devoirs de la vie civile lui sont insupportables. Un mot à dire, une lettre à écrire, une visite à faire, dès qu'il le faut, sont pour moi des supplices. Voilà pourquoi, quoique le commerce ordinaire des hommes me soit odieux, l'intime amitié m'est st chère, parce qu'il n'y a plus de devoirs pour elle. On suit son cœur et tout est fait. Voilà encore pourquoi j'ai toujours tant redouté les bienfaits. Car tout bienfait exige reconnaissance; et je me sens le cœur ingrat par cela seul que la reconnaissance est un devoir. En un mot, l'espèce de bonheur qu'il me faut n'est pas tant de faire ce que je veux que de ne pas faire ce que je ne veux pas. La vie active n'a rien qui me tente, je consentirais cent fois plutôt à ne jamais rien faire qu'à faire quelque chose malgré mol; et j'ai cent fois pensé que je n'aurais pas vécu trop malheureux à la Bastille, n'y étant tenu à rien du tout qu'à rester là.

 

J'ai cependant fait dans ma jeunesse quelques efforts pour parvenir. Mais ces efforts n'ont jamais eu pour but que la retraite et le repos dans ma vieillesse, et comme ils n'ont été que par secousse, comme ceux d'un paresseux, ils n'ont jamais eu le moindre succès. Quand les maux sont venus, ils m'ont fourni un beau prétexte pour me livrer à ma passion dominante. Trouvant que c'était une folie de me tourmenter pour un âge auquel je ne parviendrais pas, j'ai tout planté là et je me suis dépêché de jouir. Voilà, Monsieur, je vous le jure, la véritable cause de cette retraite à laquelle nos gens de lettres ont été chercher des motifs d’ostentation qui supposent une constance ou plutôt une obstination à tenir à ce qui me coûte, directement contraire à mon caractère naturel.

 

Vous me direz, Monsieur, que cette indolence supposée s'accorde mal avec les écrits que j'ai composés depuis dix ans, et avec ce désir de gloire qui a dû m'exciter à les publier. Voilà une objection à résoudre qui m'oblige à prolonger ma lettre, et qui, par conséquent, me force à la finir. J'y reviendrai, Monsieur, si mon ton familier ne vous déplaît pas, car dans l'épanchement de mon cœur je n'en saurais prendre un autre. Je me peindrai sans fard et sans modestie, je me montrerai à vous tel que je me vois, et tel que je suis, car, passant ma vie avec moi, je dois me connaître, et je vois par la manière dont ceux qui pensent me connaître interprètent mes actions et ma conduite qu'ils n'y connaissent rien. Personne au monde ne me connaît que moi seul. Vous en jugerez quand j'aurai tout dit.

 

Ne me renvoyez point mes lettres, Monsieur, je vous supplie. Brûlez-les, parce qu'elles ne valent pas la peine d'être gardées, mais non pas par égard pour moi. Ne songez pas non plus, de grâce, à retirer celles qui sont entre les mains de Duchesne. S'il fallait effacer dans le monde les traces de toutes mes folies, il y aurait trop de lettres à retirer, et je ne remuerais pas le bout du doigt pour cela. A charge et à décharge, je ne crains point d'être vu tel que je suis. Je connais mes grands défauts, et je sens vivement tous mes vices. Avec tout cela je mourrai plein d'espoir dans le Dieu Suprême, et très persuadé que, de tous les hommes que j'ai connus en ma vie, aucun ne fut meilleur que moi.

 

 

Deuxième lettre (12 janvier 1762).
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Deuxième lettre à M. de Malesherbes

A Montmorency, le 12 janvier 1762

 

Je continue, Monsieur, à vous rendre compte de moi, puisque j’ai commencé; car ce qui peut m'être le plus défavorable est d'être connu à demi; et puisque mes fautes ne m'ont point ôté votre estime, je ne présume pas que ma franchise me la doive ôter.

 

Une âme paresseuse qui s'effraye de tout soin, un tempérament ardent, bilieux, facile à s'affecter et sensible à l'excès à tout ce qui l'affecte semblent ne pouvoir s'allier dans le même caractère, et ces deux contraires composent pourtant le fond du mien. Quoique je ne puisse résoudre cette opposition par des principes, elle existe pourtant, je la sens, rien n'est plus certain, et j'en puis du moins donner par les faits une espèce d'historique qui peut servir à la concevoir. J'ai eu plus d'activité dans l'enfance, mais jamais comme un autre enfant. Cet ennui de tout m'a de bonne heure jeté dans la lecture. A six ans Plutarque me tombe sous la main, à huit je le savais par cœur; j'avais lu tous les romans, ils m'avaient fait verser des seaux de larmes avant l'âge où le cœur prend intérêt aux romans. De là se forma dans le mien ce goût héroïque et romanesque qui n'a fait qu'augmenter jusqu'à présent, et qui acheva de me dégoûter de tout, hors de ce qui ressemblait à mes folies. Dans ma jeunesse que je croyais trouver dans le monde les mêmes gens que j'avais connus dans mes livres, je me livrais sans réserve à quiconque savait m'en imposer par un certain jargon dont j'ai toujours été la dupe. J'étais actif parce que j'étais fou, à mesure que j'étais détrompé je changeais de goûts, d'attachements, de projets, et dans tous ces changements je perdais toujours ma peine et mon temps parce que je cherchais toujours ce qui n'était point. En devenant plus expérimenté j'ai perdu à peu près l'espoir de le trouver, et par conséquent le zèle de le chercher. Aigri par les injustices que j'avais éprouvées, par celles dont j'avais été le témoin, souvent affligé du désordre où l'exemple et la force des choses m'avaient entraîné moi-même, j'ai pris en mépris mon siècle et mes contemporains; et sentant que je ne trouverais point au milieu d'eux une situation qui pût contenter mon coeur, je l'ai peu à peu détaché de la société des hommes, et je m'en suis fait une autre dans mon imagination, laquelle m'a d'autant plus charmé que je la pouvais cultiver sans peine, sans risque et la trouver toujours sûre et telle qu'il me la fallait.

 

Après avoir passé quarante ans de ma vie ainsi mécontent de moi-même et des autres, je cherchais inutilement à rompre les liens qui me tenaient attaché à cette société que j'estimais si peu, et qui m'enchaînaient aux occupations le moins de mon goût par des besoins que j'estimais ceux de la nature, et qui n'étaient que ceux de l'opinion. Tout à coup un heureux hasard vint m'éclairer sur ce que j'avais à faire pour moi-même, et à penser de mes semblables sur lesquels mon cœur était sans cesse en contradiction avec mon esprit, et que je me sentais encore porté à aimer avec tant de raisons de les haïr. Je voudrais, Monsieur, vous pouvoir peindre ce moment qui a fait dans ma vie une si singulière époque et qui me sera toujours présent quand je vivrais éternellement.

 

J'allais voir Diderot, alors prisonnier à Vincennes; j'avais dans ma poche un Mercure de France que je me mis à feuilleter le long du chemin. Je tombe sur la question de l'Académie de Dijon qui a donné lieu à mon premier écrit. Si jamais quelque chose a ressemblé à une inspiration subite, c'est le mouvement qui se fit en moi à cette lecture; tout à coup je me sens l'esprit ébloui de mille lumières; des foules d'idées vives s'y présentèrent à la fois avec une force et une confusion qui me jeta dans un trouble inexprimable; je sens ma tête prise par un étourdissement semblable à l'ivresse. Une violente palpitation m'oppresse, soulève ma poitrine; ne pouvant plus respirer en marchant, je me laisse tomber sous un des arbres de l'avenue, et j'y passe une demi-heure dans une telle agitation qu'en me relevant j'aperçois tout le devant de ma veste mouillé de mes larmes sans avoir senti que j'en répandais. Oh ! Monsieur, si j'avais jamais pu écrire le quart de ce que j'ai vu et senti sous cet arbre, avec quelle clarté j'aurais fait voir toutes les contradictions du système social, avec quelle force j'aurais exposé tous les abus de nos institutions, avec quelle simplicité j'aurais démontré que l'homme est bon naturellement et que c'est par ces institutions seules que les hommes deviennent méchants ! Tout ce que j'ai pu retenir de ces foules de grandes vérités qui dans un quart d'heure m'illuminèrent sous cet arbre, a été bien faiblement épars dans les trois principaux de mes écrits, savoir ce premier Discours, celui sur l'Inégalité et le Traité de l'éducation, lesquels trois ouvrages sont inséparables et forment ensemble un même tout. Tout le reste a été perdu, e:t il n'y eut d'écrit sur le lieu même que la Prosopopée de Fabricius. Voilà comment, lorsque j'y pensais le moins, je devins auteur presque malgré moi. Il est aisé de concevoir comment l'attrait d'un premier succès et les critiques des barbouilleurs me jetèrent tout de bon dans la carrière. Avais-je quelque vrai talent pour écrire ? Je ne sais. Une vive persuasion m'a toujours tenu lieu d'éloquence, et j'ai toujours écrit lâchement et mal quand je n'ai pas été fortement persuadé. Ainsi c'est peut-être un retour caché d'amour-propre qui m'a fait choisir et mériter ma devise, et m'a si passionnément attaché à la vérité, ou à tout ce que j'ai pris pour elle. Si je n’avais écrit que pour écrire, je suis convaincu qu'on ne m’aurait jamais lu.

 

Après avoir découvert ou cru découvrir dans les fausses opinions des hommes la source de leurs misères et de leur méchanceté, je sentis qu'il n'y avait que ces mêmes opinions qui m'eussent rendu malheureux moi-même, et que mes mai1x et mes vices me venaient bien plus de ma situation que de moi-même. Dans le même temps, une maladie dont j'avais dès l'enfance senti les premières atteintes s'étant déclarée absolument incurable malgré toutes les promesses des faux guérisseurs dont je n'ai pas été longtemps la dupe, je jugeai que, si je voulais être conséquent et secouer une fois de dessus mes épaules le pesant joug de l'opinion, je n'avais pas un moment à perdre. Je pris brusquement mon parti avec assez de courage, et je l'ai assez bien soutenu jusqu'ici, avec une fermeté dont moi seul peux sentir le prix, parce qu'il n'y a que moi seul qui sache quels obstacles j'ai eus et j'ai encore tous les jours à combattre pour me maintenir sans cesse contre le courant. Je sens pourtant bien que depuis dix ans j'ai un peu dérivé, mais si j'estimais seulement en avoir encore quatre à vivre, on me verrait donner une deuxième secousse et remonter tout au moins à mon premier niveau pour n'en plus guère redescendre. Car toutes les grandes épreuves sont faites et il est désormais démontré pour moi par l'expérience que l'état où je me suis mis est le seul où l'homme puisse vivre bon et heureux, puisqu'il est le plus indépendant de tous, et le seul où on ne se trouve jamais pour son propre avantage dans la nécessité de nuire à autrui.

 

J'avoue que le nom que m'ont fait mes écrits a beaucoup facilité l'exécution du parti que j'ai pris. Il faut être cru bon auteur pour se faire impunément mauvais copiste et ne pas manquer de travail pour cela. Sans ce premier titre, on m'eût pu trop prendre au mot sur l'autre, et peut-être cela m'aurait-il mortifié: car je brave aisément le ridicule, mais je ne supporterais pas si bien le mépris. Mais si quelque réputation me donne à cet égard un peu d'avantage, il est bien compensé par tous les inconvénients attachés à cette même réputation, quand on n'en veut point être esclave, et qu'on veut vivre isolé et indépendant. Ce sont ces inconvénients en partie qui m'ont chassé de Paris, et qui, me poursuivant encore dans mon asile, me chasseraient très certainement plus loin pour peu que ma santé vînt à se raffermir. Un autre de mes fléaux dans cette grande ville était ces foules de prétendus amis qui s'étaient emparés de moi, et qui, jugeant de mon cœur par les leurs, voulaient absolument me rendre heureux à leur mode et non pas à la mienne. Au désespoir de ma retraite, ils m'y ont poursuivi pour m'en tirer. Je n'ai pu m'y maintenir sans tout rompre. Je ne suis vraiment libre que depuis ce temps-là.

 

Libre ! Non, je ne le suis point encore. Mes derniers écrits ne sont point encore imprimés, et, vu le déplorable état de ma pauvre machine, je n'espère plus survivre à l'impression du recueil de tous : mais si, contre mon attente, je puis aller jusque-là et prendre une fois congé du public, croyez, Monsieur, qu'alors je serai libre ou que jamais homme ne l'aura été. O utinam ! O jour trois fois heureux ! Non, il ne me sera pas donné de le voir.

 

Je n'ai pas tout dit, Monsieur, et vous aurez peut-être encore au moins une lettre à essuyer. Heureusement rien ne vous oblige de les lire, et peut-être y seriez-vous bien embarrassé. Mais pardonnez, de grâce; pour recopier ces longs fatras il faudrait les refaire et en vérité je n'en ai pas le courage. J'ai sûrement bien du plaisir à vous écrire, mais je n'en ai pas moins à me reposer et mon état ne me permet pas d'écrire longtemps de suite.

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